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Second Flore - Page 16

  • La Rentrée Littéraire pour les Nuls – Acte V (oct.-novembre)

    Ça y est, le dénouement est proche. L'annonce de la liste finale du Goncourt a sonné le départ de la dernière ligne droite. Sur la scène, la table de banquet a été rapprochée de l'estrade. Le décor ne change pas mais se concentre, on prépare le climax. Et pourtant...

    Acte V, Scène 1 : le Débarquement

    On s'active autour de l'estrade et du banquet : les préparatifs se feront en direct. Mais on ne les entend pas – venant de l'arrière-scène, une sono couvre les voix et les outils. C'est de la musique country.

    … Et pourtant il flotte un parfum étrange sur cette Rentrée. Pendant quelques heures, on commente la dernière liste du Goncourt, mais ce hoquet de petit monde est vite balayé par la sortie de poids lourds étrangers américains, assortie de critiques dithyrambiques qui donnent soudain aux auteurs français un air de littérature de terroir.
    Mais qu'est-ce que vous avez, vous les Français, à être fascinés comme ça par les romans américains ? se gaussait cet été une amie québécoise.
    Mais c'est la France, madame ! Orgueil cocardier et auto-dénigrement, démontage de McDo et carpette rouge devant l'Oncle Sam, et tout ça à la fois.

     

    Acte V, Scène 2 : bouche-à-oreilles

    Quant aux lecteurs, ils ne font pas de discrimination : français ou étranger, un livre vous transporte ou vous tombe des mains, voilà tout. Et tandis que sur l'estrade on a cessé de lire (pas le temps), un peu partout, près de la librairie et sur les bords de scène, on tourne des pages.
    ... Lorsque soudain, coup de théâtre! Lassés des écrivains officiels, des lecteurs ici et là décident d'investir l'espace public. Sur les réseaux, les échos épars entrent en résonance. Cette fois on dépasse le simple bouche-à-oreilles, on milite. Avec ce mantra qui revient souvent : Mais pourquoi donc on n'en parle pas plus, de ce livre ?!

     

    Acte V, Scène 3 : les chiffres

    L'estrade est installée, la date de remise du Goncourt est annoncée. On demande à baisser la musique country, on bâillonne les voix discordantes, et on envoie les premières parties.

    L'avant-Goncourt est bien balisé : remises de prix en tous genres (attention à ne pas remettre le vôtre à un goncourisable), salons du livre (en cas d'assoupissement, prévoir une news people à Brive), rumeurs, pronostics. Quelques jours avant le G-day, les journaux ouvrent un dossier Chiffres : les meilleures ventes, les déceptions, les surprises (oh, tiens, ce sont ceux dont on parlait plus haut). Ça fait toujours patienter.

    NB – dans les représentations d'avant les années 2000, cette scène s'accompagnait toujours de polémiques : les chiffres étaient en effet fournis par les éditeurs eux-mêmes, avec une grosse part de flan. Depuis lors, des panels sont nés et on ne peut plus (trop) tricher, c'est moins rigolo mais du coup on parle (un peu) moins de Christine Angot.

     

    Acte V, Scène 4 : le Goncourt.houellebecq-goncourt_m.jpg

    Pleins feux sur l'estrade ! Caméras, micros et nominés sont tendus, depuis la veille on ne parle que de ça.

    … Et soudain tout s'arrête.
    - Amina, vous êtes notre envoyée spéciale au fameux restaurant Drouant, à Paris, alors où en est-on, le Goncourt a-t-il été remis ?
    - Eh bien non Elise, toujours pas, mais ici je peux vous le dire, c'est l'effervescence...
    Etc.

    On a tous vu ça : le lauréat content mais timide, les caméras carnivores, bousculade, joie, chiffres de vente annoncés et hop, terminé, tout de suite une page de publicité.
    Dès l'annonce le débat s'engage sur les réseaux sociaux, entre C'est un scandale ! et Tout ça pour ça. Cela ne durera que quelques heures. Dans le même temps, au jt on montre la bobine du vainqueur et son livre en pack-shot, on résume le dossier de presse et roule ma poule, les fruits tombent du marronnier et le message est clair – le voilà, le livre que vous allez offrir à Noël.
     

    Acte IV, Scène 6 : bilan

    Sur la scène centrale, une atmosphère de lendemain de fête. Les serveurs rangent la table du banquet, des balayeurs ramassent par terre et par dizaines les romans oubliés de la Rentrée et dont on ne parlera plus jamais.

    Voilà, c'est fini. Les caméras sont rangées, le Goncourt est orné de sa sémillante jaquette rouge. Le temps de remettre quelques derniers prix de consolation (ah, le Prix Décembre et ses 30 000 euros) et on remballe. Pour refermer proprement la page de la Rentrée, les journaux publient un dernier article – Le bilan de la Rentrée : les vainqueurs, les grands perdants, les belles surprises, on interviewe un libraire en encadré.
    Parfois, in extremis, la critique vole au secours de la victoire : elle a fini par lire ce fameux roman que les lecteurs ont lu sans elle (entre ici, Gavalda ! Entre ici, petit hérisson!). Eloge tardif mais appuyé : c'est ce livre-là qu'on retrouvera, à côté du Goncourt et de sa sémillante jaquette rouge, au pied des sapins de Noël. L'autre gagnant de la Rentrée.

     ... Maintenant la musique s'estompe peu à peu, une douce torpeur gagne la scène. Le temps est gris, l'estrade s'est vidée, les éditeurs ont regagné leurs bureaux. Devant la librairie, les coursiers portent de lourds cartons : quelques milliers d'invendus qu'on envoie au pilon pour faire de la place aux livres-de-Noël. Un auteur pleure dans un coin ses espoirs noyés. Pour les chroniqueurs littéraires, il est temps de partir en vacances ou de lire à tête reposée les romans qu'on avait vraiment envie de lire. On ne traînera pas trop : les romans de la rentrée-de-janvier font la queue devant les imprimeries.

