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  • Le métro est un sport collectif

    Il y a quelques années, après avoir ouvert un blog un peu au hasard (ô glorieux temps des grandes découvertes virtuelles), j’ai écrit cette première note sur une feuille volante, au fond de la ligne 8.
    Ce n’était presque rien, mais après ça j’ai pris l’habitude de me balader dans le métro avec un carnet et un crayon.

    L’an dernier, j’ai passé beaucoup de temps sous terre. Parfois avec un livre, parfois le nez en l’air, à observer les voyageurs, guettant les petits riens (un cahot, un œil qui se lève, un stationnement pour régulation, un musicien doué) qui cassent la routine renfrognée et font que soudain quelque chose se passe. Je n’écrivais plus ici, ou presque, mais les histoires s’accumulaient dans le carnet.
    Restait à les reprendre, à créer les liens entre elles, à couper, à s'amuser, à donner une cohérence à l'ensemble... 

    … Et donc, aujourd’hui en librairie sort ce livre :

    métro collectif.gif

    Evidemment, je suis le moins bien placé pour en parler. Heureusement qu’il y a des éditeurs pour ça.

    J’en profite pour saluer les éditions Rue fromentin, qui ont offert à ce livre une couverture parfaite, avec un papier proche du luxe, le tout en pariant sur une baisse de prix (12 euros, bravo).
    De quoi caresser le rêve de tomber un jour, au hasard, sur quelqu’un en train de le lire dans le métro, le sourire aux lèvres...
    A suivre !

  • Ode au twitto inconnu

    images?q=tbn:ANd9GcTYA2qBzwtWTKkkgL0ybeE6W1gs4ZWMKJy7yi1fJqChk9BH174sdwQuand je suis arrivé au Bourget, les blogueurs et twittos étaient déjà là, avec leur badge jaune.
    Je me souvenais des blogueurs influents invités tous frais payés par l’UMP pour son Université d’Eté en 2006, je me demandais si on allait retrouver les mêmes – ou d’autres trentenaires flamboyants, persuadés d’avoir une culture politique parce qu’ils regardent parfois le Petit journal de Yann Barthès.

    J’avais tout faux. C’était des pros. Ils avaient tous leur blog politique, leur ordi était déjà installé sur la table, ils vérifiaient les connexions réseau, certains twittaient déjà leurs impressions d’avant l’événement.
    J’étais venu avec mon carnet et un crayon mais j’étais bien le seul, j’aurais pu être en slip ou venir tout droit de la IIIe République ça aurait été un peu pareil, je me suis demandé un instant si on allait m’autoriser à m’asseoir sur une chaise du Coin blogueurs.
    On n’a pas vraiment pu faire connaissance parce que chacun était sur son ordi dans les gradins le public faisait un boucan impressionnant. J’ai salué la belle traîtresse qui m’avait entraîné ici et l’organisateur qui nous accueillait, je me suis installé un peu en retrait, bras croisés et oreilles aux aguets pendant que les autres s’affairaient autour de la table – dis-donc le wifi est out, merde, où t’as chopé des câbles ? C’était parti.

    images?q=tbn:ANd9GcTdvNlphRjvFbQZdOnYZhgGwwhkgr3NajjSDNu3PA_kalFAjXSd8QLa jeune Lauriane Deniaud est montée sur scène pour faire patienter la foule. Elle a lu ses fiches (ne jamais prendre de première partie qui risquerait de vous piquer la vedette, FH a retenu au moins une leçon de Mick Jagger), puis elle a lâché sa petite bombe : « Nous sommes 25 000 ».
    Le public a crié sa joie comme il se doit. Devant moi blogueurs et twittos se sont regardés un instant, comme un élève du fond de la classe copierait sur son voisin avant d’inscrire sur sa feuille le résultat d’une multiplication - c’est bien 25 000, qu’elle a dit ? La seule fille du lot a opiné. De concert, ils ont twitté.
    Ils avaient pourtant lu comme moi avant le meeting que la salle pouvait contenir 10 000 personnes. Certains l’avaient même sûrement écrit. Mais quelle importance ? Un chiffre était lancé, ça faisait une info.
    - ça m’a l’air presque aussi pipeau que les 40 000 personnes de la Porte de Versailles pour Sarkozy en 2007, j’ai dit en me balançant sur ma chaise.*
    L’un des gars s’est retourné vers moi, l’air grave.
    - Et alors ? Tu sais bien ce qu’une campagne, c’est ça aussi…
    J’ai répété, "Tu sais que c’est faux", il m’a lancé un dernier regard comme si j’étais un immonde traître à la cause (du socialisme ou du journalisme, je n’ai pas bien compris), il est retourné à son ordi et a appuyé sur Entrée. 25 000 personnes au Bourget, donc.

