Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

  • La France, Monsieur. La France.

    La ligne 12 file vers le sud. Face à moi un type, pantalon de chasse et casquette militaire, la soixantaine burinée. Dans le carré d'en face, une grosse femme tout en noir, le rouge aux joues, un petit chien sur les genoux. Ils parlent fort, jamais d'accord.

    - Il reste trois stations.
    - Non, cinq.
    - Mais regarde, j'te dis !
    Il a raison, elle se tait un instant. Il continue.
    - Convention c'est dans le XVe.
    - On arrive près du Château.
    - Quel château ?
    - Ben - Versailles. Regarde, là : Porte de Versailles.
    - N'importe quoi, c'est pas là qu'il est.
    - En tout cas, Porte de Versailles, c'est le salon de l'agriculture, c'est sûr.
    - Peut-être, mais pas le Château.
    - Oh, hein, on demandera à Roland.

    Mais l'homme est fier, il n'a pas envie de l'arbitrage de Roland.
    Alors il prend sa voix de dernier mot.

    - Le Château, c'est dans le 18.

    (A, tu ne le sais pas mais je pense à tes bd tous les jours)

  • Sukkwan Island

    Into the wild. A deux. Avec un gros boulet. Sauf que c'est ton père.

    vann.jpgA 13 ans, Roy est invité par son père à passer un an dans une cabane sur une ile déserte au sud de l'Alaska. Très (très) vite, il se rend compte que son père est un faible, un loser venu chasser de vieux démons sans avoir réellement préparé l'aventure. Mais il n'est pas possible de fuir...

    J'avais déjà lu le résumé du livre, il y a un mois. Mais c'est peut-être typiquement le genre de roman pour lequel on a besoin de passeurs - des lecteurs de confiance qui vous donnent envie ou qui vous rassurent, des amis qui vous jurent qu'une fois dedans, elle est bonne quand vous hésitez à plonger dans l'eau froide.
    L'éditeur est le premier des passeurs. Critiques officiels et lecteurs éclairés prennent le relais. Ici, c'est le grand Franswa Perrin et Anne-Sophie D. qui ont joué ce rôle. Il se passe des choses dans ce roman, vraiment ! qu'ils m'ont dit. Et c'est vrai qu'il se passe des choses. En vous d'abord, dans les premières pages. Puis dans l'histoire. Je craignais le huis-clos à deux personnages, en réalité ils sont trois : le fils, le père, et la Nature - avec ses rivières et ses truites à pêcher, les ours qui menacent, bientôt la pluie et la neige, et la faim.

    Mieux vaut sans doute que je n'en dise rien de plus, ce sera encore meilleur si vous le lisez quand vous le lirez.
    Juste une chose, sur le style. David Vann écrit des phrases sans fioritures, des actions simples qui font avancer le récit. Rien n'est en toc, pas de formule choc. Quand le sujet est fort, il n'y a pas besoin de ça pour faire un livre puissant. Au contraire, peut-être.
    Passe à ton voisin.

  • Quatre notes, deux doigts

    Réaumur Sébastopol, 23h10.
    Le type est seul, la cinquantaine ridée, Européen de l'Est, Roumain peut-être. Sur la tête un bonnet, dans les mains une guitare, dans la voix une joie discrète qui vient de loin.
    Il est entré dans le wagon de mon côté, il joue en roue libre. Après quelques secondes il repère trois nanas dans le fond, entame une lambada. Elles le regardent, sourient timidement, reprennent leur conversation. Raté. Mais il en faudrait plus pour le décourager. Rangeant sa lambada, il change de rythme, pince les cordes plus fort et lance le thème de la Panthère rose.

    Tata' Tataa...

    Quatre notes et il s'arrête net, en suspension.
    Le silence de la rame attend d'être rempli. Alors sans réfléchir, je lui donne deux claquements de doigts. Presque rien, en somme. Mais c'est énorme, deux doigts qui claquent sur la ligne 4.
    Il me sourit un peu surpris, clin d'œil, et il reprend de plus belle. Cette fois il joue pour quelqu'un et la guitare chante plus fort, il joue un peu pour moi et bientôt de nouveau pour les trois filles qui ont arrêté de parler. Viendra La vie en rose, le wagon qui dormait se réveille peu à peu, les ondes positives qui se propagent. Puis une dernière pour la route, en guitare solo pendant qu'il navigue léger d'un bout à l'autre de la rame. Dans son verre quelques pièces tintent, sur les sièges on compte plus de sourires qu'à l'habitude. Nouma noumaye, Bonne soirée messieurs dames.