    Rideau.

     

    Episodes précédents

    La Rentrée Littéraire pour les Nuls – Acte I (janvier-mai)

     

    La Rentrée Littéraire pour les Nuls – Acte 2 (mai-juin)

     

    La Rentrée Littéraire pour les Nuls – Acte 3 juillet-août)

     

    Brève interruption des programmes

     

    La Rentrée Littéraire pour les Nuls – Acte IV (septembre)

     

  • La Rentrée Littéraire pour les Nuls – Acte IV (septembre)

    L'agora s'est étoffée : une estrade à l'avant-scène, une télévision sur le toit du kiosque. Le marronnier est toujours là. Sur les écrans lumineux, les tweets et autres posts défilent de plus en plus vite (on y verra aussi les requêtes g**gle des auteurs qui en catimini cherchent leur nom sur la Toile).
    Côté cour, la librairie est pleine mais les cartons continuent d'arriver. Côté jardin, une table de banquet. C'est parti.

    Acte IV, Scène 1 : pour ou contre

    Parmi les traditions de la Rentrée, il y a le Débat-sur-la-Rentrée.
    - Quand même, c'est idiot, la Rentrée littéraire, non ? Tous ces livres qui n'auront jamais leur chance.
    - C'est vrai, mais en même temps ça donne un coup de projecteur formidable sur la littérature...
    Le débat n'ira guère plus loin mais chacun participe. Il sont peu nombreux pour défendre la Rentrée, à vrai dire, mais il se trouve toujours un écrivain à succès pour monter sur l'estrade et assurer sans ciller qu'il attend de cette fête qu'elle enchante le plus de lecteurs possibles. Alors tout le monde hausse les épaules parce que tout le monde sait bien, au fond, que rien ne changera.

     

    Acte IV, Scène 2 : champagne !

    Sur la table de banquet, les seaux à glace sont sortis, les flûtes empilées, les serveurs en livrée : tout est prêt. Un auteur remercie plein de gens dans un beau discours mais personne ne l'écoute : on n'est pas là pour ça.

    Septembre est encore jeune et déjà on remet le premier prix de la saison. Il fallait bien un prétexte (et un sponsor) pour déboucher les bouteilles qui attendaient depuis juin. Ambiance rentrée des classes : on retrouve ses amis, on échange les potins, on finit sur les lectures d'été - tiens, tu as lu le Machin ? Quelques noms reviennent sur les lèvres, il reste encore deux ou trois places à prendre sur les strapontins de l'avant-scène.
    Puis on sort les agendas, on fixe un déjeuner et on se donne rendez-vous aux prochaines réjouissances. La soirée d'un réseau de libraires, peut-être, ou un cocktail de lancement : dans l'édition, on paie peu mais on trinque volontiers.

     

    Acte IV, Scène 3 : la liste

    Sur l'estrade s'avance un porte-parole. A l'avant-scène, les acteurs se figent. A l'arrière on s'en fiche un peu mais on finit par tendre l'oreille quand même.

    alexia-anais-eddy-julien-et-vincent-sont-nomines-cette-semaine-10970935kxtde_2038.jpgStop!! On ne joue plus. Tous les livres ne sont pas encore sortis mais les principaux prix dévoilent leur première-liste. Celle du Renaudotarrive par surprise, les autres se suivent et se ressemblent, FeminaFloreetcaetera.
    On commente (parmi les poids lourds, qui a été laissé de côté ?), on compare (quels éditeurs sont le mieux représentés ?), on persifle (combien de journalistes ?), puis arrive la première liste du Goncourt, et les réseaux sociaux s'emballent : comment ça Truc n'y est pas ? / C'est quand même incroyable qu'ils mettent Bidule... / Tiens, qui est donc ce Machin qu'on ne connaissait pas ? Cette fois, la course est lancée.

    Acte IV, Scène 4 : le défilé

    Tout le monde s'agite sur scène... Et pourtant, bizarrement, les acteurs paraissent de plus en plus petits.

    Sur l'agora, les teasings et autres polémiques font enfin place à de vraies critiques.
    Les journalistes ont commencé par les suspects habituels (on n'oubliera pas l'encadré "premieromans" (la compète junior)). Il pleut des éloges, mais qui sait lire entre les lignes et dans les adjectifs repérera aisément les complaisances (un bon critique sait employer des mots très doux pour dire "ne lisez pas ce livre"). A noter : parmi les poids lourds annoncés, l'un doit jouer le rôle du bouc-émissaire. Un premier critique donne le signal vers la fin août, façon 'Habits neufs de l'empereur' (Mais... ce livre est nul!), et hop on se fait plaisir – Allez les gars, cette année on peut se faire Bidule !
    ... Et maintenant il est temps de mettre en avant d'autres romans : un petit génie précoce, une jolie petite effrontée qu'on annoncera comme la nouvelle-Sagan, deux Dupondt qui ont écrit sur le même thème et dont on propose une interview croisée, le livre-qui-divise, un auteur-qui-fait-le-buzz et deux romans-de-la-maturité et, bien sûr, l'ovni de la rentrée.
    ...
    Non mais franchement, ça devient ridicule, on ne parle que des mêmes ! On ne sait pas qui a dit ça, la voix provient d'un haut parleur, et puis soudain on s'en rend compte : ils sont des millions à le penser, et à le dire. Un marronnier participatif.
    La Rentrée n'a pas trois semaines et le public déjà se lasse.