    Quelques minutes plus tard, François Hollande est arrivé. 25001. Bain de foule, serrage de mains, quelques baisers, salut à Martine, Arnaud, Bertrand, Mazarine, Lionel… Mais tout cela nos twittos n’ont pu en faire part au monde. Le réseau était coupé. Horreur !
    Le même type que tout à l’heure s’est retourné, il y avait de la panique dans ses yeux.
    - Yapadrézo !!
    J’ai peut-être ricané (peut-être pas, en vrai je ne suis que compassion).
    - Tu ne peux pas twitter depuis ton smartphone ? a suggéré un ami qui m’avait rejoint.
    - Non non non, mon tel me dit que yapadrézo !!

    Cette fois, c’était du désespoir, le twitto inconnu nous regardait (mon ami, surtout, moi j’étais le traître) comme si nous avions des pouvoirs magiques ou un rôle dans l’organisation.
    Il avait exactement la tête que font, dans les micro-trottoirs, l’automobiliste qui peste contre la hausse de l’essence, le vacancier qui se dit pris en otage par les grévistes d’Air France ou un militant de droite basique qui comparerait les conséquences de l’élection de Hollande à celles d’une guerre. Le candidat parfait pour passer à la télé.
    En attendant, on ne pouvait rien pour lui, il continuait à faire de grands gestes théâtraux.
    - Mais vous comprenez pas, c’est hyper important pour moi !!

    Ah, c’était beau, un tel dévouement à la cause.
    Finalement le réseau a été rapidement rétabli, les blogueurs ont pu twitter et live-blogger à loisir. J’ai posé mon carnet – j’avais déjà ma photo-souvenir.

    Gloire à toi, twitto inconnu !
    Demain, je te le promets, je te mettrai dans un roman. Il sera peut-être moins lu que tes tweets mais qui sait, il te rendra peut-être immortel.

     
    * Pour le 1er meeting de Sarkozy en 2007, France Soir allait même jusqu’à 70 000 personnes. Qui dit mieux ?
    Quant à dimanche, un doute subsiste. 10 000 personnes dans la salle (pleine à craquer, c'est sûr), mais on en aurait accueilli d’autres dans un autre hall avec un écran géant, ai-je lu ici et là. Hum. 15 000 personnes et personne qui n’aurait twitté sa rage de ne pouvoir être dans le hall principal ? Allez, oublions. La com passe, l’écho reste. 

  • Cher François,

    Après ma note de lundi dernier, un gars de ton équipe m’a contacté pour m’inviter à ton meeting du Bourget. Y aura des blogueurs et des twittos (sic), qu’il disait. Il n'y a pas à dire, c'était fair-play. J’avais assez envie de voir qui seraient ces twittos – j’y reviendrai plus tard, il y avait un phénomène. J’avais aussi envie de t’entendre en longs paragraphes et pas seulement en petites phrases sélectionnés par/pour les JT.
    Et puis, il y a longtemps que je n’avais plus connu de meeting, alors…

    Ce dimanche matin, donc, je me suis levé avec Ivan Levai, qui me racontait ce que tu allais dire dans l’après-midi : ainsi donc tu allais "mettre de la chair", parler de toi et faire décoller ta campagne. La presse relayait docilement tes éléments de langage, tu avais mis la main sur le calendrier. Pour ça au moins, bravo.

    Je ne m’attarderai pas sur les détails périphériques. C’était un peu le bordel (mais que serait un meeting sans bordel ?), le MJS faisait la claque comme il sait le faire, ça craquait un peu sur les portes latérales, Lionel Jospin a gagné à l’applaudimètre – bref ! La salle était prête.

