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Second Flore - Page 12

  • Vincent Almendros - Un Eté

    vincent almendros, un été, minuit, politesse, exactitudeIl y a des auteurs qui savent se contenter de 90 pages là où d'autres en auraient fait 300. C'est un talent, une grâce parfois. Une politesse aussi, pour le lecteur.
    C'est important, la politesse.
    Bon Eté.

    Vincent Almendros, Un Eté -
    Ed. de Minuit (where else?), 2015


    .
    PS - J'allais écrire que l'exactitude est la politesse des grands auteurs. C'est toujours séduisant, une formule comme ça qui détourne un dicton connu et semble faire mouche. Là, j'y crois assez.
    Précision, concision, quelques phrases et hop! l'imagination du lecteur fait naturellement le reste. Reste à s'entendre sur la définition d'exactitude. Je viens de me taper quelques textes qui semblent confondre exactitude et exhaustivité, où l'auteur assomme son lecteur de détails qui tiennent plus de la pollution que de la précision. M'enfin, ceux-là sont parfois en tête des ventes...
    Le débat est ouvert.

     

  • J'ai été lu par les blogueuses (même pas mal)

    En près de dix ans de blog, c'est la note que j'aurai le plus différé. Pour plein de raisons que tu comprendras peut-être. Mais bon, je l'avais promise (à moi, surtout), alors allons-y d'une traite, et gaiement, ensuite on pourra passer à autre chose. En fin de billet, si l'écriture me grise un peu, je pourrais bien en dire un peu plus sur cet autre chose, mais pas sûr. Immonde teasing, je sais. J'assume. Accroche-toi, on y va.

    Sous-les-couvertures-Bertrand-Guillot-300x213.jpgRésumé des épisodes précédents : au cœur d'une Rentrée où Sous les couvertures était voué à un relatif anonymat, la grande Stephie (gloire à elle) l'inscrit sur la liste d'une opération spéciale menée par Price Minister. Le principe : des blogueurs-ses s'inscrivent pour recevoir un roman, à charge pour eux d'écrire un billet et de faire voyager le livre. Va savoir pourquoi, sur une liste de quinze romans, elles ont été plus de 150 à demander le mien. Le titre, peut-être. Ou le billet de Stephie.
    Quoi qu'il en soit, 150 inconnues allaient recevoir un exemplaire du livre, et allaient en causer. Mais qu'allaient-elles pouvoir bien dire ? Suspense...

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    femmes-qui-lisent1.jpg?w=222&h=300… Ainsi donc 150 blogueuses (et peut-être un blogueur, mais pas sûr) allaient lire et commenter Sous les Couvertures. 150 inconnues qui n'avaient jamais entendu parler de moi et qui s'en foutaient complètement (elles avaient bien raison), 150 inconnues qui n'hésiteraient pas une seconde à crier leur déception. Autant te dire que j'appréhendais un peu.
    La sortie d'un livre rend toujours paranoïaque, je le savais déjà. Mais là, on franchissait une nouvelle dimension. Stephie venait de m'ouvrir une fenêtre sur le monde fascinant et impitoyable du grand public. Il allait falloir être fort.

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    Comme je suis curieux, je me suis baladé sur ces fameux blogs. Et dire que je croyais connaître la blogosphère littéraire... Ha ! Je me suis retrouvé comme ce blogueur iranien emprisonné six ans et qui ne reconnaissait plus le web à sa sortie.

    Tout n'avait pas changé : on y trouvait toujours la même frénésie de lire, les mêmes échanges de commentaires (moins nombreux), les mêmes débats (SP ou pas SP ?), les livres qui voyagent et les challenges qu'on partage.
    Ce qui changeait, c'était le nombre : il y en avait des centaines, des milliers en suivant les liens, isolés ou organisés en petits groupes d'amitiés croisées. Des dizaines de petites chapelles sans la moindre intersection entre elles. Etrange phénomène.
    L'autre nouveauté, c'était tout ce qu'il y avait désormais autour des blogs. Pas une blogueuse qui n'ait sa page facebook son compte twitter sa page babelio/livraddict/bidulivre. Rien de révolutionnaire, après tout nous sommes tous des petits directeurs marketing de nous-mêmes (salut à toi, Bibiblogueuse qui demande un SP et appelle ça "partenariat"). Et puis, qui lit encore les blogs en se baladant de lien en lien, hein ?

