En près de dix ans de blog, c'est la note que j'aurai le plus différé. Pour plein de raisons que tu comprendras peut-être. Mais bon, je l'avais promise (à moi, surtout), alors allons-y d'une traite, et gaiement, ensuite on pourra passer à autre chose. En fin de billet, si l'écriture me grise un peu, je pourrais bien en dire un peu plus sur cet autre chose, mais pas sûr. Immonde teasing, je sais. J'assume. Accroche-toi, on y va.
Résumé des épisodes précédents : au cœur d'une Rentrée où Sous les couvertures était voué à un relatif anonymat, la grande Stephie (gloire à elle) l'inscrit sur la liste d'une opération spéciale menée par Price Minister. Le principe : des blogueurs-ses s'inscrivent pour recevoir un roman, à charge pour eux d'écrire un billet et de faire voyager le livre. Va savoir pourquoi, sur une liste de quinze romans, elles ont été plus de 150 à demander le mien. Le titre, peut-être. Ou le billet de Stephie.
Quoi qu'il en soit, 150 inconnues allaient recevoir un exemplaire du livre, et allaient en causer. Mais qu'allaient-elles pouvoir bien dire ? Suspense...
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… Ainsi donc 150 blogueuses (et peut-être un blogueur, mais pas sûr) allaient lire et commenter Sous les Couvertures. 150 inconnues qui n'avaient jamais entendu parler de moi et qui s'en foutaient complètement (elles avaient bien raison), 150 inconnues qui n'hésiteraient pas une seconde à crier leur déception. Autant te dire que j'appréhendais un peu.
La sortie d'un livre rend toujours paranoïaque, je le savais déjà. Mais là, on franchissait une nouvelle dimension. Stephie venait de m'ouvrir une fenêtre sur le monde fascinant et impitoyable du grand public. Il allait falloir être fort.
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Comme je suis curieux, je me suis baladé sur ces fameux blogs. Et dire que je croyais connaître la blogosphère littéraire... Ha ! Je me suis retrouvé comme ce blogueur iranien emprisonné six ans et qui ne reconnaissait plus le web à sa sortie.
Tout n'avait pas changé : on y trouvait toujours la même frénésie de lire, les mêmes échanges de commentaires (moins nombreux), les mêmes débats (SP ou pas SP ?), les livres qui voyagent et les challenges qu'on partage.
Ce qui changeait, c'était le nombre : il y en avait des centaines, des milliers en suivant les liens, isolés ou organisés en petits groupes d'amitiés croisées. Des dizaines de petites chapelles sans la moindre intersection entre elles. Etrange phénomène.
L'autre nouveauté, c'était tout ce qu'il y avait désormais autour des blogs. Pas une blogueuse qui n'ait sa page facebook son compte twitter sa page babelio/livraddict/bidulivre. Rien de révolutionnaire, après tout nous sommes tous des petits directeurs marketing de nous-mêmes (salut à toi, Bibiblogueuse qui demande un SP et appelle ça "partenariat"). Et puis, qui lit encore les blogs en se baladant de lien en lien, hein ?
(Ah oui, et dans la rubrique "les choses qui ne changent pas" : en 2015 comme en 2005, c'est toujours triste de voir des gens qui écrivent comme s'ils étaient attendus par la planète entière et qui manifestement ne sont lus par à peu près personne. Ce qui, maintenant que j'y pense avec un petit pincement au clavier, est aussi le lot de pas mal d'écrivains.)
… Mais ma plus grande découverte a été dans les livres chroniqués : je me souviens du tournant de 2009, quand les vedettes de la blogosphère littéraire avaient envoyé paître Flammarion et les autres pour lire des romances aux héros divinement velus, et des romans dont le Figaro Littéraire ne soupçonne pas l'existence.
De page en page, foin de Gallimard ou de POL, que des couvertures aux couleurs vives, entre fantasy, sagas et thrillers, avec des éditeurs aux noms inconnus. Vous connaissez les éditions Calepin ? City ? BlackMoon ? Les Deux Terres ? Charleston ? Et puis Fleuve, Bragelonne, Harlequin... Entre ces nouveaux blogs et ma librairie de quartier, on aurait dit deux mondes parallèles. Alors oui, j'avoue, j'ai eu encore plus peur. Bibiblogueuse et Castlelover45 allaient me dévorer tout cru, je n'avais plus qu'à espérer un peu d'indulgence.