     

    Acte IV, Scène 5 : les livres

    Le son sur l'agora diminue jusqu'à s'éteindre. Dans la librairie, on a posé deux cubis sur une table et des chips dans une assiette, on sort les verres en plastique, un inconnu dédicace quelques livres et d'autres inconnus se réjouissent déjà de les lire bientôt.

    … Et pourtant ! De l'autre côté des haut-parleurs on en trouve, de vraies chroniques qui donnent envie de lire de bons livres. Dans les journaux (si, si ! tournez la page après Eric Reinhardt et vous verrez), sur les sites, dans les librairies. Les romans circulent, les mots passent, Alors t'as lu quoi?, tout cela reste encore indistinct mais elle est là, la Rentrée, un peu partout, joyeuse et cacophonique.
     

    Acte IV, Scène 6 : la finale

    … Et soudain un grand boum ! Alors qu'on était tranquillement en train de lire un de ces livres dont on nous avait dit "vas-y, tu vas aimer ", le haut-parleur se remet à couvrir toutes les voix et annonce, "tant attendue", la Liste finale du prix Goncourt. Exit les rigolos et les coups de pub, cette fois c'est du sérieux. A moins que...

    (à suivre)

     

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    La Rentrée Littéraire pour les Nuls – Acte I (janvier-mai)

    La Rentrée Littéraire pour les Nuls – Acte 2 (mai-juin)

    La Rentrée Littéraire pour les Nuls – Acte 3 juillet-août)

    Brève interruption des programmes

    ... et

    La Rentrée Littéraire pour les Nuls – Acte V (octobre-novembre)

  • Brève interruption des programmes

    Nous voici donc début septembre à l'orée de l'acte IV, où l’éternité de la Rentrée télescope l'actualité du calendrier. Avant de poursuivre, précisons un point : j'ai dit que le scénario de la rentrée était immuable ; il l'est. Mais il faut reconnaître quelques variantes. Disons, pour simplifier, qu'il y a deux types de Rentrée :

    a. la Rentrée sans favori. C'est le cas le plus fréquent – je ne développe pas ici, on verra ça dans l'Acte IV (en résumé : on s'arrange pour en placer une dizaine sur la ligne de départ, et hop, on fait la course)*

    b. la Rentrée avec favori. Dès l'été, pour diverses raisons, on sait que ce sera "lui et les autres". Houellebecq avant qu'il n'ait la Carte, Little, Jenni, Carrère cette année... Dans ces cas-là, on scrute le favori, on monte une petite polémique sur le livre quand on l'a lu, ou sur son auteur (Houellebecq) – ou encore, pour Jenni, sur "le thème qu'il impose en cette Rentrée" (fascinante propension des rédac'chefs à considérer qu'un sujet s'impose à eux au moment même où ils décident de le mettre en Une) ; pour les autres, eh bien, ce sera en vrac.

    Il peut y avoir des surprises, dès le début de septembre.
    Prenez 2012 : Gallimard avait tout fait pour imposer A. Bellenger et refaire le coup de Jenni. Est-ce une surprise que ça n'ait pas marché ? On en parla, beaucoup, on storytella, on lança des extraits, puis on le lut et on l'oublia. Jolie fable.
    Prenez 2014 : au début de l'été, on ne parlait que du roman d'Emmanuel Carrère. L'auteur, le thème : tout concordait. Mais les jurés du Goncourt l'écartèrent de leur première liste, lui préférant des livres et des auteurs évidemment supérieurs (le seul que j'aie lu jusqu'ici de cette liste est hautement passable dans sa couverture bleue, mais je ne dois pas avoir le goût très sûr car on le retrouve nominé partout). Avaient-ils conscience en faisant cela qu'ils ne faisaient que renforcer le côté "lui et les autres" ? Je ne sais. Et puis, hein.

    Notez encore que ces surprises semblent bien dérisoire quand arrive soudain l'Evénement imprévu – le pavé dans la mare. Une crise aiguë de narcissisme vengeur d'une ex de président, par exemple, doublée d'un fameux coup d'éditeur. Mais bon : pour une fois qu'on promettait du sang, du vrai, une femme brisée et des dents cassées, qui aurait pu résister ?

    * Question d'un auditeur : mais au fait, pourquoi les journaux, avec cette profusion, parlent-ils tous des mêmes livres ? Et pourquoi retrouve-t-on les mêmes sur toutes les listes des principaux prix ?
    - Bonne question Michel ! La réponse est simple : c'est parce que ce sont les meilleurs livres de la rentrée (rires dans le studio). Plus sérieusement : il sort en septembre 400 nouveaux romans français ; à ce stade, les critiques les plus professionnels en ont lu/parcouru quelques dizaines au max, et ils ont commencé par les "poids lourds", soit par envie, soit par pression (amicale) des attachées de presse, soit par pragmatisme (ils ont un rédacteur en chef).
    Quant aux jurés de prix, qui n'ont pas de rédacteur en chef mais de solides accointances avec les grandes maisons d'édition, la question est plus pernicieuse, et cache un axiome dont on ne parle jamais : les jurés du Goncourt, comme les autres, ne lisent jamais que les livres qui se sont inscrits au concours.