    Restait à mettre cette fameuse chair.

    Tu as parlé de la France, je n'ai pas été transporté, disons qu’on te mettrait 10/20, au moins as-tu eu le mérite de ne pas trop te payer de mots creux. Tu t’es avancé sur ton programme, plus qu’on ne l’attendait (le non-cumul des mandats, les banques, l’éducation, l’impôt..), là-dessus nous verrons jeudi – je sais, je suis devenu un affreux sceptique, mais je ne peux plus me satisfaire de cette rhétorique du "nous ferons". Mettre de la chair, ce n’est pas seulement donner des chiffres, c’est aussi parler du comment, des obstacles que tu rencontreras et de ta stratégie pour les contourner (ou les renverser en fonçant tête baissée – oseras-tu le faire avec les banques ?). En l’occurrence, nous n’avons eu que la peau. Mais il sera bien temps d’approfondir d’ici mai.

    Tu as mis de la chair, tout de même – la tienne. Certains te reprochaient de ne pas incarner mais ces gens-là sans doute ne t’avaient jamais vu en tribune. Tu m'avais déjà scotché en tribun de Congrès, lâchant tes notes pour lâcher quelques bons mots qui faisaient mouche. Tu as été plus sobre hier. Tant mieux, peut-être. Car on n’attendait pas de toi que tu brilles. On attendait de toi que tu sois à la hauteur. Et tu l'as été, me semble-t-il. L'impression qui restera le plus, peut-être, c'est que tu dominais ton sujet – et ça tombe bien, parce qu'il est vaste.

    Je ne suis pas sûr que tu aies prononcé une seule fois le nom du président actuel, et je dis bravo. Le décalage n’en apparaît que plus grand, quand tu évoques l’homme que tu serais au pouvoir. Un président normal, même si tu as abandonné le vocable. Et là-dessus on te croit, François. Au fond, tu nous a décrit la présidence d’un honnête homme (et d’un homme honnête). Contre la corruption, contre les privilèges, pour le partage du pouvoir… En t’écoutant j'ai pensé qu’il y a dix ans tu aurais été inaudible avec de tels thèmes de campagne. Mais après cinq ans de ce président-là et de cette droite-là, l’honnête homme nous paraît soudain étonnamment, intensément désirable.

    Reste à voir ce que tu donneras dans l’arène quand l’adversaire y sera aussi. Reste à voir si tu tiendras à l’Elysée la fermeté que tu avais hier, si tu sauras t’imposer aux groupes de pression qui murmurent déjà, en coulisses, à l’oreille de tes conseillers et de tes futurs ministres. Sur ce point, je ne pense pas que tu nous surprendras beaucoup d’ici à l’élection. Tant mieux, en un sens. Mais j’espère bien que tu sauras nous surprendre après. On y veillera.
    Sur ce je te laisse, je prends ces notes dans le RER, j’arrive Gare du Nord et le changement, c’est maintenant. Allez, à bientôt.

  • Ibrahim Maalouf

    Je n’avais entendu qu’un seul morceau d’Ibrahim Maalouf, assez pour dire oui quand C. m’a proposé d’aller le voir à la Cigale.
    A 20h, il est venu saluer son public, en veste et gilet, pour présenter la première partie qu’il avait choisie. Quand il est revenu plus tard, avec ses musiciens, il avait enfilé son costume de scène : jogging marine et baskets blanches.
    Après l’intro, classique, il lui a suffi de trois notes pour emporter le concert. La suite a ressemblé un peu à ça, intense et crescendo :


    Sauf que c’était encore plus fort. Parce que c’était aussi drôle, bondissant, surprenant. Parce qu’il y avait un piano. Parce qu’Oxmo Puccino est monté sur scène, et Matthieu Chedid sur Beyrouth, et d’autres encore. Parce qu’on était là, surtout, en vrai.
    Merci, M. Maalouf.

     
    (demain, finalement, j’irai voir François H. en concert au Bourget. Accroche-toi pour être à la hauteur, François !)

