(salut)
Second Flore - Page 41
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Carte postale d'Athènes
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Grippe : la question qui tue
Oui, moi aussi je peux faire des titres putassiers.
Jusqu'à ce que la communication gouvernementale ne s'en mêle, je croyais savoir que la grippe tuait 5000 personnes pas an en France. Je lis ce matin que la grippe A a tué jusqu'ici 300 personnes ; or, nous dit-on, le virus A étant plus fort que l'autre, il l'a largement supplanté.
Manque donc une info, que je ne trouve nulle part : grippe A + saisonnière inclues, y aurait-il eu cette année (beaucoup) moins de morts de la grippe que l'an passé ?Idée subsidiaire :
Je ne sais pas comment les virus se battent entre eux, si A va durablement supplanter Saisonnière ou si ce n'était qu'un virus de passage... Mais admettons que l'an prochain on revienne à la situation antérieure - en gros, ce qu'on connaît depuis 50 ans. Et voyons la chose avec nos lunettes Laurence Ferrari. 5000 morts en, mettons, 6 mois, ça nous fait du 830 morts par mois, presque 30 par jour. De quoi faire du titre, du feuilleton, du vrai journalisme qui quête le sens !
Alors nous aurons peut-être droit au décompte quotidien des morts de la grippe au jité - "la barre psychologique des 300 morts a été franchie la semaine dernière ; 307 morts, selon le Ministère, c'est une hausse de 79 % par rapport à l'an passé", etc.
Suivrait un reportage sur le déstockage des deux milliards (oui) de masques achetés par le gouvernement en 2009.Pure fiction, bien sûr.
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Get a grippe
Un soir de semaine, Paris XIXe. Le décor : un centre social. Des tables, des chaises, un tableau blanc, des hommes noirs.
Derrière les tables, ils sont une dizaine. Ils sont en France depuis plusieurs années, ils travaillent sur les chantiers, dans les carrosseries ou dans les cuisines des restaurants, leur vocabulaire est limité mais leur bon sens est sans faille.- Quelles maladies connaissez-vous ? demande la conseillère familiale et médicale.
Diabète et palu viennent en premier, puis un silence.
- C'est tout ?
- Ah si ! dit Abdoulaye. Il y a la grippe A qui fait ses pubs, là, mais ça marche pas.
Approbation à sa droite. La formatrice embraye.
- Et vous êtes allés vous faire vacciner ?
Non.
- J'ai reçu leur papier, continue Abdoulaye, mais ça m'intéresse pas.
- Il faut y aller, dit la formatrice, sans grand enthousiasme.
Un peu plus tard, détail piquant, on apprendra qu'elle non plus ne s'est pas fait vacciner.(on apprendra aussi que le SIDA ne s'attrape pas par téléphone, mais c'est une autre histoire)
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Ecrire l'entreprise ?
Il existe très peu de livres sur l'entreprise - des bons, je veux dire. Peut-être parce que les écrivains, en général, ne connaissent pas. Ou alors ils connaissent mais veulent dénoncer, cherchant la formule choc pour régler leurs comptes avec le Système. En gros, l'entreprise c'est le Mal, et les patrons de beaux salauds. Voilà qui fait autant avancer le schmilblick qu'une tirade antisarkozyste dans un dîner.
Il y a quelques exceptions, heureusement. Dans le genre noir, je me souviens du portrait de DRH de Laurent Quintreau, dans Marge brute. Mais ce n'était qu'à la marge, justement (le projet du livre était quand même une analogie avec les Cercles de l'enfer). En plus lumineux, Antoine Bello (patron et romancier) parle du Système en connaissance de cause. On peut trouver naïf ses Eclaireurs, mais c'est bon parfois de voir les verres à moitié pleins.
J'ai pensé à Antoine Bello justement ce week-end, en lisant La nuit du Vojd, d'Hervé Bel.
