(yours truly)
Longtemps, je me suis levé de bonne heure en me disant qu’un jour, je deviendrais traducteur.
Certes, il aurait fallu le faire savoir au monde, mais je n’osais pas lui dire, j’avais peut-être peur qu’il me rie au nez.
Et puis, chemin faisant, j’ai traduit quelques petits textes dans cette novlangue managériale qui n’est pas exactement de l’anglais (ni du français), j’ai vu le grand Charles Recoursé au travail quand il se battait avec David Foster Wallace… Alors j’ai commencé à lire autrement les romans traduits de l’anglais - j’ai commencé à grogner chaque fois que je devinais l’anglais sous le français, je ne pouvais m’empêcher de penser « et moi, j’aurais écrit quoi ? », j’ai même imaginé un jour d’écrire un roman dans cette langue singulière qu’est le français-traduit-de-l’anglais.
J’ai fini par comprendre que le traducteur doit surtout se faire oublier. C’est peut-être ça que j’aimais. Peut-être pour ça aussi que pendant des années je suis resté un traducteur clandestin - des bouts de roman par-ci par-là comme un ghost-rewriter, histoire de faire mes armes et de confirmer que oui, j’aimais ça.
Je savais qu’un jour je traduirais un roman - le problème, c’est qu’aucun éditeur n’était au courant. Jusqu’à ce qu’un jour, au détour d’un déjeuner, je finisse par en parler à une fée - Adeline Escoffier, attachée de presse et maintenant beaucoup plus chez cet ogre d’Editis. C’est elle qui m’a mis en contact avec Bertrand Pirel - éditeur et aventurier chez Hugo.
Bertrand m’a appelé un jour d’été 2017, il avait une façon de parler des livres qui donnait envie de dire Oui tout de suite, et ça tombait bien : il avait sur le feu un projet si urgent qu’il nécessitait plusieurs traducteurs en parallèle, ça parlait de foot, est-ce j’en prendrais un bout ? Je n’ai pas hésité.
Cette petite aventure m’a permis d’admirer Bertrand Pirel au travail (confidence : il y a qqs années de cela, je me suis fixé pour règle de ne plus travailler qu'avec des gens sympathiques ET compétents; ils ne sont pas si nombreux; Bertrand, lui, coche ces deux cases à un très haut niveau) ; elle m’a donné envie d’en faire plus… Et puis le livre n’est jamais sorti, ni la VF ni la VO, bloquée par son auteur de l’autre côté de la Manche. Un jour, qui sait.
A ce stade, je commençais à penser que je resterais à jamais le traducteur maudit, celui qui travaille dans l’ombre et dont les œuvres ne voient jamais la lumière.
Et puis, la lumière est revenue. L’été dernier, en pleines vacances, Bertrand m’a proposé de traduire un thriller. Holiday, c’était le titre. TM Logan, l’auteur. Le pitch tenait en quelques phrases :
4 amies d’enfance vont passer une semaine de vacances en France, avec hommes et enfants.
Kate, la narratrice, comprend que son mari la trompe, avec l’une des 3 amies.
Mais laquelle ? A elle de le découvrir.
J’ai fait semblant de réfléchir, et j’ai dit oui.
C’est ainsi que j’ai passé mon hiver d’avant-confinement au bord d’une piscine en plein Languedoc en compagnie de Kate, Izzy, Jen et Rowan. J’y ai trouvé le plaisir que j’attendais, la joie depuis longtemps oubliée de travailler des heures d’affilée sans pause - allez, encore une page. Le défi d’une phrase qui résiste, d’un mot intraduisible ; le confort d’un paragraphe qui tombe tout seul, fluide comme une brasse coulée. J’ai pesté parfois contre TM Logan mais il savait que je ne lui en voulais pas vraiment, un peu comme dans un vieux couple, après tout c’est avec lui que je passais presque tout mon temps - avec le soutien au PC Sécurité de Sophie Le Flour, éditrice empathique et enthousiaste.
Après quelques semaines, j’avais l’impression de le voir écrire, je me mettais à lui parler en traduisant : Là, mon gars, t’exagères, ou Bien joué, mec.
Nous avons passé deux mois plutôt tranquilles, TM et moi : Holiday commence comme un roman d’ambiance à plusieurs voix - j’ai adoré traduire ses chapitres où les enfants s’emparent de la narration. Et puis, après la page 300, tout s’accélère brutalement. La trad elle aussi a pris un coup de boost - il m’arrivait parfois de me lever de mon siège en pleine phrase, comme quand j’écris pour moi et qu’il me semble que le clavier brûle sous mes doigts. J’étais dedans - je m’étais bien gardé de lire le roman avant, je voulais aborder le mystère dans les mêmes conditions que le lecteur… Mais foin de spoiler - je vous mets au défi de trouver le coupable avant la fin.
Holiday, de T.M. Logan, sort aujourd’hui chez Hugo Thriller, et quelque chose me dit qu’un vieux fantasme pourrait prendre vie cet été.
J’ai toujours rêvé de voir un jour la couverture d’un de mes livres entre des mains inconnues dans le métro, ou dans un parc. C’est arrivé une fois mais c’était un ami, ça ne compte pas.
Mais avec ce roman-là, ça pourrait bien arriver.
En tout cas, je n’ai pas peur de le dire : Holiday est le roman qui devrait se trouver sur toutes les chaises de piscine cet été. Parce que je crois que nous avons tous besoin de bonnes vraies vacances.
Prenez du care, et ayez du fun !