    - Ah bon ! Il y a un formulaire d'inscription ?
    - Eh non ! C'est tout l'art français du plafond de verre : les règles sont strictes mais jamais écrites.
    - Mais alors, il faut faire quoi, pour s'inscrire ?
    - Si je savais! Disons, a minima : envoyer le livre aux jurés, les relancer pour s'assurer qu'ils l'ouvriront, les faire un peu saliver, orienter leur lecture au besoin (ils n'auront probablement pas le temps ni l'envie de tout lire), relancer amicalement à quelques jours de la première réunion du jury (dont on connaîtra bien sûr la date)... Tout ceci nécessite des moyens et de l'entregent. Tu comprends maintenant pourquoi les petites maisons ne sont quasiment jamais représentées ? Note bien que même chez les gros, la compétition est féroce dès les tours préliminaires : car ton éditeur, dans le secret de son bureau, t'aura peut-être préféré tel roman "taillé pour les prix" ou tel auteur tellement photogénique : ce sont eux, et pas toi qu'il inscrira à la course aux grands prix. Dura lex sed lex.
    - Je comprends. N'empêche que c'est dégueulasse. Les journalistes pourraient quand même sortir des sent... (etc)
    - Certes. Tu verras dans les deux derniers actes que tout n'est peut-être pas pourri au royaume de la Rentrée. En attendant, je te laisse avec cette question : si tu avais devant toi une pile de cent livres arrivés chez toi en une semaine, comment t'y prendrais-tu ?
    - Euh...
    - Je te laisse réfléchir et on reprend la pièce, ok ?
    - Ok.

     

     

    La Rentrée Littéraire pour les Nuls – Acte I (janvier-mai)

    La Rentrée Littéraire pour les Nuls – Acte 2 (mai-juin)

    La Rentrée Littéraire pour les Nuls – Acte 3 juillet-août)

    Brève interruption des programmes

    La Rentrée Littéraire pour les Nuls – Acte IV (septembre)

    La Rentrée Littéraire pour les Nuls – Acte V (octobre-novembre)

  • La Rentrée Littéraire pour les Nuls – Acte 3 (juillet-août)

    lecture_hamac.jpg?itok=X3G8cGAoDans le canon du théâtre classique, l'acte III est celui de la Crise - moment de tension extrême où tout semble inextricable. Dans la comédie de la rentrée littéraire, il se situe durant l'été, où la tension retombe. Erreur du dramaturge ? Que nenni. Parce que bon, c'est toujours un peu la crise, dans l'édition.
    Et puis, parfois, tout se joue vraiment pendant l'été...
     

    Acte III, scène 1 : silence, on lit
    Même décor que l'acte II pour raisons d'économies. On a ajouté un poste radio à côté du kiosque fermé. Lumière d'été (pluie sur Paris).
    Au-dessus de la scène s'affiche un panneau lumineux sur lequel défileront des tweets et autres posts des différents protagonistes sur les réseaux sociaux.

    Selon la bible, les critiques partent en vacances avec les livres qu'ils ont reçus avant juillet. C'est faux, évidemment : la plupart se passeraient bien de lire quand ils sont en vacances ; et puis, ils ne partent pas si longtemps (quand on le fait honnêtement, critique est un métier bien mal payé).
    Aussi les voit-on de ci de là faire une apparition sur les réseaux sociaux. La plupart du temps une simple photo – tel livre sur une table de travail à côté d'une tasse de café. Parfois une phrase : Je suis en train de lire Machin - à suivre ! Quelques like, peu de commentaires, mais quelques noms apparaissent que l'on retrouvera plus tard...
    (A noter aussi, ces statuts sybillins de critiques établis, en mode teaser : Attention, énorme surprise à venir aux éditions Bidule ! Mais on ne saura pas qui : le critique-établi garde sa découverte pour les pages de son magazine. Etonnamment, son statut sera commenté par quelques personnes : deux collègues qui sont dans la confidence, trois wannabes et une stagiaire des éditions Bidule)

     

    Acte III, scène 2 : 15 août : Rien.

     

    Acte III, scène 3 : Semaine du 16 août
    Le poste radio sonne la pré-rentrée. Dans les émissions d'été, on commence à inviter des libraires et des amis journalistes littéraires, on badine – Alors, qu'est-ce que vous avez lu cet été ? Et elle s'annonce comment, cette Rentrée ?
    L'auditeur qui ferait attention (mais personne n'y prête vraiment attention) apprendrait à distinguer les critiques qui parlent des livres qu'ils ont lus et ceux qui n'hésitent pas à qualifier la rentrée dans son ensemble ("décevante", "enthousiasmante" ou "surprenante"), et à détecter une tendance dès que deux livres présentent un thème commun. Ceux-là sont les imposteurs. Ils sont peu nombreux mais on les invite plus souvent.

     

    Acte III, scène 4 : 20 août
    Lumière sur la librairie. Une pile de cartons est déposée devant la porte. Un livreur en sueur en porte un à l'intérieur. Un grand gong retentit.

    C'est le grand jour. Deux semaines avant la rentrée des classes, le libraire accueille le premier office de la Rentrée (selon le saint calendrier littéraire, la quasi-totalité des livres de septembre sortent l'un des trois jeudis qui suivent le 20 août). Il déballe les premiers cartons, sourit en sortant certains romans qu'il attendait depuis des mois, peste en découvrant qu'on lui a fourgué dix exemplaires d'un livre qu'il ne voulait pas, il remplit la vitrine, dépoussière la tables des nouveautés... Bref, c'est reparti.

     

    Acte III, scène 5 : Dernière semaine d'août
    Le kiosque a rouvert, le vent se remet à souffler dans les branches du marronnier.

    Radios et télé sont encore branchées sur leurs grilles d'été, mais dans les magazines et sur le web, les rédactions sont au taquet. Sur toutes les branches du marronnier fleurissent des papiers sur "ce qui vous attend à la Rentrée". On y rappelle une dernière fois le Chiffre, on annonce les poids lourds, les confirmations attendues, les livres-qui-feront-polémique, les...
    - Eh mais attends, ce sont les mêmes qu'en juin, là ! s'écrie dans la salle un spectateur mécontent.
    Il a raison. Les catégories et les noms (hormis un ou deux qui font soudain leur apparition dans les "surprises possibles "*) sont les mêmes qu'avant l'été, comme si personne n'avait rien lu entre temps. (Ce qui est faux).
    C'est que le temps n'est pas à la critique : après la pause-estivale on resitue l'intrigue, on donne le top départ de la course aux prix, on se demande qui figurera sur la première liste du Renaudot. Bref, tout ce dont les lecteurs se contrefoutent mais qui passionne le bvd Saint Germain (entre les numéros 77 et 199).
    Pour parler vraiment des livres, il faut encore attendre une petite semaine...