  • Les grands esprits n’ont parfois raison qu’à moitié

    "L'Académie Goncourt me paraît malade :
    ça a l'air d'une maison de retraite pour vieux amis.
    La littérature s'en désintéressera."

    (Jules Renard, octobre 1907)

    Dans le Journal du vieux Renard, on trouve bien d’autres pépites, bons mots ou fulgurances.
    "Il faut écrire comme on parle, si on parle bien", par exemple.
    Ou encore cette phrase banale en apparence, mais où se cache un conseil et une vérité souvent oubliée : "Ecrire, toujours écrire! Mais la nature ne produit pas toujours. Elle donne des fleurs et des fruits dans la belle saison, puis elle se repose au moins six mois."
    Et enfin ce jugement définitif à propos d’un auteur de théâtre un peu trop habitué à la légèreté : "Je crois qu'il n'a pas une vie assez solide pour écrire des choses qui durent."

    ---

    Allez, un mot.
    Pas certain que ma vie soit bien solide, mais la nature a été généreuse, l’an dernier.
    Après la sortie d’un livre on a souvent envie de s’enterrer, c’est ce que j’ai fait, les yeux ouverts et le stylo dans la poche. Pas forcément pour en faire un livre, il est venu tout seul.
    ‘Le métro est un sport collectif’ sortira la semaine prochaine, donc. 26 janvier.
    J’en causerai peut-être ici. Peut-être pas. Pour expliquer le lien avec ce blog? Ou seulement pour quelques anecdotes? Ou alors pas du tout, comme pour B.a.-ba?
    - Faudrait savoir, mec, me souffle un blogueur influent. Faut que t’en parles, évidemment, tweeter occuper le terrain créer le buzz, tout ça.
    Mouais.
    Laissons faire la nature, nous verrons bien.

  • Cher Parti Socialiste,

    Je viens de me désinscrire de ta liste de diffusion pour les présidentielles. J’imagine que tu t’en fous un peu, mais comme mon petit doigt me dit que je ne suis pas le seul, je voulais quand même te dire pourquoi.

    images?q=tbn:ANd9GcQrANzgqaQI99sSLaIGEppOtGRQRRUXiMEZiqsp2rYiSax-lC8jTu ne t’en souviens sûrement pas, mais on se connaît. C’était dans les années 90. J’avais entendu parler de toi, on s’était donné rendez-vous dans le XVe arrondissement, tu m’avais donné ta carte, tu avais même voulu me confier quelques micro-responsabilités parce que de dangereux gauchistes (les "poperénistes" ! ha ha) menaçaient de prendre le contrôle d’une section de ton mouvement de jeunes.

    J’ai fait campagne avec toi, j’ai participé à un de tes Congrès, et comme beaucoup tu m’as désespéré. Je dois reconnaître que tu m’as bien déniaisé, aussi. Je sais maintenant pourquoi Oui Oui ne sera jamais élu. Je sais que pour un homme de valeur il y aura toujours trois hommes d’appareil prêts à consacrer leurs soirées à lui savonner la planche. Grâce à toi je sais comment fonctionnent les réseaux – comment les ficelles tirées d’en haut finissent par déterminer le vote d’un petit groupe local. Je les ai vus, tes jeunes pousses, se jetant dans le combat d’une élection interne à venir, se soûlant de beaux discours sur la justice sociale en rêvant de l’emploi fictif qui les attendait à la Mnef si Machin était élu.
    La plupart t’ont quitté, depuis, parfois pour travailler dans des banques. Quelques-uns, rendons-leur hommage, ont fait honnêtement leur chemin : ils travaillent dans des mairies (au plus près du terrain, diraient tes communiquants) et forcent mon respect quand ils me racontent les situations qu’ils gèrent tous les jours, pragmatiques mais pas cyniques. D’autres, enfin, ont poursuivi sur la voie de leur vraie passion : les réseaux, et le pouvoir. Ou plutôt : les jeux de pouvoir, bien au chaud dans les salons vip, sans avoir à se tacher le costume à prendre des décisions ou à écouter des philosophes et autres responsables associatifs qui décidément ne comprennent rien aux calculs électoraux. On les retrouve dans les think tanks, ils déjeunent avec des lobbyistes qui parlent le même langage, et se placent dans l’état-major de leur champion pour la présidentielle. Ceux-là, quand je les ai connus, faisaient de la com parce qu’au fond ils ne connaissaient que ça ; et ils en font toujours, parce qu’ils ont fini par croire qu’il n’y a que ça qui compte. Pour les idées, bah : on lance des mots dans l’air du temps, on les regarde rebondir, on attend le dernier sondage et on écoute les Barbier et Joffrin commenter le creux de la campagne. Mais cela nous en parlerons plus tard – après tout on ne sait jamais, peut-être François aura-t-il vraiment des choses à nous proposer d’ici avril. Pour l’heure revenons donc à nos moutons, militants et sympathisants.