Le héros du livre, Ivan, vient d'intégrer le service d'élite d'une grande entreprise dominée par la figure de son patron tout-puissant : le Vojd. Sa première mission : comprendre pourquoi la production d'une usine de chars a chuté de 7%, trouver le cadre coupable et lui extorquer des aveux. Le stalinisme appliqué au contrôle de gestion - l'auteur sait manifestement de quoi il parle.
Il y a quelques belles réussites, dans ce livre. Le sens du détail pour faire vivre l'histoire (malheureusement pas les intrigues secondaires), et celui de l'ellipse qui la rend universelle. Les rapports entre Ivan et son chef sont parfaitement dépeints (ah, les émois du jeune cadre, frétillant de la queue à chaque gratification, se nouant le ventre au moindre sous-entendu négatif dans la bouche d'un supérieur...) - image vivante de la violence des échanges en milieu tempéré.
Globalement, la façon dont le jeune Ivan aux idées généreuses se fait avaler par la machine est assez crédible (dommage que l'auteur vienne régulièrement rappeler que lui-même n'est pas dupe), avec une vision intéressante de la dimension politique de l'entreprise : les cadres en cour, les disgrâces, les coups de pute et les compromissions, le faire-semblant. Et le lèche-bottes à tous les étages. Le problème, c'est que si Hervé Bel décrit très bien la lèche, il ne peut pas s'empêcher de se concentrer sur les bottes. Comme beaucoup avant lui, le livre n'échappe pas à la métaphore du régime totalitaire. Comme si le livre commençait par un gros point godwin.Au fond, les meilleurs livres sur l'entreprise restent peut-être ceux de Jean-Marc Roberts : Affaires étrangères pour la tension entre le salarié et son chef, ou Les Bêtes curieuses (portrait de cadres avec dames)*.
Reste cette question : qui écrira Les bêtes curieuses à l'heure de powerpoint et du blackberry ?* adapté au cinéma sous le titre "Que les gros salaires lèvent le doigt". A l'époque, ils levaient l'index. Depuis quelques années, ce serait plutôt le majeur. Levez bien haut le doigt, Didier Lombard.
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Carlos Liscano
publie "un essai bouleversant sur l'impossibilité d'écrire".
Impossible de vous en parler.
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La France, Monsieur. La France.
La ligne 12 file vers le sud. Face à moi un type, pantalon de chasse et casquette militaire, la soixantaine burinée. Dans le carré d'en face, une grosse femme tout en noir, le rouge aux joues, un petit chien sur les genoux. Ils parlent fort, jamais d'accord.
- Il reste trois stations.
- Non, cinq.
- Mais regarde, j'te dis !
Il a raison, elle se tait un instant. Il continue.
- Convention c'est dans le XVe.
- On arrive près du Château.
- Quel château ?
- Ben - Versailles. Regarde, là : Porte de Versailles.
- N'importe quoi, c'est pas là qu'il est.
- En tout cas, Porte de Versailles, c'est le salon de l'agriculture, c'est sûr.
- Peut-être, mais pas le Château.
- Oh, hein, on demandera à Roland.Mais l'homme est fier, il n'a pas envie de l'arbitrage de Roland.
Alors il prend sa voix de dernier mot.- Le Château, c'est dans le 18.
(A, tu ne le sais pas mais je pense à tes bd tous les jours)
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Sukkwan Island
Into the wild. A deux. Avec un gros boulet. Sauf que c'est ton père.
A 13 ans, Roy est invité par son père à passer un an dans une cabane sur une ile déserte au sud de l'Alaska. Très (très) vite, il se rend compte que son père est un faible, un loser venu chasser de vieux démons sans avoir réellement préparé l'aventure. Mais il n'est pas possible de fuir...
J'avais déjà lu le résumé du livre, il y a un mois. Mais c'est peut-être typiquement le genre de roman pour lequel on a besoin de passeurs - des lecteurs de confiance qui vous donnent envie ou qui vous rassurent, des amis qui vous jurent qu'une fois dedans, elle est bonne quand vous hésitez à plonger dans l'eau froide.