    (à suivre)

    ---

    Notes et illustrations...

    * A ce stade, notons trois catégories de livres dont le statut peut changer pendant l'été :

    - les Surprises : ce sont les noms qui apparaissent vers la fin août. Ce peut être un(e) ami(e) du journaliste ou une vraie découverte de ses lectures d'été (parfois les deux). Se méfier des "surprises" qu'on retrouve partout : l'auteur (ou son éditeur) est ami de tout le monde.

    - le Pavé-consensus : c'est une rumeur qui enfle depuis l'Acte I et qui emporte tout sur son passage, comme Les Bienveillantes à l'été 2007. Ou Alexis Jenni en 2011, porté aux nues par les critiques dès la fin de l'été. Un coup parfait de l'éditeur : 600 pages (on confond aisément 'grand roman' et 'gros roman'), un forcing habile en mode storytelling ('le génie méconnu qui soudain se révèle'), 40 premières pages (réellement) excellentes et hop, les critiques assaillis de romans n'avaient plus besoin d'aller plus loin.
    (NB – après lecture d'une dizaine de chroniques de l'époque, je puis parier sans risque que 90% des critiques de L'Art français de la guerre en 2011 n'avaient pas dépassé la page 50 (comme 90% des lecteurs, notez bien, la suite étant largement indigeste)).

    - les Confirmations attendues : c'est peut-être la catégorie la plus intéressante. En gros, il s'agit d'auteurs dont les journalistes avaient aimé le premier roman... mais qu'ils avaient découvert un peu trop tard pour lui faire une place dans le feuilleton. Notez que le phénomène vaut aussi en musique ou au cinéma : les louanges ont souvent une œuvre de retard.
    Un exemple 2014 ? Prenez Julia Deck. L'an dernier, j'ai découvert son premier roman, Viviane-Elisabeth Fauville. C'était bon, intelligent et inventif, prometteur. Du coup, j'ai très envie de lire le prochain Julia Deck. Et je ne suis pas le seul. Nombre de critiques l'avaient repérée fin 2012 (on le verra dans l'Acte V), et depuis deux mois, c'est toujours son nom qu'on entend dans la catégorie 'attendus' – sans qu'on n'ait lu un seul mot sur la qualité du livre (allez, si : 1). Et là, voyez : comme les autres, sans l'avoir lu je fais passer. Hop. C'est tellement simple, une pré-rentrée littéraire.

     

     

    La Rentrée Littéraire pour les Nuls – Acte I (janvier-mai)

    La Rentrée Littéraire pour les Nuls – Acte 2 (mai-juin)

    Brève interruption des programmes

    La Rentrée Littéraire pour les Nuls – Acte IV (septembre)

    La Rentrée Littéraire pour les Nuls – Acte V (octobre-novembre)

     

  • La Rentrée Littéraire pour les Nuls – Acte 2 (mai-juin)

    images?q=tbn:ANd9GcT2ObeFPhZVQ_oTTzmYZXPXFUAcHnb-rS_rjuNY7zwz2_6BZZPTTandis que sur le plateau les techniciens s'affairent à changer le décor, on entend tourner à plein régime les presses des imprimeurs. Quand le rideau se relève tel Philippe Labro après une dépression, le vacarme s'atténue ; il ira decrescendo durant tout l'acte. Régulièrement, depuis les coulisses, des livres voleront jusqu'à la scène, pour certains porteurs de la mention Epreuves non corrigées.

    (Attention : deux scènes comportent des images pouvant heurter
    les spectateurs sensibles (et les idéalistes))

    Acte II, scène 1 : tractations
    Décor : la scène en agora et cirque médiatique : des bancs, un café et un kiosque à journaux. Côté cour, une librairie. Côté jardin, l'appartement d'un critique littéraire.

    Sur le devant de la scène, ballet enjôleur des attachées de presse autour des principaux journalistes qui ne savent plus où donner de la tête. Confusion, profusion, promesses, effusions.
    Côté cour, les représentants se succèdent chez le libraire ; ils ont à la main de longs listings qui traînent à terre. Côté jardin, les piles de livres grandissent sur le bureau du critique.
    A l'arrière-scène, des petits éditeurs opiniâtres sautent sur place pour tenter d'accrocher l’œil d'un journaliste (prendre des comédiens de petite taille). Certains, découragés, retournent déjà en coulisses ; ils espèrent faire leur retour sur scène avant l'Acte IV.

     

    Acte II, scène 2 : représentation (chez le libraire)
    Les tractations continuent en silence au centre de la scène. Lumière côté cour.

    Un représentant sort la librairie, un autre arrive. Une minute, j'arrive! dit le libraire occupé avec une cliente.
    Flashback : le représentant se souvient de cette longue journée à Paris, fin avril, où tous les éditeurs étaient venus présenter leur Rentrée. Il avait écouté, bâillé, pris quelques notes, posé quelques questions...
    … Et maintenant le voilà avec en mains une liste d'une centaine de titres. Il a quelques minutes pour les présenter au libraire et noter les commandes – L'éditeur veut mettre le paquet sur cet auteur, je t'en mets cinq ? Et celui-là, allez, tu m'en prends un ? Au final, il aura le temps de parler de vingt livres. Pour le reste, il laisse son listing au libraire.

