Il y a des noms, comme ça, qu'on connaît sans rien savoir. François Sureau, par exemple. Si on m'avait demandé j'aurais répondu que c'était un écrivain, mais un écrivain qui écrivait quoi ? Je n'en avais aucune idée. Simplement la vague intuition que parce que personne (amis et friends, médias ou revues) ne m'en avait jamais parlé, ce ne devait pas être un écrivain pour moi.
Ce qu'on est bête et primaire, quand même.
Heureusement, j'ai deux éditeurs au goût sûr. Et éclectique. L'autre soir, on aurait pu parler de SLC, fomenter un plan de conquête du monde et puis finalement non, on a parlé d'autres livres, ils soutenaient Maulin pour le prix de la page 111, puis ils ont insisté sur un livre qui n'atteignait pas la moitié de 111 pages. Le chemin des morts, de François Sureau. Ils ne m'ont rien dit dessus, ou presque, juste Lis-le. Ce n'était même pas un conseil, c'était une évidence.
Il m'a fallu deux semaines pour m'y résoudre, et le trouver. Et puis cette première phrase :
Les années quatre-vingt sont loin et me font penser à l'avant-guerre, mais à une avant-guerre que nulle guerre n'aurait conclue, et qui aurait simplement changé de cours.
Je n'en dis pas beaucoup plus, les 55 pages du roman sont de ce calibre et ne faiblissent jamais.
55 pages de souvenir d'un passage au Conseil d'Etat, à la commission des recours des réfugiés, au début des années quatre-vingt, et d'un cas en particulier : celui d'un réfugié basque, repenti de l'ETA et qui se dit menacé de mort de l'autre côté des Pyrénées. Faut-il le croire, au risque de désavouer la toute nouvelle République espagnole ? Atermoiement de l'homme, dilemme du juriste.
55 pages qui en valent 200, écrites avec le recul de la sagesse et la liberté du retraité, où l'on s'amusera à noter ce qui ne change jamais chez les hommes (le fonctionnaire face à sa tâche, l'inertie face à l'exception)... et en creux, toutes les choses qui ont changé depuis trente ans et dont on s'étonne parfois qu'elles aient un jour été différentes. Sur le rapport aux frontières, par exemple. Et à l'étranger.
[ci-gît un autre extrait que je retire pour mieux te laisser découvrir. Je n'en garderai que la conclusion : "Lorsqu'un juge adopte une solution, c'est bien souvent que la décision inverse lui paraît impossible à rédiger, pas davantage."]
55 pages, dont une bonne quinzaine sont désormais cornées.
Salut à toi, auteur en promo qui assure peser chaque mot d'un roman. Repèse bien tes mots, et lis François Sureau.

Le temps n'était plus à la délicatesse, il fallait bien écarter les jambes à présent, tout voir et tout montrer. Le spéculum moderniste avait son intérêt, évidemment, la fin d'une certaine forme de cucuterie qui confinait à l'hypocrisie, un réveil des sens, l'affirmation de la valeur transgressivité. La pornographie ou la génitalité crue en peinture ont toute leur place, mais fallait-il pour cela vouer aux gémonies la suggestion, la douceur, toutes les fleurs bleues de la création, avec ce même intégrisme, en miroir, qui avait animé les hérauts du puritanisme ? Peu de caresses au vingtième siècle si on fait le compte.
Tenter de plier un tableau tout entier à une interprétation, quelle qu'elle soit, est un réflexe d'une intergalactique bêtise. Il est normal de se raccrocher aux branches, d'élucider les références que mobilise une image, de fournir un nom, au moins provisoire, aux émotions que l'on ressent, mais il faut s'en défier. Un seul critère compte vraiment : Est-ce que ça le fait ? (…) Le reste, c'est du baratin, c'est de la mousse pour draguer les filles, pour se draguer soi-même et finalement pour se protéger du chaos que les forces invisibles les plus belles peuvent mettre en notre esprit. Véritablement regarder, c'est accepter le chaos pour ce qu'il est
On ne parle jamais ou presque du prix d'un livre. Tu me diras, quand on aime on ne compte pas, mais à ce compte-là on pourrait en parler quand on n'aime pas, par exemple. Mais non, dans les critiques, il n'est jamais question du prix.
Depuis que j'ai l'âge de lire des magazines, je crois avoir toujours lu des articles sur le déclin de la littérature française. Des analyses qui manquent souvent, et cruellement, de bases tangibles. Il y a bien eu, en début d'année,

Les roquettes intelligentes et bien intentionnées du Pacte de l'Atlantique Nord commencèrent à gronder au-dessus des installations industrielles de la région. De notre appartement à flanc de colline, on avait une merveilleuse acoustique. La censure qui régnait sur tous les médias débitait des fables d'Esope sur les objectifs atteints, notre défense anti-aérienne menait des actions énergiques. Nous avons commencé, sans nous en rendre compte au début, à nous habituer.
Ce livre n'avait a priori rien pour me plaire. Une histoire linéaire (la vie d'une femme de l'enfance à la mort), un personnage ordinaire et une narration à la deuxième personne – le genre de procédé qui ne fonctionne jamais, même dans une courte nouvelle.
Je te recommanderais bien la folie légère de
Je peux aussi te confier à la folie ordinaire des hommes avec David Vann. Son Goat Mountain revient vers les motifs du fameux