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Pendant ce temps, à Saint-Germain comme à Vera Cruz, la Grande Presse (hormis Télé7jours) se demandait toujours qui aurait le prix Goncourt et se foutait bien d'un roman paru aux éditions Rue fromentin. Après enquête, début octobre, 2,75% des critiques à qui mon éditeur avait envoyé le livre l'avaient ouvert. Une journaliste sagace voulait en causer sur France Inter, paraît-il, mais Modiano a eu le Nobel et elle a été déprogrammée. A quoi ça tient, la vie d'un livre, hein.
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Allez, avec le recul, je ne vais pas me plaindre. Pour la presse, j'étais prévenu – et puis ça m'a permis d'être sélectionné pour le Prix de l'inaperçu.
Quant aux blogueuses... Pas si pire! Evidemment, il y a eu celle qui n'avait lu que le titre et qui attendait une romance épicée. Celle qui trouve que le passé simple est un peu trop compliqué. Ou celle qui a détesté parce que mon vieux libraire est déprimé et qu'elle n'aime pas les personnages déprimés, surtout quand ils sont libraires. Et d'autres que le roman décevait pour des raisons tout à fait valables et auprès desquelles j'avais presque envie de m'excuser.
Mais j'ai aussi découvert les blogs de Geraldine, Zazy, Missbouquin, Passionculture (une adaptation de SLC en illustré, parlons-en!) ou encore Camille, victime du Stendhal-syndrôme, qui m'a effrontément tancé d'avoir osé un "sourit-il" (et à qui, en représailles, je me permets de piquer l'illustration d'ouverture). Et plein d'autres que j'ai lus, tapi dans l'ombre, et que je remercie à distance.
D'octobre à novembre, j'ai dû lire une bonne soixantaine de chroniques. C'était beaucoup. Après quoi je me suis éloigné du web, crois-moi, ça fait un bien fou.
Car au final, le constat est là : c'est qu'une critique négative vous marque un auteur dix fois plus que le dithyrambe le plus enthousiaste, et qu'aussitôt rassuré de voir que Castlelover45 a aimé le livre, on ne peut s'empêcher d'être déçu de lire qu'elle regrette qu'y manquât le petit truc en plus qui l'aurait rendu génial. La nature est vraiment mal faite, quand même. Ou alors, c'est moi.
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… Et alors ? me demande le lecteur (on a toujours un lecteur invisible niché au-dessus de son épaule quand on écrit). Bonne question.
Ce que j'en retiens, avec le recul, c'est qu'il va falloir s'armer si on veut un jour vivre de ses romans. Parce qu'il faut bien des lecteurs pour que les romans prennent un sens, et que lire ses lecteurs vous pompe une énergie qu'en bon petit bleu je n'aurais pas soupçonnée. Il m'aura quand même fallu quelques mois avant de pouvoir rire de tout ça, et sortir les livres-d'après de la caverne où ils s'étaient réfugiés pour hiberner.
De tout ce qui vous secoue, on trouve toujours un sens, après coup. Je ne pense pas que cet épisode changera mon rapport-au-lecteur (Angie, toi qui as déjà atteint le 3e niveau du jeu de l'Auteur, tu me diras si on finit par s'y faire?). Mais pendant que je n'écrivais pas, mon rapport à l'écriture aura changé, et cette plongée bloguesque n'y sera certainement pas pour rien.
Maintenant je peux le dire : Sous les couvertures était une idée que je portais depuis longtemps (et il n'y en a pas tant que ça, vois-tu, des idées dont tu sais, tout de suite, qu'elles peuvent faire un bon roman). J'en avais entamé l'écriture par le mauvais bout, celui du débutant qui a envie de dire des choses au monde. Je l'ai repris en 2013 et 2014 en retrouvant le goût du romanesque (j'aurais pas mal de remerciements à faire juste pour cette phrase – je me contenterai ici de saluer Montal, de la rue Fromentin). Parce que bon. Au final, seul reste compte le plaisir d'écrire, pour soi et pour son lecteur invisible. Le plaisir qu'on trouve dans les personnages, dans cette phrase bien troussée, là, et dans l'histoire qui n'avance pas toujours comme on l'avait prévu. En un mot s'il en faut un : dans le romanesque.
C'est peut-être pour ça que je me suis mis, au printemps, à écrire sous pseudonyme. Du romanesque pur, en évitant les trop grosses ficelles et en jouant gentiment avec les clichés sans manquer de respect aux codes plutôt rigides de la romance.
Je me suis amusé, oui. Et j'ai promis qu'on m'y reprendrait.
On en parlera en septembre.
D'ici là bronze bien, et écluse ta bibliothèque, parce que je peux te dire qu'il y a du bon qui arrive en librairie, dans les mois qui viennent. Du romanesque avec du rire et du sérieux dedans.
Salut.