    (Scène méconnue mais décisive – on comprend que certains livres sont déjà condamnés plusieurs mois avant leur sortie. Il n'est pas rare que les spectateurs réagissent dans la salle : Mais c'est horrible ! On ne peut pas abandonner les livres comme ça !
    - Ah oui, et on fait comment ? réplique l'acteur qui joue le représentant, quand il prend son rôle à cœur.)

     

    Acte II, scène 3 : chez le critique
    Lumière côté jardin. L'appartement est en désordre (le décorateur peut se faire plaisir). Des piles de livres menacent de s'écrouler.

    Dans l'ombre, les services de presse continuent leur travail. On envoie des exemplaires, on relance, on oriente la lecture, on prépare les discours (C'est vrai que le dernier était un peu en-dessous mais là il s'attaque à un gros sujet... / Un texte magnifique sur... / Tu verras, c'est l'ovni de la rentrée, etc).

    Chez le critique, les livres arrivent en continu, par courrier ou par coursier. Les piles ne cessent de croître. Le critique se lève (tard), prend son café, ouvre des enveloppes, premier tri... Suspense ! Quel livre va-t-il ouvrir en premier ? Lesquels posera-t-il en équilibre sur la pile "A lire plus tard" dont il sait qu'il ne les lira probablement pas ? Il soupire en regardant le tas en attente, et sort se refaire un café.
    A cet instant, le téléphone retentit. C'est une attachée de presse qui l'invite à déjeuner et insiste sur un auteur (l'ovni de la rentrée). Le critique raccroche et finit par retrouver le livre dans une des piles. Il ouvre la première page. La pile s'écroule. La lumière s'éteint.
     

    Acte II, scène 4 : le Chiffre et les lettres
    Quelques semaines ont passé. Près du kiosque à journaux a poussé un marronnier.

    Un grand coup de gong et soudain tous les acteurs s'arrêtent : le Chiffre vient de tomber. On annonce N romans pour la Rentrée à venir (X français, Y étrangers, Z premieromans : ce sont les trois catégories qui recevront des prix).
    Aussitôt les gazettes répercutent l'information. On commente les chiffres (plus ou moins que l'an passé ?) et on en tire quelques analyses rapides sur la santé de l'édition (selon l'humeur du journaliste, une hausse du Chiffre pourra être vue comme un signe de santé ou comme une évidente surproduction) avant de souhaiter un bel été aux lecteurs. Le marronnier frémit dans le vent de printemps.

     

    Acte II, scène 5 : fermeture du kiosque
    Dernier jour de juin. C'est la date officieuse de clôture des inscriptions pour les Prix littéraires (on y reviendra).
    C'est aussi la date de sortie du dernier numéro de Livres Hebdo avant les vacances. Un long dossier y présente la Rentrée à venir. On rappelle les chiffres, on hasarde une synthèse (Cette Rentrée s'annonce [ici, un adjectif], ou La prochaine rentrée se fera sous le signe de [ici, un nom]) puis on décline les différentes catégories : les poids lourds, les confirmations attendues, les livres-qui-feront-polémique, les surprises possibles, l'ovni-de-la-rentrée. Rien n'a encore été lu, mais ça y est, l'intrigue est en place.
    Le lendemain paraît le numéro de Lire spécial été, avec les bonnes feuilles des "romans attendus". Sur ce, juillet s'installe. Le kiosque ferme. Le critique prépare son sac de plage en y tassant trois livres. Le libraire, lui, ne ferme pas ; il reçoit des cartons de "livres d'été" et se sent un peu seul.
    Une cloche retentit, ce sont, très officiellement, les vacances.
    Rideau.

    (à suivre)

     

    La Rentrée Littéraire pour les Nuls – Acte I (janvier-mai)

    La Rentrée Littéraire pour les Nuls – Acte 3 juillet-août)

    Brève interruption des programmes

    La Rentrée Littéraire pour les Nuls – Acte IV (septembre)

    La Rentrée Littéraire pour les Nuls – Acte V (octobre-novembre)

     

  • La Rentrée Littéraire pour les Nuls – Acte I (janvier-mai)

    Bkt_pIOCIAA9B0R.jpg:largeRestez à la buvette, les amis, l'acte I se passe (quasi) intégralement en coulisses !

    A noter : hormis cette aventureuse singularité, l'acte I de cette comédie dramatique respecte parfaitement sa fonction d'exposition : apparaissent les personnages et leurs intérêts, on découvre l'univers, le décor, on pose les bases pour l'intrigue à venir... Bref, allons-y.
    .

    Acte I, scène 1 : entrée des auteurs et des éditeurs
    Décor : Paris enneigé (mettons, du côté de l'Odéon)

    On dit que la rentrée de septembre commence dès le printemps, mais c'est faux : elle commence bien avant, dans des bureaux bien chauffés. Chez les grands éditeurs, les auteurs qui veulent jouer doivent rendre leurs manuscrits en janvier. Les éditeurs lisent, évaluent les chances, sélectionnent – une sorte de primaire interne. Début février, des noms apparaissent, on établit des budgets secrets, on prépare des plannings de production – bref, on s'affaire.
    Pendant ce temps, sur scène, c'est la rentrée de janvier qu'on commente. Business as usual.

     

    Acte I, scène 2 : entrée des journalistes et des jurés de prix
    Même décor ; côté jardin, une table avec nappe à carreaux,
    serviette et bouteille de vin

    A l'arrière-scène, les auteurs de septembre sont retournés au travail (on les voit dans la pénombre, éclairés par la lueur de l'Espoir). Côté jardin, les éditeurs sont au téléphone, puis sortent déjeuner avec des journalistes, des rédacteurs en chef, des jurés de prix. Révélations, confidences, on s'autorise un petit digestif. C'est le temps des rumeurs.
    Pendant ce temps, sur scène, etc.