    FIAC 2010 (2).jpgPeu à peu, dans tes réunions, j’ai vu les mots se désincarner : on disait "service public" comme un mantra, parce qu’on avait besoin des voix des militants historiques, mais il n’y avait plus rien derrière, alors on a privatisé. On disait "les forces de progrès"' mais on ne savait pas trop quoi faire progresser. On écoutait Moscovici (mais pourquoi diable écouter Moscovici?) parler de la nécessité de rassembler, de faire barrage au FN, etc. Tu t’es remis au travail (oui, parfois tu empruntes ta rhétorique aux entraîneurs de foot) et tu as fini par pondre des Projets (ne mens pas, je les ai lus) qui ressemblaient à des disserts de Sciences-Po. Des incantations, tout ça, rien qu’on ne t’imagine vraiment faire si d’aventure tu revenais en responsabilité, comme tu dis si joliment désormais. Rien de très éloigné de ceux d’en face, non plus.

    Bref !
    J’ai déchiré ta carte depuis longtemps, mais comme tous les cinq j’avais le foll espoir que tu allais changer. Au moins un peu. Je suis allé voter aux Primaires, et me suis réinscrit à ta liste de diffusion.
    Alors dans ma boîte mail j’ai reçu ces messages, parfois deux par semaine :
    - Tous ensemble avec notre candidat
        - Nous rassembler pour gagner !
           - Un nouvel espoir à gauche
              - L’alternance, vite.
    Et tu voulais que je les ouvre ? Je te promets que j’aurais préféré d’austères messages techniques. Je ne les aurais peut-être pas plus lus, mais au moins je t’aurais respecté.

    Et puis, la semaine dernière, un nouveau mail. Le changement c’est maintenant. Je ne savais pas encore qu’il allait devenir le slogan de la campagne. Pour moi ce n’était qu’un message creux de plus. Dans un grognement j’ai cliqué sur "Se désinscrire". Puis quand même, par acquit de conscience, j’ai ouvert ta newsletter. Après tout, il se pouvait que derrière le vide du titre se cache un peu de réel. Mais non, bien sûr. Tu me proposais de "revivre une semaine de campagne" comme si tu étais Yves Calvi, et de regarder une vidéo "décalée" sur la TVA sociale, faite par des petits communiquants en roue libre rêvant de bosser pour Ardisson.
    J’ai confirmé la désinscription. Froidement, cette fois. Tu reviendras vers moi quand tu seras prêt à parler pour dire quelque chose.
    J’espère vraiment que ce moment arrivera.
    En attendant, pardonne-moi d’avoir été aussi long, si tu veux je me résume :

    Tu t’es converti aux sondages parce que tu ne croyais plus en grand’chose. Tu t’es vendu à ceux qui parlent bien parce que tu ne savais plus quoi faire. Peu à peu tu as fini par ne plus écouter qu’eux, à parler comme eux. Es-tu donc devenu aveugle à ce point pour ne pas te rendre compte qu’ils ne disent rien ?