    (Ah oui, et dans la rubrique "les choses qui ne changent pas" : en 2015 comme en 2005, c'est toujours triste de voir des gens qui écrivent comme s'ils étaient attendus par la planète entière et qui manifestement ne sont lus par à peu près personne. Ce qui, maintenant que j'y pense avec un petit pincement au clavier, est aussi le lot de pas mal d'écrivains.)

    … Mais ma plus grande découverte a été dans les livres chroniqués : je me souviens du tournant de 2009, quand les vedettes de la blogosphère littéraire avaient envoyé paître Flammarion et les autres pour lire des romances aux héros divinement velus, et des romans dont le Figaro Littéraire ne soupçonne pas l'existence.
    De page en page, foin de Gallimard ou de POL, que des couvertures aux couleurs vives, entre fantasy, sagas et thrillers, avec des éditeurs aux noms inconnus. Vous connaissez les éditions Calepin ? City ? BlackMoon ? Les Deux Terres ? Charleston ? Et puis Fleuve, Bragelonne, Harlequin... Entre ces nouveaux blogs et ma librairie de quartier, on aurait dit deux mondes parallèles. Alors oui, j'avoue, j'ai eu encore plus p
    eur. Bibiblogueuse et Castlelover45 allaient me dévorer tout cru, je n'avais plus qu'à espérer un peu d'indulgence.

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    Pendant ce temps, à Saint-Germain comme à Vera Cruz, la Grande Presse (hormis Télé7jours) se demandait toujours qui aurait le prix Goncourt et se foutait bien d'un roman paru aux éditions Rue fromentin. Après enquête, début octobre, 2,75% des critiques à qui mon éditeur avait envoyé le livre l'avaient ouvert. Une journaliste sagace voulait en causer sur France Inter, paraît-il, mais Modiano a eu le Nobel et elle a été déprogrammée. A quoi ça tient, la vie d'un livre, hein.

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    la lectrice et l'auteur, paraboleAllez, avec le recul, je ne vais pas me plaindre. Pour la presse, j'étais prévenu – et puis ça m'a permis d'être sélectionné pour le Prix de l'inaperçu.
    Quant aux blogueuses... Pas si pire! Evidemment, il y a eu celle qui n'avait lu que le titre et qui attendait une romance épicée. Celle qui trouve que le passé simple est un peu trop compliqué. Ou celle qui a détesté parce que mon vieux libraire est déprimé et qu'elle n'aime pas les personnages déprimés, surtout quand ils sont libraires. Et d'autres que le roman décevait pour des raisons tout à fait valables et auprès desquelles j'avais presque envie de m'excuser.

    Mais j'ai aussi découvert les blogs de Geraldine, Zazy, Missbouquin, Passionculture (une adaptation de SLC en illustré, parlons-en!) ou encore Camille, victime du Stendhal-syndrôme, qui m'a effrontément tancé d'avoir osé un "sourit-il" (et à qui, en représailles, je me permets de piquer l'illustration d'ouverture). Et plein d'autres que j'ai lus, tapi dans l'ombre, et que je remercie à distance.

    D'octobre à novembre, j'ai dû lire une bonne soixantaine de chroniques. C'était beaucoup. Après quoi je me suis éloigné du web, crois-moi, ça fait un bien fou.
    Car au final, le constat est là : c'est qu'une critique négative vous marque un auteur dix fois plus que le dithyrambe le plus enthousiaste, et qu'aussitôt rassuré de voir que Castlelover45 a aimé le livre, on ne peut s'empêcher d'être déçu de lire qu'elle regrette qu'y manquât le petit truc en plus qui l'aurait rendu génial. La nature est vraiment mal faite, quand même. Ou alors, c'est moi.

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    magritte5.JPG… Et alors ? me demande le lecteur (on a toujours un lecteur invisible niché au-dessus de son épaule quand on écrit). Bonne question.
    Ce que j'en retiens, avec le recul, c'est qu'il va falloir s'armer si on veut un jour vivre de ses romans. Parce qu'il faut bien des lecteurs pour que les romans prennent un sens, et que lire ses lecteurs vous pompe une énergie qu'en bon petit bleu je n'aurais pas soupçonnée. Il m'aura quand même fallu quelques mois avant de pouvoir rire de tout ça, et sortir les livres-d'après de la caverne où ils s'étaient réfugiés pour hiberner.

