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Second Flore - Page 49

  • Talons hauts, jupe fendue (complètement fêlée)

    13h40. Personne ne l'avait annoncé, mais c'est défilé de mannequins près de la Porte St Martin - united colors of top models, avec une prédilection pour le blond et l'accent russe. Au bord des rades du Xe les ports sont altiers, les gorges déployées, les attitudes sûres d'elles-mêmes et les talons très hauts sur les pavés. « Je suis belle et c'est mon métier », disent les têtes et les jambes.

    Mais l'homme de la rue, porte St Martin, ne s'en laisse pas compter. Il voit bien, lui, que la beauté est très loin d'ici, sans papier glacé le canon russe le laisse froid. Surtout quand son regard tombe sur la grande blonde maigrichonne, en queue de défilé, aussi gracieuse que si elle tentait de franchi une rivière en marchant sur des galets. Elle a deux types à ses côtés, c'est peut-être elle la star du groupe. Mais quand le booker montre la star l'homme de le rue, lui, regarde le doigt. Ou plutôt les bras. Et les jambes. Faut dire qu'on les voit bien, ses jambes, tant la jupe est fendue. Elles sont aussi épaisses que les baguettes du restau japonais où on lui conseillerait bien d'aller manger, là tout de suite.

    La rue s'est tue pendant que passaient les mannequins, maintenant les badauds se regardent avec un sourire pincé. Pas un pour tomber dans le panneau de la beauté de rêve. Ici, pas de regard du photographe, juste une dizaine de personnes qui se regardent entre elles et qui savent qu'elles pensent toutes la même chose.
    Que pute de luxe, décidément, n'est pas un boulot alimentaire. Que cette jupe fendue était bien dure à voir. Et qu'il faut être bien fêlé pour s'imposer ça.
    Qui a donc décidé de remplacer les canons de la beauté par des baïonnettes ?

    (Salut à toi, copine en jeans)

  • La nana de la pub ipod

    Elle est montée à Chateau-d'Eau, de la vapeur de sueur montait déjà dans le wagon. Petit short bleu, top rouge et ongles vernis au bout des tongs - même sa peau avait le bronzage fluo. A la poche de son short, elle avait clipé un mini-baladeur qui l'isolait du monde. Avant de comprendre qu'elle était faite de chair et d'eau, j'ai cru qu'il s'agissait d'une de ces filles un peu abstraites qui dansent la modernité triomphante dans les pubs 3.0.
    Parisienne ? Touriste ? Peu importait - elle était citoyenne du monde et habitait dans son ipod.

    Quand elle s'est glissée en face de moi, j'ai entendu dans ses oreilles les basses tranquilles d'une rhythm'n'soup internationale. Ça se confirmait. Elle a commencé par se contempler les ongles. A chaque vermicelle dans la soupe elle se mordillait les lèvres de plaisir, au refrain elle souriait, ouvrait légèrement la bouche pour former quelques sons muets, et tout du long elle dodelinait de la tête comme-à-la-TV. De temps en temps elle regardait un peu le monde autour, toujours souriante, presque étonnée de voir d'autres gens.
    L'échange a été joli quand elle a vu qu'en face d'elle je prenais des notes - j'aurais pu être en train de faire son portrait au fusain, ça aurait été pareil. Elle m'a regardé écrire quelques instants (au crayon sur le dos d'une couverture de papier glacé - illisible) puis a fermé les yeux pour rentrer dans sa musique. Quand je levais les miens, je la trouvais regard mi-clos, le menton toujours en rythme.

    La seule chose qui m'a fait comprendre que je n'avais pas en face de moi une publicité vivante, c'est quand son oreillette droite est tombée et qu'elle a dû la remettre. Sans cesser d'onduler.
    Puis le métro s'est arrêté à Odeon et je suis descendu. Si j'avais su dessiner je lui aurais laissé son portrait. Malheureusement...
    Elle m'a regardé descendre, elle est restée sous terre et continuait à planer au-dessus de la ville.

     

  • Selon arrivage

    Bon, c'est vrai qu'il y a peu de notes ici, ces derniers temps. Faut dire que ce n'est pas vraiment la saison. Et puis, ça ne se produit pas sur commande - il y a bien quelques notes en boîte dans le placard de la réserve, mais les vraies belles notes ne sont pas en boîte, elles sont livrées fraîchement cueillies, elles poussent naturellement, dans la rue, sans engrais ni pub ni pesticides, les graines ont été plantées par d'autres et elles grandissent si on sait bien les arroser avec les yeux. A condition aussi que le climat s'y prête : une tempête ou une sécheresse, et c'est toute une récolte qui est gâchée. Le prix à payer pour garder un blog bio, en somme.