     

  • L’art français de quoi, déjà ?

    images?q=tbn:ANd9GcRDyJ3Wa2Qh3np4b4bYeoNhcL-GyQh-VHBAot4xlwzEFTdm4udP0wLimonov, donc. Limonov ! Je ne sais pas si c’est le meilleur Carrère, de toute façon on n’est pas là pour comparer, mais c’est (encore) une réussite. Avec cet art de s’inviter comme personnage de ses livres, à la fois sans fausse pudeur mais toujours au service de son sujet. Et toujours la simplicité dans le récit, cette façon en quelques mots de faire vivre un type, une soirée, une époque – ici la Russie soviétique puis celle des oligarques, celle des soirées poésie, de l’underground moscovite et des prisons d’Etat.
    Je ne m’étends pas. Si vous avez lu du Carrère, vous lirez sans doute celui-la. Si vous n’en avez pas lu, vous en lirez un jour.

    Avec le recul, je me dis que c’est un bel hommage, finalement, que lui ont rendu les jurés du Goncourt en l’éliminant de leur dernière liste pour mieux sacrer Alexis Jenni et son titre parfait comme les dés l’avaient pipé dès le départ.
    Parce qu’on rigolera bien dans quelques années quand on se rappellera le lauréat – ou plutôt quand on essaiera de se rappeler, dis-donc, au fait, c’était qui, le Goncourt 2011 ?

    A propos de Jenni, quand même, un mot. J’ai lu les critiques sur le livre, dès le mois d’août : unanimes. Un chef d’œuvre, un miracle, n’en jetez plus. Maintenant je sais qu’il n’avaient lu que quelques pages. Là-dessus pas grand chose à dire, Gallimard fait bien son job, et les critiques officiels ne sont plus à ça près. Ce qui est amusant, c’est de voir que les quelques lecteurs du Jenni sont eux aussi unanimes : un départ magistral (Daguet gambadant aux côtés de Desert Storm, l’image est parfaite), puis un livre ennuyeux, parfois mal écrit, quelques passages bien sentis mais des longueurs à se demander où était l’éditeur, et une construction linéaire qui vous donne comme la permission de quitter le livre à tout moment. En moyenne, les lecteurs ont lâché le livre page 48. J’ai fait comme eux, picorant ensuite, ici et là, dénichant quelques pépites avant de l’abandonner définitivement.

    Au final, il reste une question toute bête :
    peut-on vraiment donner un prix à un livre qu’on ne finit pas ?
    (et je ne parle pas des jurés, ce sont des gens importants, ils avaient sans doute autre chose à faire que de lire Jenni jusqu’au bout ; non, je parle simplement des lecteurs)

    images?q=tbn:ANd9GcQ9SA6iNT9OGrIQ8QRzattS4ceHQUE1W1bWzmWW9HmDR63gGAXULa réponse n’est pas si simple. Parfois on ne finit pas un livre parce qu’on ne se sent pas à la hauteur : deux fois j’ai commencé Ferdydurke, deux fois j’ai admiré Gombrovicz, deux fois je l’ai rangé avant de le finir. Et un jour, je le sais, je le reprendrai du début. La même chose est peut-être arrivée à des lecteurs des Bienveillantes, ou d’Au-dessous du volcan (que je persiste à trouver illisible, mais j’en connais qui)... Mais un livre qu’on ne finit pas parce qu’il est chiant, hein ?

    Allez, bonnes lectures.

     
    PS 1 - de toutes les tribunes qui se publient chaque année pour dénoncer les prix littéraires, surprise, cette année il y en avait une de pertinente. Elle était signée Luis de Miranda :

    Les prix littéraires tuent car, chaque année, ces manigances élèvent au rang de best-seller une littérature parfois frelatée, sans dimension épique, sans réelle ambition stylistique, créative ou sociétale. Je ne compte plus les lecteurs qui m'avouent, entre la honte et la colère, avoir été déçus par l'achat d'un livre portant la mention "prix Goncourt", "Renaudot", ou autre. Puisque le budget littéraire moyen ne dépasse guère un ou deux livres contemporains par an, nous comprenons en partie pourquoi les éditeurs indépendants vivent une crise sans précédent : les prix littéraires sont en partie responsables du pourrissement du marché, en décevant trop souvent la candeur du lecteur.

     
    PS 2 – une heure hier matin dans la salle d’attente du centre des impôts d’un quartier populaire. Une trentaine de personnes. J’étais le seul avec un livre. Pas un roman, pas un journal, pas même un gratuit ou un Voici. Mes voisins auraient-ils pris un magazine s’il y en avait eu en vrac sur une table basse, comme chez le coiffeur? Je n’en suis même pas sûr. Prenons-le comme un fait brut : rue Riquet, à Paris, France, les contribuables préfèrent regarder leurs genoux.