    De tout ce qui vous secoue, on trouve toujours un sens, après coup. Je ne pense pas que cet épisode changera mon rapport-au-lecteur (Angie, toi qui as déjà atteint le 3e niveau du jeu de l'Auteur, tu me diras si on finit par s'y faire?). Mais pendant que je n'écrivais pas, mon rapport à l'écriture aura changé, et cette plongée bloguesque n'y sera certainement pas pour rien.

    Maintenant je peux le dire : Sous les couvertures était une idée que je portais depuis longtemps (et il n'y en a pas tant que ça, vois-tu, des idées dont tu sais, tout de suite, qu'elles peuvent faire un bon roman). J'en avais entamé l'écriture par le mauvais bout, celui du débutant qui a envie de dire des choses au monde. Je l'ai repris en 2013 et 2014 en retrouvant le goût du romanesque (j'aurais pas mal de remerciements à faire juste pour cette phrase – je me contenterai ici de saluer Montal, de la rue Fromentin). Parce que bon. Au final, seul reste compte le plaisir d'écrire, pour soi et pour son lecteur invisible. Le plaisir qu'on trouve dans les personnages, dans cette phrase bien troussée, là, et dans l'histoire qui n'avance pas toujours comme on l'avait prévu. En un mot s'il en faut un : dans le romanesque.

    C'est peut-être pour ça que je me suis mis, au printemps, à écrire sous pseudonyme. Du romanesque pur, en évitant les trop grosses ficelles et en jouant gentiment avec les clichés sans manquer de respect aux codes plutôt rigides de la romance.
    Je me suis amusé, oui. Et j'ai promis qu'on m'y reprendrait.
    On en parlera en septembre.
    D'ici là bronze bien, et écluse ta bibliothèque, parce que je peux te dire qu'il y a du bon qui arrive en librairie, dans les mois qui viennent. Du romanesque avec du rire et du sérieux dedans.
    Salut.

  • Où il est grand temps de sortir de sous les couvertures

    lit-dc3a9fait.jpgTu te souviens, l'été dernier ?
    A peu près à la même époque, je devais être en train de signer chez mon éditeur quelques exemplaires de Sous les couvertures, pour des journalistes littéraires qui n'en auraient probablement rien à faire.

    Sortir un roman en pleine Rentrée de septembre chez un 'petit éditeur' (pourtant déjà plus si petit), sans attaché-e de presse pour remuer ciel, et terre et carnet d'adresses, c'était une lutte inégale contre le Destin. Autant dire, une tragédie annoncée.
    Alors pour conjurer tout ça (les espoirs naïfs, la crainte d'avoir travaillé des années pour rien - l'attente, quoi), j'avais entrepris d'écrire un feuilleton : celui d'une Rentrée littéraire comme elle se passe chaque année, avec ses acteurs fétiches, son scénario presque immuable, ses figures incontournables, ses rituels... Avec le recul, je n'ai pas l'impression de m'être trompé de beaucoup. Autant dire que je pourrais republier le même feuilleton cet été, ce serait tout aussi vrai. Je pourrais même y ajouter une scène inédite, tout au début – une scène qui se passerait début juin, un ballet de journalistes et attachés de presse réunis au cocktail d'un des derniers prix de la saison, se demandant tous "et tu as lu quelque chose de bien, déjà ?" (scène vécue ; en arrière-scène, on aurait des libraires et petits éditeurs criant : "Eh, il y a des livres sur nos tables qui attendent d'être vraiment lus ! ça intéresse quelqu'un ??" Mais leurs voix seraient étouffées par le tintement de deux coupes de champagne dans la cour intérieure d'un hôtel particulier.

    … Bref !
    Tout ça pour dire que je ne te parlerai sûrement pas de la Rentrée de septembre, qu'il y a quelques romans que j'aurai plaisir à te conseiller bientôt pour cet été (ou pour un autre) – et qu'en attendant, il faut bien boucler la boucle et solder cette Rentrée 2014.
    Que s'est-il donc passé pour Sous les couvertures ? me demandes-tu. Eh bien, c'est simple. Si je ne t'en ai pas parlé ici, ce n'est pas seulement par dédain pour l'autopromo. C'est aussi parce qu'il ne s'est rien passé, ou presque. Sur papier, en tout cas.
    Et je te dis ça sans aigreur : je pourrais ajouter, comme prévu – sauf que bon, on rêve toujours un peu. Alors merci à toi, Mandor, merci François P., l'homme du TGV... et un merci ébahi à Télé 7 Jours (oui madame!), et à son point d'exclamation final. Et merci aux autres, finalement : sans eux, je n'aurais pas pu, joie et honneur, faire partie des finalistes du hautement sympathique Prix de l'Inaperçu.
    Tu vois, je te le disais l'autre jour on trouve toujours de la consolation dans l'écriture.