     

  • L'élite, toujours

    Où on en parle pour la dernière fois parce qu'on n'aime se sentir gauche en écrivant.

    Bon, juste un truc pour tordre le cou à un fantasme tenace : à aucun moment, pendant ces trois ans, la Grande Ecole n'embrigade les étudiants. Le discours sur l'élite est laissé au vestiaire, aucun gourou capitaliste ne suggère aux élèves d'y laisser aussi ses états d'âme. Au contraire, peut-être. Certaines écoles ont instauré des "modules d'éthique" (haha). Alors ? Alors c'est simple : quand la moitié de l'enseignement est constitué de "cas d'entreprises" où à la fin, un dirigeant doit optimiser sa marge ou réussir sa croissance à l'international, pas besoin d'appuyer le discours pour qu'on comprenne qu'à part ça il n'y a pas grand'chose qui compte. La vie professionnelle ne sera qu'un grand jeu, avec une bottom line en dollars.

    Autre précision. Parmi les diplômés de la Grande Ecole, beaucoup choisissent de jouer un autre jeu, d'autres se font éjecter de la roue, quelques âmes fortes se retirent du jeu après en avoir bien profité. Au final ça fait du monde, beaucoup de monde. Mais pas encore un mouvement. On peut refuser de jouer ; changer les règles, c'est autre chose. Reste à pousser derrière ceux qui tentent vraiment de le faire.

  • L'élite, encore

    Quand ils entrent dans la Grand Ecole, les étudiants sont accueillis dans le Grand Amphi par de Grands Anciens, professeurs émérites ou Grands Patrons venus tout exprès pour flatter leur ego en chantier et leur donner à l'envi du Vous êtes l'élite de la nation.
    Dans la salle, ça rigole doucement. On se regarde, t-shirt et gueule le bois, on voit bien qu'on n'a pas trop la gueule de l'emploi. Et puis on sent bien que c'est assez con, cette histoire d'élite.

    Trois ans plus tard, d'autres Grands Patrons viennent saluer la promotion qui s'en va. Ils tiennent le même discours, mais sous la toque, dans certains rangs, ça ricane moins.
    Que s'est-il donc passé entre-temps ? Pas grand'chose, pourtant. Des soirées, du sport, des campagnes BDE et quelques cours au milieu, des mecs qu'en ont et des filles qui en cherchent, de la bagatelle et parfois de la belle - rien qui te façonne une élite.
    C'est qu'elle ne se façonne pas, l'élite à la française. Elle se reproduit. Le mécanisme est tout simple. Après deux ans de glande, l'étudiant insouciant devient sérieux pour sa troisième année. Il prend un peu de plomb dans le crâne, fait son stage sérieusement, en avril il revient pour boire à nouveau au bon temps déjà révolu - et soudain une cravate qui se noue, un masque qui tombe, et surprise! sous le masque, c'est Papa qui sort de l'Ecole.
    Et c'est (re)parti.

    PS1 : oui j'exagère. Oui et non. Sur 400 élèves d'une promotion, tu m'en trouveras 250 qui ne correspondent pas à ce modèle - des gens normaux, des gens bien. Mais sur les 150 qui restent, regarde bien, il y a ton patron. Ou son patron. Ou son éminence grise. Leurs enfants feront une Grande Ecole.
    PS2 : (j'ai dit que c'était mal, d'être patron ? ben non.)

    PS3 : Jean-Louis, tu te souviens des applaudissements qui ont coupé ton beau discours sur l'Elite alors que tu n'avais pas fini ? C'était tellement bon, de voir toute la salle embrayer. Salutations.