    (Noter à ce stade que certains acteurs peuvent jouer plusieurs rôles (auteur, critique et juré de prix, par exemple). On ne s'embêtera pas trop à changer de costume)

     

    Acte I, scène 3 : entrée des diffuseurs
    Même décor ; côté cour, des bureaux austères ;
    au mur, des tableaux de chiffres

    L'entrée des diffuseurs s'accompagne d'un coup de gong. Début mars, tous les éditeurs sont sommés de livrer leur programme pour la rentrée de septembre. On se réunit, on calcule, on échafaude des plans de bataille.
    (NB - pour qui ne connaîtrait pas les diffuseurs : ce sont eux qui font l'intermédiaire entre les éditeurs et les libraires ; ils présentent en amont les livres à venir aux libraires, prennent les commandes et assurent les livraisons depuis de gigantesques entrepôts. Ah, et aussi : on compte des milliers de librairies, des centaines d'éditeurs, et une dizaine de distributeurs (dont quatre gros) – si vous avez fait un peu d'éco au collège, calculez où se situe le pouvoir économique dans l'édition)

    A ce stade apparaît la première tension dans l'histoire : un petit éditeur qui se démène sur scène se retourne vers l'arrière-scène et crie : "Eh, j'ai des livres qui sortent en avril, moi. Vous vous en foutez ?" Dénégations polies depuis les coulisses, soupir de l'éditeur.

    Vers la fin de la scène arrivent les attachées de presse (prévoir quelques acteurs masculins). On déjeune de plus en plus.

     

    Scène coupée : le Salon du livre

    La pièce originelle incluait ici une scène où tous les acteurs se mélangeaient au Salon du livre de Paris. Sur les stands, on buvait du champagne en commentant les ventes de janvier et en se demandant - "et alors, toi, en septembre?"
    C'était une scène spectaculaire - on invitait même parfois des spectateurs à venir sur scène. Pour des raisons d'économie, elle a été supprimée dans les récentes représentations. Il faut dire aussi que depuis quelques années, le Salon du livre emmerde un peu tout le monde.

     

    Acte I, scène 5 : où l'intrigue commence à se nouer
    Lumière de printemps, les feuilles poussent petit à petit sur les arbres.

    Les conversations se précisent, les rumeurs se propagent et quittent la capitale. En mai, les grands éditeurs invitent les libraires pour présenter leur Rentrée, les petits éditeurs font ce qu'ils peuvent, les diffuseurs commencent à diffuser. Quelques noms reviennent avec insistance. Ce sont ceux des auteurs que les éditeurs ont choisi de mettre en avant – autrement dit : ceux dont ils espèrent bien qu'au final ils seront les gagnants de la distribution des prix.
    Telle est au fond la dramaturgie de la Rentrée : un loooong feuilleton pour savoir qui aura le Goncourt. En ce sens, c'est une intrigue très classique : plusieurs candidats sur la ligne de départ, et savoir qui gagnera à la fin.

    … Mais c'est compter sans ces centaines d'auteurs qui déboulent maintenant côté jardin, avec leurs éditeurs, leurs attachés de presse et leurs diffuseurs, leur plume et leur couteau. Eux aussi ont envie de jouer des coudes, parmi eux on compte même quelques acteurs connus, des jeunes premiers plus qu'avenants... La scène paraît bien trop petite, et pourtant tous s'y précipitent. Combien, parmi eux, seront encore présent au dernier acte ? Suspense !
    On peut aussi la voir comme ça, la Rentrée, pour lui trouver une originalité : un drame dont on ne connaît qu'à la fin le nom des personnages principaux.

    Mais chut, nous sommes déjà en mai, côté cour les presse des imprimeurs ne s'arrêtent plus de tourner, les acteurs vont bientôt envahir la scène pour l'acte II.
    A suivre...

     

     

    La Rentrée Littéraire pour les Nuls – Acte 2 (mai-juin)

    La Rentrée Littéraire pour les Nuls – Acte 3 juillet-août)

    Brève interruption des programmes

    La Rentrée Littéraire pour les Nuls – Acte IV (septembre)

    La Rentrée Littéraire pour les Nuls – Acte V (octobre-novembre)

     

  • Portrait d'une Rentrée littéraire (bande-annonce)

    passage33.jpgJe sais, je sais, je ne devrais pas regarder les articles sur la Rentrée littéraire. D'abord parce que je m'en fous, ce blog antédiluvien doit bien pouvoir le prouver, ensuite parce qu'évidemment, à guetter son nom dans les gazettes, même à son corps défendant, on dépense quand même pas mal d'énergie pour rien - ou presque : un petit shot d'ego de temps en temps au milieu d'un océan dont chaque vague vous rappelle, s'il en était besoin, qu'on est bien peu de chose, ma bonne dame.
    Je me souviens d'avoir entendu fortuitement, un lointain soir de septembre, la conversation de quelques personnages secondaires du petit monde littéraire (disons, des auteurs de division 2) commentant leur Rentrée. Untel évaluait ses chances d'avoir un papier dans Elle, tel autre conchiait ce journaliste de Libé qui lui avait promis que, etc. Le petit monde des lettres ne semblait que faveurs et retours d'ascenseur, et la condition d'auteur semblait bien triste quand on décidait d'entrer dans la ronde.

    On connaît le(s) remède(s) : se rappeler que la Rentrée n'est qu'une fiction et que seuls les livres sont réels,  partir ailleurs sans se soucier de voir si on y est ou pas, faire autre chose, regarder dehors et non dedans, reprendre Truc#5...
    Mais parfois, avouons-le, les forces obscures sont plus fortes, et la tentation est toujours grande de mettre un pied dans le cercle à défaut de mettre les deux dans le plat.