    Bon, sans rire et sans fard, maintenant je te le dis : ne plus jamais sortir de livre en septembre. Plus jamais dans ces conditions, en tout cas. Rien de tel pour te pourrir l'été comme l'automne.
    Ceci était dit, neuf mois plus tard, on retiendra surtout les quelques joies, parce qu'il y en eut, et des belles.
    D'abord il y a eu ces libraires qui l'ont fait monter sur leur table. Que ceux-là soient loués pour l'éternité ! Pour ce livre-là, on ne pouvait sans doute rien faire de plus beau. Il y a eu des rencontres – de celles qui resteront –, il y a eu des sourires de lecteurs, des retrouvailles improbables, une réimpression, quelques verres gaiement partagés.
    Et puis, il y a eu la Toile. Lire dès les premiers jours un billet comme celui-ci, vraiment, ça suffit à vous assurer que vous n'avez pas écrit pour rien – pas seulement pour l'avis positif, mais parce que l'insatiable Charlotte, comme sa comparse Sophie, compte parmi les lectrices les plus fines que je connaisse.

    Sous-les-couvertures-Bertrand-Guillot-300x213.jpgEnsuite, il y a eu la chronique de Stephie, alias Milleetunefrasques, qui m'a fait rougir d'aise – et pas seulement parce qu'elle avait noté ce qui reste ma scène préférée du livre. Je ne connaissais pas Stephie, c'est une amie qui m'a indiqué son blog. Je n'ai pas réagi à sa chronique (je ne le fais jamais, je sais, c'est idiot). Et quelques semaines plus tard, surprise ! je découvre qu'elle avait proposé le livre dans le cadre d'une opération menée par Price Minister – les Matches de la Rentrée littéraire. Je te passe les détails, tu pourras cliquer sur le lien si tu es curieux, mais enfin le résultat était là : par un étrange miracle, plus de 160 blogueurs (enfin, disons 158 blogueuses et 2 blogueurs (ou peut-être un seul, je ne sais plus)) ont demandé à recevoir Sous les couvertures. Peut-être à cause du titre. Peut-être aussi à cause du pouvoir magique de Stephie (si ça t'intéresse, cette semaine elle peut aussi te faire devenir une bête de sexe).

    Ainsi donc, en novembre, elles étaient 150 qui ne me connaissaient pas à recevoir le livre dans leur boîte aux lettres, et qui s'engageaient à écrire une chronique sur leur blog avant Noël.
    Quand on me l'a appris, je crois que ça m'a fait plus peur que plaisir. Mais les dés étaient jetés, les livres envoyés. Au moins, me suis-je dit, j'allais pouvoir actualiser ma connaissance de la blogosphère littéraire...

    Mais je te raconterai ça une autre fois. Je suis déjà trop long – et j'aime bien les feuilletons. Et puis je ne sais même pas s'il reste quelqu'un ici pour lire cette ligne. En tout cas, si tu es là, qui que tu sois, où que tu sois (il y a quelqu'un?), je te salue.

    (NB - la dernière illustration a été piquée sur le blog de Stendhalsyndrome,
    qui doit être en train de parcourir le monde - qu'elle me pardonne cet emprunt... et merci!)

  • L'Homme de Kiev

    l'homme de kiev, malamud, rivagesJ'ai passé le week-end malade dans une geôle de Kiev, emprisonné par des serviteurs du tsar et abandonné de tous, j'étais juif et athée, je puais comme un bouc-émissaire, je n'avais qu'un maigre seau pour pisser et chier, je n'avais pas de papier ni de crayon, rien à lire, et des gardiens qui me fouillaient au corps trois fois par jour.
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    Eh bien, tu me croiras ou non, c'était un excellent week-end.