  • L'élite

    10307-medium.jpgIl est parfois des livres dont on se dit qu'on aurait pu les écrire.
    J'ai fait HEC et je m'en excuse, par exemple.
    Le livre de Florence Noiville ne fait que 100 pages, j'aurais pu en écrire plus... Mais t'avais qu'à le faire, mon grand, me disait une petite voix pendant que je lisais.
    Elle avait raison, la petite voix. Et puis, j'étais quand même d'accord à peu près sur tout le livre. Alors autant donner la parole à son auteur. Le début est un peu cliché, mais au fond...

    "Longtemps j'ai pensé qu'il était absurde de passer toute une vie à se battre, à quelque niveau que ce soit, pour qu'un produit A grignote des parts de marché sur son concurrent B. J'avais sûrement tort. Pourtant n'était-ce pas, là encore, un formidable gâchis de cerveaux ? HEC ne fonctionnait-il pas comme un énorme "aspirateur de talents" se nourrissant des meilleurs pour recracher au bout du compte  - et sous l'étiquette d'élite économique et financière - des dirigeants âpres au gain, relativement inutiles à la société et, pour beaucoup, privés d'états d'âme ?"

    Inutiles, ça oui. Sans états d'âme, je ne suis pas d'accord. D'abord parce que beaucoup pensent sincèrement agir du côté clair de la Force, (que certains le font, d'ailleurs), et que les autres subissent autant qu'ils agissent. D'ailleurs F. Noiville tempère, un peu plus loin, en évoquant son stage chez les philanthropes de Philip Morris.

    "Je suis sidérée par la manière dont on peut , dans la vie professionnelle, être soi et quelqu'un d'autre. Agir et se regarder agir (...)"

    Elle est là, la clé. Dans le jeu qu'on accepte tous plus ou moins.
    Narcissisme des dirigeants, schizophrénie des hamsters d'élite qui font tourner la roue.

    Allez hop, on y retourne. On en recause.

  • Brightness

    19096442.jpgUne magnifique direction de la photographie et presque pas un cliché.
    La fougue dans l'effleurement.
    L'intelligence et la passion.
    Mais tout a été dit et...

    Not a word, he said.

    The feel of not to feel it,
    When there is none to heal it
    Nor numbed sense to steel it,
    Was never said in rhyme.

  • J'ai dit les yeux

    La Gouttière était pleine et elle était à un mètre. Je n'ai pas vu son visage au départ, il était masqué par le décolleté onirique d'un pull en laine qui souriait au triste sire qui lui faisait face - une sorte de geek en sweat mou. Au second coup d'œil j'ai visé plus haut et je l'ai trouvée commune. Pourtant, il y avait bien quelque chose qui...
    - C'est à toi de couper, m'a dit mon voisin de droite.

    Cinq coups d'œil plus tard j'ai compris. C'était saisissant. Elle avait le visage Natalie Portman et les pommettes de Claire Nebout et des seins bien à elle. Comment tout cela réuni pouvait-il donner cette impression si commune ?
    - Quatre-vingt pique.
    La réponse était dans les yeux. Evidemment. Ils étaient éteints. Pas la moindre flamme, rien qui brille. Deux fois je lui ai surpris une moue ménagère qui semblait dire Non mais ça c'était sûr, tu vois, je l'avais bien prévenu pourtant, etc. Voilà qui pouvait expliquer pourquoi la baguette magique était tombée à côté. Et puis, quand même... Un instant j'ai pensé qu'il fallait absolument que j'éclaircisse le mystère, que je craque une allumette pour voir ce qui se passerait, mais à côté de moi un impétueux venait de monter à 120 cœur et je ne pouvais pas laisser passer ça sans coincher.

    Quand à côté ils ont fini leur bière, j'ai pensé à Natalie. Qui sait, si elle n'avait pas été touchée par une baguette magique, peut-être qu'elle aurait-elle été tranquille à la Gouttière, à se reposer elle aussi d'une journée de boulot un peu fatigante.

    Puis le geek et la fausse Claire Nebout se sont levés, en partant il a dit un truc tout bête et elle s'est mise à rire, pas très fort, mais elle riait des yeux, enfin, et ça couvrait le brouhaha ambiant. Alors en regardant mon verre à moitié plein, j'ai pensé au geek en veille qui cette nuit dormirait avec Natalie Portman. Petit salaud. Et comme j'avais la belote, je suis monté à 100 carreau.