    Alors bon, me disais-je, quitte à avoir la Rentrée dans la tête, autant en faire quelque chose. Un portrait, par exemple. Non pas un portrait de cette-rentrée-2014 (laissons ça aux professionnels), mais un portrait intemporel de la Rentrée en tragédie classique. Un feuilleton en cinq actes au canevas immuable et au scénario bien huilé – un scénario où seuls les acteurs changent, et de temps en temps (mais alors, rarement) les producteurs.
    La Rentrée littéraire pour les Nuls, en quelque sorte. Le scénario dévoilé à l'avance, scène par scène, un zeste de coulisses, et quelques exemples réels pour rigoler un peu.
    Allez, je m'y colle. Installez-vous tranquillement à la buvette, je vous préviendrai. D'ici là, bonnes lectures.

    --  EDIT  --

    Ainsi donc...

    La Rentrée Littéraire pour les Nuls – Acte I (janvier-mai)

    La Rentrée Littéraire pour les Nuls – Acte 2 (mai-juin)

    La Rentrée Littéraire pour les Nuls – Acte 3 juillet-août)

    Brève interruption des programmes

    La Rentrée Littéraire pour les Nuls – Acte IV (septembre)

    La Rentrée Littéraire pour les Nuls – Acte V (octobre-novembre)

  • 2014 fragments d'été [et d'automne]

    Cher lecteur anonyme (ou toi, tiens, si tu passes par là), sache j'ai pensé à toi plusieurs fois cet été. Il y a quelques années, je me serais sorti les doigts des poches du short pour écrire une note un peu forcée, ou t'envoyer une carte postale. Cette fois j'ai préféré garder l'ordinateur fermé pour mieux ouvrir les yeux et mon carnet de notes.
    Mais puisque la Rentrée a sonné et qu'il est temps d'ouvrir windows, allez, en vrac et pour mémoire, je peux te (me) livrer façon kaléidoscope les cartes postales que j'aurais pu écrire au gré de quelques pérégrinations européennes :

    - le combat épique de deux Londres sur le soleil (oui oui) de Canary Wharf à midi : une moitié de la ville courant le long de la Tamise, l'autre déjeunant d'une pinte de blonde ;
    - la détresse de l'écrivain-voyageur-débutant, parti retrouver son personnage à Vienne et le découvrant déprimé et mort d'ennui au bord du beau (et lent) Danube bleu ;
    - la cité HLM de Bratislava, 100 000 habitants et pas un commerce ;
    - la beauté légère de Prague, et la lourdeur des touristes en groupe ou en selfie ;
    - des grappes de Sud-Américains en adoration devant le "Bambino di Praga", et soudain l'écrivain-voyageur-débutant assassinant son personnage en pleine église, pour enfourcher gaiement et gaillardement la première personne du singulier.

    J'aurais pu te parler de quelques lectures, aussi, toujours vers l'Est. La trilogie du Grand Cahier d'Agota Kristof, par exemple. Ou Bohumil Hrabal le truculent (Moi qui ai servi le roi d'Angleterre), qui m'aura bien aidé à trucider mon personnage trop encombrant. Ou encore le Monde d'hier, de Zweig, qui aura trouvé in extremis sa place dans Truc#4.

    COUV-Sous-les-couvertures-270x395.jpg… Parce que oui, il est bien là, Truc#4, ou presque.
    Fraîchement imprimé, la couverture bariolée, prêt à plonger dans le grand bain de la RentréeLittéraire©. Les plus anciens par ici l'ont connu jadis sous le nom de Truc#2. C'est que ce fut une longue, longue histoire – je la raconterai peut-être, franchement je ne sais pas encore. En tout cas le temps risque d'être long jusqu'au 18 septembre. J'aurai peut-être besoin de toi.

    D'ici là, qui que tu sois, je t'embrasse.
    A très vite.

     

  • Le quatrième mur

    Où l'on rattrape son retard avec délectation, suite.

    chalandon, mur, chatilaJe l'avais acheté à sa sortie, deux fois prêté mais encore jamais ouvert. Allez savoir. Peut-être parce que je pressentais que Le quatrième mur est l'un de ces livres qu'on ne lit pas à l'improviste. Par la suite il y eut des prix, des louages, mais du texte lui-même je n'avais rien voulu qu'on me dise.
    Je ne connaissais que la 4e de couverture : un petit théâtreux de patronage file à Beyrouth en pleine guerre pour y monter l'Antigone d'Anouilh, en prélevant dans chaque camp un fils ou une fille pour en faire des acteurs. Le tout par fidélité à un ancien frère de lutte dans le Paris politisé des années 70.
    Hum, disait mon petit doigt. Mais j'avais lu Mon traître et Retour à Killybegs, je ne voyais pas comment je pourrais être déçu... Quoique ?

    Le brouhaha de la Rentrée littéraire s'était tu depuis longtemps, le livre était toujours là, sur la table, avec un peu de poussière qui me disait que décidément j'avais trop attendu. Alors dès la fin du voyage, dans l'énergie molle et neuve du retour, je me suis rendu au pied du 4e mur et j'ai affronté le livre.
    D'une traite, ou presque.

    … Et après avoir admiré, souri, tremblé, espéré, je suis finalement entré dans Chatila sur les talons du narrateur.
    Alors je me suis mis à tourner les pages de plus en plus lentement, avec précaution comme pour ne pas faire de bruit, la bouche ouverte pour chercher l'air, et un picotement derrière les yeux.

    Je vous souhaite la même chose, si ce n'est déjà fait.