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    Bernard Malamud, L'Homme de Kiev, Rivages

     

  • Gazmend Kapllani, La Dernière page

    (j'aurais aimé trouvé un titre plus accrocheur, le truc qui te suggérerait Vas-y, lis Gazmend Kapllani, mais je suis nul en titres. Cela dit, tu auras vite compris le message.)

    arton166-165x250.jpgIl y a des auteurs qu'on lit une fois et dont on sent bien, en refermant le livre, qu'on ne les lira plus - c'est bon, j'ai vu, merci. Ce n'est pas forcément qu'on n'a pas aimé le roman : je ne sais pas vous, mais ça m'arrive souvent après un bon livre : l'impression que l'auteur a dit tout ce qu'il avait à dire, ou simplement que le livre suivant serait forcément moins bien. Allez savoir d'où ça nous vient. M'enfin.

    Quand j'y pense, là, je crois que c'est le cas de la majorité des livres que je lis. Ils ne sont pas nombreux, les auteurs contemporains dont je peux dire que j'ai tout lu. Même pas Carrère, même pas Tom Wolfe, même pas Ferrari.

    Mais quand arrive un Gazmend Kapllani, je n'hésite pas. Je l'avais découvert par hasard (et surtout par Guillaume Jan) avec son Petit journal de bord des frontières. Le livre suivant, Je m'appelle Europe, était aussi bon. Pour ce troisième, La Dernière page, on retrouve tous les thèmes de l'auteur (la frontière et l'émigration, la Grèce et l'Albanie, l'amour en pays étranger), mais cette fois c'est l’œil qui se décale.

    D'abord parce qu'on change de pays - cette fois ce sont des Grecs qui se retrouvent en Albanie. Ensuite, et surtout, parce que la trame, cette fois, est purement romanesque. Je vous résume vite fait si vous êtes encore là : Melsi (écrivain albanais vivant en Grèce) revient à Tirana dans la demeure d'un père qu'il n'a pas vu depuis longtemps et qui vient de mourir. Il découvre un cahier que tenait ce dernier, et découvre soudain l'histoire familiale : une histoire qui commence dans le ghetto de Thessalonique en 1943 et qui se poursuit sous une fausse identité en Albanie, sous un des régimes les plus fermés et les plus absurdes de cette belle époque que fut la guerre froide.

    Mais au fait, me demanderas-tu, pourquoi te parlerais-je d'une histoire de Grec qui émigre en Albanie ?
    Bonne question. Je te l'aurais peut-être posée si tu m'avais, toi parlé de ce livre, ou d'un Afghan qui se réfugie au Pakistan.
    Alors laisse-moi te dire. D'abord parce que Gazmend Kapllani, avec sa langue simple qui fait passer toutes les nuances sans jamais rien souligner. Parce que grâce à lui tu pourras te projeter en Juif de Salonique qui renie ses origines pour s'intégrer ailleurs. Tu vas voyager, tu vas apprendre, tu vas douter, et au final tu seras plus ouvert, plus riche et moins bête (non, je ne dis pas que tu es bête - mais reconnais que c'est si facile de l'être, quand on parle de l'étranger et de la place qu'on peut lui donner), grâce à lui tu comprendras peut-être un peu mieux ce Tunisien que tu croises dans ton quartier. Je te dis ça, je me le dis à moi aussi.

    Mais ça va déjà un peu mieux, je viens de lire La Dernière page.

    A toi.

  • La Théorie de la tartine

    titiou lecoq, théorie de la tartineIl y a sept ou huit ans, j'ai eu une idée de roman géniale sur les Internets. On y aurait croisé ceux qui le font, ceux qui tirent les ficelles, ceux qui s'en servent et ceux qui s'y perdent. Bref, un peu tout le monde.

    Depuis le temps que j'y pensais, ça commençait à prendre la forme d'une fresque, le genre de projet qu'on n'ose plus attaquer à moins de trouver une autre idée, tout aussi géniale, qui le rendrait simple.

    Et puis là, hop, je découvre que Titiou Lecoq vient de l'écrire, ce livre, et qu'il est bon, et riche, et simple, et bien plus romanesque que théorique.
    Merci Titiou, je peux passer à autre chose.

  • Sade, Khomeiny et moi (et nous)

    abnousse shalmani, merciA 6 ans, la petite Abnousse se mettait nue dans la cour de son école de Téhéran pour défier les barbus et les tchadors des surveillantes. A 8 ans, elle arrive à Paris avec sa famille. Elle découvre l'Occident, les jeans troués dans les cours d'école, la liberté loin des barbus.