L'éditeur est le premier des passeurs. Critiques officiels et lecteurs éclairés prennent le relais. Ici, c'est le grand Franswa Perrin et Anne-Sophie D. qui ont joué ce rôle. Il se passe des choses dans ce roman, vraiment ! qu'ils m'ont dit. Et c'est vrai qu'il se passe des choses. En vous d'abord, dans les premières pages. Puis dans l'histoire. Je craignais le huis-clos à deux personnages, en réalité ils sont trois : le fils, le père, et la Nature - avec ses rivières et ses truites à pêcher, les ours qui menacent, bientôt la pluie et la neige, et la faim.Mieux vaut sans doute que je n'en dise rien de plus, ce sera encore meilleur
si vous le lisezquand vous le lirez.
Juste une chose, sur le style. David Vann écrit des phrases sans fioritures, des actions simples qui font avancer le récit. Rien n'est en toc, pas de formule choc. Quand le sujet est fort, il n'y a pas besoin de ça pour faire un livre puissant. Au contraire, peut-être.
Passe à ton voisin. -
Quatre notes, deux doigts
Réaumur Sébastopol, 23h10.
Le type est seul, la cinquantaine ridée, Européen de l'Est, Roumain peut-être. Sur la tête un bonnet, dans les mains une guitare, dans la voix une joie discrète qui vient de loin.
Il est entré dans le wagon de mon côté, il joue en roue libre. Après quelques secondes il repère trois nanas dans le fond, entame une lambada. Elles le regardent, sourient timidement, reprennent leur conversation. Raté. Mais il en faudrait plus pour le décourager. Rangeant sa lambada, il change de rythme, pince les cordes plus fort et lance le thème de la Panthère rose.Tata' Tataa...
Quatre notes et il s'arrête net, en suspension.
Le silence de la rame attend d'être rempli. Alors sans réfléchir, je lui donne deux claquements de doigts. Presque rien, en somme. Mais c'est énorme, deux doigts qui claquent sur la ligne 4.
Il me sourit un peu surpris, clin d'œil, et il reprend de plus belle. Cette fois il joue pour quelqu'un et la guitare chante plus fort, il joue un peu pour moi et bientôt de nouveau pour les trois filles qui ont arrêté de parler. Viendra La vie en rose, le wagon qui dormait se réveille peu à peu, les ondes positives qui se propagent. Puis une dernière pour la route, en guitare solo pendant qu'il navigue léger d'un bout à l'autre de la rame. Dans son verre quelques pièces tintent, sur les sièges on compte plus de sourires qu'à l'habitude. Nouma noumaye, Bonne soirée messieurs dames. -
L'élite, toujours
Où on en parle pour la dernière fois parce qu'on n'aime se sentir gauche en écrivant.
Bon, juste un truc pour tordre le cou à un fantasme tenace : à aucun moment, pendant ces trois ans, la Grande Ecole n'embrigade les étudiants. Le discours sur l'élite est laissé au vestiaire, aucun gourou capitaliste ne suggère aux élèves d'y laisser aussi ses états d'âme. Au contraire, peut-être. Certaines écoles ont instauré des "modules d'éthique" (haha). Alors ? Alors c'est simple : quand la moitié de l'enseignement est constitué de "cas d'entreprises" où à la fin, un dirigeant doit optimiser sa marge ou réussir sa croissance à l'international, pas besoin d'appuyer le discours pour qu'on comprenne qu'à part ça il n'y a pas grand'chose qui compte. La vie professionnelle ne sera qu'un grand jeu, avec une bottom line en dollars.
Autre précision. Parmi les diplômés de la Grande Ecole, beaucoup choisissent de jouer un autre jeu, d'autres se font éjecter de la roue, quelques âmes fortes se retirent du jeu après en avoir bien profité. Au final ça fait du monde, beaucoup de monde. Mais pas encore un mouvement. On peut refuser de jouer ; changer les règles, c'est autre chose. Reste à pousser derrière ceux qui tentent vraiment de le faire.