Enfin vint le jour de la première bataille. On avait prévenu le peuple que les Pumas argentins étaient dangereux, mais le peuple était confiant comme l’était notre armée.
A la Télévision, M. de Laporte promu Généralissime s’adressa au pays pour lui demander de porter l’uniforme bleu en signe de soutien. L’Empereur lui-même fit une allocution, annonçant qu’il s’associait à la future victoire des Bleus.
A quelques heures du coup d’envoi, on fit lire à nos vaillants soldats cette lettre de Guy Moquet qui émouvait tant l’Empereur. Ce n’était plus seulement la France de 2007, mais la France éternelle, rebelle et si belle, toute drapée de bleu, qui accompagnait désormais nos bourrins sans génie dépassés par l’enjeu.
Ah, qu’elle fut belle cette Marseillaise au Stade de France. Qu’elles furent émouvantes, ces larmes qui perlaient aux yeux de nos colosses !
M. Gilardi, chef du service de propagande, ne manqua pas de souligner la belle image – et de souligner au peuple massé devant la Télévision que cette émotion serait transformée en énergie brute sitôt le coup d’envoi donné. On allait voir ce qu’on allait voir, enfin !
Et on vit. Très vite. D’erreurs en maladresses, de coups de pied manqués en ballons perdus, nos grognards fébriles ployaient et les Pumas concentrés buvaient du petit lait. Ce n’est qu’un mauvais début, assura M. Gilardi. Gardez confiance, le Génie français ne va pas tarder à s’exprimer !
A la mi-temps, les publicitaires (pour la France, versez votre or) permirent au bon peuple de France de revoir enfin ses valeureux guerriers dans des postures avantageuses, glorifiant ce fameux "esprit rugby" dont on faisait des gorges chaudes dans les casernes et qui désormais faisait vendre des assurances ou des shampoings anti-pelliculaires.
Dès la reprise, la charge de la Propagande fut héroïque.
On nous assura que le Général en chef avait su trouver les mots pour raviver ses gaillards. On nous montra dans les tribunes l’Empereur (sans l’impératrice) levant le pouce, on consulta quelques vieilles gloires qui nous assurèrent avec l’accent du gigantesque potentiel de cette équipe de France…
Oh les beaux Bleus ! s’enflammait M. Gilardi à chaque cocotte de nos jeunes coqs. A plusieurs reprises on appela sur le bord du terrain un con sultan qui nous assura que les Argentins montraient des signes de fatigue. Lorsque le grand Chabal entra sur le terrain, nos reporters de guerre ne se sentirent plus, c’était reparti, à XV comme en 14, Verdun ici Verdun, la relève arrive, l’ennemi recule !!
A écouter les reporters de guerre, un aveugle aurait pu croire que notre supériorité était écrasante et large notre victoire. Mais quand l’arbitre siffla la fin du match, quelle surprise ! Notre armée était en déroute.
Pendant une semaine on n’entendit plus l’Empereur. Pour soutenir le moral du pays on fait donner la cavalerie légère et Cécile de Ménibus, passionnée de rugby, nous affirma droit dans les yeux qu’elle avait confiance dans le talent des Bleus.
Ouf.
(à suivre...)