    A l'adolescence, dans les années 90, elle découvre la littérature libertine du XVIIIe siècle – et je précise toute de suite pour toi, lecteur/trice, ce libertinage-là n'a rien à voir avec des galipettes franchouillardes de club échangiste : c'est d'abord le triomphe de la raison, c'est l'esprit qui libère les hommes (et les femmes plus encore) de l'emprise de la religion sur les corps et des curés sur les âmes. Crébillon, Mirabeau, Laclos et Sade ont montré la voie : oui, il est bien possible de se libérer des barbus de tous poils !

    Mais dans le même temps, la jeune Abnousse constate les premières fissures de la société française : les premiers tchadors, l'amie de fac qui se voile la face après un échec amoureux, et l'islam des barbus qui prospère sur lit d'ignorance, de peur et de malheur.

    C'est là toute la tension du livre, d'ailleurs : les barbus qui poursuivent l'exilée iranienne athée jusqu'au pays des Lumières.

    A partir de là, le livre se lit à deux niveaux : l'histoire personnelle et familiale de l'auteur, et celle de la France des trente dernières années, de l'insouciance relative des années 80 à la fange dans laquelle on se débat aujourd'hui, avec ses dates-clés : 1998 et les lendemains qui déchantent, le 11 septembre et ses conséquences, le 21 avril et la démission collective, les attentats et les prises d'otage, les révolutions arabes et leurs soubresauts...
    Une Histoire à la fois sensible, militante et désespérément factuelle, qui se fout des régimes politiques parce qu'elle dit "nous" - le tout sous l'éclairage faiblissant des Lumières qu'une Française fraîchement naturalisée vient raviver.

    Et puis il y a l'écriture, qui s'affirme en même temps que l'auteur, et qui vise de plus en plus juste à mesure qu'approche aujourd'hui. Une écriture où perce crescendo la colère de voir la religion regagner le terrain si chèrement conquis, l'amertume face aux crispations racistes et la rage devant les poses des belles âmes qui laissent faire et déguisent leur indifférence en tolérance.

    Khomeiny, Sade et moi, c'est les barbus, Diderot et nous. Un constat implacable qu'on ne peut que tristement partager, mais une énergie communicative qu'on a très envie de partager aussi.

    Vivement qu'on relise les libertins sans les classer X. Le fatalisme n'est pas la seule option.
    .

    PS - c'est ce livre que je lisais dans le métro, l'autre jour.
    Ça fait du bien, la rage et la Raison,
    quand elles se muent en énergie positive. Merci A.

  • En mai, fais...

    en mai, fais ce qu'il te plaît, CharlieJe ne sais pas ce qui a déclenché ça.
    Ce n'est pas quelqu'un : j'étais seul. Ce n'est pas un livre, il était dans mon sac. Ce n'est pas le soleil : j'étais en sous-sol et dehors il pleuvait. Vraiment je ne sais pas, mais c'est venu en une seconde.
    Jeudi 30 avril, vers onze heures du matin, je suis passé du noir&blanc à la couleur – et comme ça, sans prévenir, je suis sorti d'une léthargie de trois mois.

    Si je te raconte ça (tu es là?), ce n'est pas pour m'extasier. La vie est faite de cycles, j'avais déjà vécu ce genre de moment. Toi aussi, sûrement. Mais cette fois, me dit mon petit doigt, ce n'était pas seulement moi. Il y avait du nous là-dedans, comme une étape dans tout ce qu'on a connu ensemble ces derniers mois.

    Je te raconte vite fait, tu me diras si ça t'a fait pareil.

    D'abord il y a eu janvier. Le choc du 7, la colère, la tristesse, le bref soulagement du 11. Puis la tristesse s'est fait bouillonnement. Il était trop tôt pour faire des projets mais on lisait, on parlait, on pensait (j'ai noirci un carnet entier de notes sur ça, sur moi, sur nous), et on prenait des résolutions, et on se faisait des promesses. Et puis...
    Et puis pas grand'chose, non ? Comme après le 21 avril et le 1er mai 2002, le quotidien a repris ses droits et on l'a gentiment laissé faire.
    Sauf que le choc, je crois, était plus violent. Ce n'était pas seulement un retour à la normale : c'était du refoulement.
    De mon côté, avouons-le, j'ai fui vers la légèreté. J'ai lu léger (et c'était bon), j'ai écrit léger (pas si mal, je crois). Mais c'était une légèreté pleine de vide. Du léger avec une grosse ancre aux pieds. J'aurais pu t'embrasser plutôt que d'écrire une romance, mais comme pour un peu tout, il y avait un poids qui me retenait. J'en avais conscience, je me disais que c'était un moment à passer, mais il durait. Plus longtemps que pour bien d'autres, peut-être.