  • Rester sage

    Ah, j’avais envie de l’aimer, ce livre de Rachid El-Daïf ! Las...
    Je vous en épargnerai la critique – disons seulement que l’écriture est bavarde et abuse des points d’exclamation, chez moi c’est éliminatoire. J’ai poursuivi, pourtant, porté par le souvenir de la belle jeune femme sur le quai. Pas pour moi, voilà tout. Pas grave.
    Alors j’ai refermé le livre comme vous refermeriez la porte d’une pièce où des gens parleraient trop fort sans vous regarder – Oh, excusez-moi, j’ai dû me tromper de salle

    1625600_6_fd97_couverture-de-l-ouvrage-d-arnaud-dudek-rester.jpgLe lendemain, je suis entré avec précaution dans le premier roman d’Arnaud Dudek, et aussitôt je m’y suis senti à l’aise. Arnaud Dudek ne crie jamais, il parle avec une voix posée. Il ne cherche pas la formule mais tombe souvent juste. Arnaud Dudek n’alourdit jamais ses phrases de points d’exclamation, il préfère peser ses mots, et laisser au lecteur de la place pour se projeter dans son histoire, sans oublier pour autant de lui réserver quelques surprises, souvent au détour d’une phrase, en passant avec légèreté d’un personnage à l’autre, du passé au présent.
    Le livre s’appelle Rester sage. On pourrait n’y voir qu’un roman du temps qui passe mais il y a bien plus que cela entre les lignes d’Arnaud Dudek, et certainement plus de fronde que dans beaucoup de romans qui portent leur rébellion en bandoulière.
    De quoi vous faire oublier tous les El-Daïf du paysage littéraire. De quoi me redonner l’envie de lire après deux mois sans goût. Limonov m’attend, j’y cours.

  • Un livre aux lèvres et le rouge aux joues

    Elle avait les cheveux bruns noués en chignon, un manteau de laine à fins carreaux, bas et bottines noires, et une classe qu’on trouve rarement sur ce quai-ci. A ses côtés, un homme au front dégarni, tête ronde et port droit, la quarantaine placide.
    Elle se tenait face à lui, légèrement de côté, les lèvres légèrement avancées comme si elle lui chuchotait un secret. Dans sa main droite, elle tenait un livre, déjà très corné, dont elle lisait le début comme on lirait une histoire à un enfant.

    Direction Porte d’Orléans, prochain train dans une minute.

    L’ado McDo qui me cachait du couple s’est avancé vers le quai. La femme a tourné une page ; à une dizaine de mètres d’eux je ne pouvais rien entendre, mais il n’y avait pas besoin de son pour sentir la fièvre dans sa voix, et le rouge qui lui montait aux joues. L’homme, lui, gardait les yeux rivés vers la bouche de la lectrice. Quand le métro est arrivé, elle a baissé le bras et levé les yeux vers l’homme. Ils ont échangé un sourire et leur opinion, je ne sais plus dans quel ordre.

    Je suis monté dans le même wagon. Ils parlaient du livre - c’était un Actes Sud, ils se reconnaissent facilement, mais pour en voir le titre il aurait fallu que je me contorsionne un peu trop impoliment. Alors pour une fois je l’ai jouée nature. Avant de descendre à Château Rouge, je leur ai demandé quel était le titre du livre. La femme m’en a montré la couverture.
    Qu’elle aille au diable, Meryl Streep! de Rachid El-Daïf.
    Je n’avais jamais entendu parler de l'auteur, et le titre n’allait pas du tout avec la scène et la ferveur de sa lectrice. Alors j’ai pensé que l’homme était peut-être Rachid El-Daïf lui-même.

    (...) Je viens de regarder, ce n’était pas lui.
    Reste le mystère, c’est encore plus beau.
    Maintenant je vous laisse, je vais chercher Meryl Streep chez mon libraire, je vous raconterai.

    En attendant, belle année à tous.