    Je ne sais pas comment tu as vécu ça, toi. Moi je croyais que l'envie reviendrait petit à petit, qu'en avril on se découvrirait d'un fil... et puis non, ça a été pire. J'ai tenté de me rappeler hier de ce que j'avais fait d'avril – je t'épargne la réponse, tu prendrais pitié. La vie en pause et l'écriture en berne : écrire un statut facebook m'apparaissait insurmontable, alors une note de blog ou un roman, tu imagines.

    Heureusement, petit à petit, il y a eu le dernier Despentes, quelques rencontres, un brin de politique, du travail, un vieux projet qui revient à la surface et soudain se connecte avec tout ça... Et puis hier, 30 avril, sans prévenir l'Envie qui revient. Envie de quoi, je n'en savais rien. Je ne sais toujours pas vraiment. Mais ce que je sais, c'est que tout ce que j'avais perdu depuis des mois est revenu : l'énergie, la confiance, et cette force tranquille qui fait plier le monde à nos envies, au moins autour de nous.

    alive-n-kicking.jpgEt soudain j'avais l'énergie d'écrire, et j'avais envie de te voir, et j'avais envie d'inviter des gens à dîner, et je savais que je pouvais faire tout ça à la fois, bien sûr, que les projets ne pompent pas d'énergie mais nous en donnent... Comment avais-je pu oublier / refouler tout ça aussi longtemps, et aussi profond ?

    … Mais j'arrête là, je commence à parler de moi, et ce n'est pas le but.
    Ce qui compte, c'est ce qui viendra ensuite. Ma léthargie m'a légué une bonne dizaine de textes à écrire tant qu'il pleut, ici ou ailleurs, ensuite on se retrouvera dans la rue, on n'aura qu'à faire des projets ensemble. Parce que (re)vivre est quand même la meilleure façon de lutter, si on voulait lutter. Faire de la joie un projet politique, me disait C. Lire Goliarda Sapienza. Manger, bouger, donner, aimer, baiser.
    Vouloir.
    Tu viens ?

    En mai, fais...
    Faisons, quoi. C'est déjà beaucoup.

  • Le métro reste un sport collectif

    Gare de l'est, ligne 5, début d'après-midi. En direction de Bobigny, le trafic est interrompu en raison d'un accident grave de voyageur. L'histoire doit être récente, on sent flotter le désordre et dans l'autre sens aucun train n'est annoncé. Le quai se remplit, on attend.
    Arrive un type depuis le couloir de correspondances. Il grogne et titube. Pas saoul, je ne crois pas. Disons qu'il n'a manifestement pas toute sa raison. Il s'approche du quai, s'éloigne, lance pour lui-même des phrases incompréhensibles. Les regards se détournent.

    Le train débouche du tunnel et le gars de nouveau s'avance. Je fais un pas, en alerte. Il y a quelques années, je n'y aurais pas pensé. Mais Charlie, mais Germanwings, et Vitry, et la cour des miracles qui grossit. Le gars n'irait pas pousser quelqu'un sur les voies mais un accident grave est si vite arrivé.
    … Mais il s'arrête sagement au bord du quai, comme presque tout le monde presque toujours. Il se trouve peu de monde pour monter par la même porte que lui. Un temps d'arrêt, la rame bien pleine, le métro repart. Le type est debout non loin de moi. Il se penche vers un couple de retraités assis.
    - Incident de voyageur, ça veut dire qu'il y a eu une attaque d'ours !
    Il a parlé fort, il cherche le contact, pas méchant.
    Qu'aurais-bien pu répondre s'il m'avait interpellé, moi ? Rien, sans doute. Je ne saurai pas.
    Le retraité, lui, a levé la tête.
    - Ah oui, dit-il, mais ça dépend si c'est un ours blanc ou un ours brun, ce n'est pas pareil !
    - Très juste, Monsieur, un ours blanc, c'est un incident grave !

    La conversation continuera, absurde, jusqu'à Oberkampf. Le type s'en va, salue, le monde va un peu mieux.
    Merci Monsieur.