  • A l'ombre

    de la Basilique, hier à Saint-Denis, Jean-Louis Trintignant lisait Vian, Brel et Desnos.
    C'était beau, c'était court, c'était grand.

    - Heu... C'est tout ?
    - Ben oui. Rien de ce que je pourrais écrire ne serait à la hauteur.
    - Et nous, alors ? Tu vas nous dire qu'on n'avait qu'à y aller, c'est ça ?
    - Je te dirai que tu n'as qu'à regarder un programme et chercher la prochaine lecture. Ça fait combien de temps que tu n'as pas fait ça, hein ?
    - Ah ouais, tiens.
    - Ou une Nuit du conte, tiens - il y en a une à la Goutte d'Or le 8 juillet.
    - T'y seras ?
    - Peut-être bien, oui. J'ai envie qu'on me raconte des histoires.

     

    Merci G.

  • Aucun rapport

    avec la note précédente, bien sûr, mais hier soir j'ai vu un type acheter des capotes au distributeur Manix de la rue Caulaincourt.
    Je me suis rendu compte que c'est toute la première fois que je voyais ça.

  • Tomber amoureux

    "(...) Peu importe qu'il soit un quiproquo : que l'amour soit réciproque ou malheureux, tomber amoureux est toujours un début de victoire." (R. Enthoven, juin 2009)

    Il y a longtemps que je n'avais pas lu de livre qui transporte, du genre il-était-une-fois avec du neuf dedans. Longtemps aussi que je n'avais pas lu de livre d'une traite, en pleine nuit, quand la vie dehors n'existe pas, quand on ne devrait pas mais que, quand on est dans le livre et qu'il ne nous laisse pas sortir.
    Sur ma table de nuit s'accumulaient des livres que je n'avais pas très envie de finir. Et puis, au-dessus de la pile est arrivé Un temps fou.

    9782234062436.jpgDepuis son premier roman je suis sensible à la musique de Laurence Tardieu. Ses histoires sont dures mais les mots restent légers, et quand le livre se referme reste le souffle. Avec le dernier pourtant, le charme n'avait pas agi, je ne sais pas pourquoi les mots restaient collés à la page. Alors cette fois j'y suis allé avec précaution. J'avais peur d'être déçu et que ça soit de ma faute.
    Mais le charme est revenu.

    Un temps fou : un homme, une femme, une étincelle. Puis un souvenir, plus fort encore. Six ans plus tard, Maud (la narratrice) est mariée, elle a une fille. Mais l'homme rappelle, l'étincelle à nouveau - et le livre commence.
    On se demande où tout cela va mener ou plutôt non, on ne le sait que trop bien et on a envie de s'y laisser conduire, le désir est contagieux, sortir de nos vies, hésiter, lâcher prise...
    Et puis, vers le milieu du livre, alors que les deux protagonistes ont enfin cédé à l'inéluctable, la perspective change, l'histoire repart. L'amour, toujours. Se relever sept fois, tomber huit.

    Vers 3 heures j'ai reposé le livre doucement au-dessus des autres. Ce que je sentais, c'était l'envie qui revient, du livre vers le cœur et qui monte à la tête. J'ai passé une bonne nuit, en espérant bien qu'elle me mènerait vers d'autres.

    arton8194.jpgIl y en a eu une autre, d'ailleurs, de nuit. Toujours avec un livre, mais c'est un bon début.
    Dimitri Bogrov (de Marion Festraëts et Benjamin Bachelier) est une BD mais se lit comme un livre, paroles et dessin qui ouvrent l'imaginaire.
    L'histoire ? Un train pour Kiev dans la Russie de 1911. Un homme, une femme, des regards, un début, une histoire. Elle s'évanouit (dans la nature), il part à sa recherche, la retrouve, tente, échoue, retente... L'illustration est fine, les dialogues aussi, une belle dose d'énergie.
    Je ne sais pas parler de BD, sorry, mais on en cause très bien ici.

    Pas sûr que l'été soit très littéraire. Faisons en sorte qu'il soit romanesque.

     

  • Ballet dominical (I want my Kate Moss)

    Jean taille basse, t-shirt et lunettes noires, démarche chaloupée, elle avançait seule vers la Porte. Dans sa main droite la baguette du dimanche matin ; dans l'autre (cherchez l'intrus) un petit arrosoir en plastique multicolore. Etonnante jeune mère. Je l'ai regardée marcher jusqu'à ce que je puisse lire l'inscription que portait son t-shirt.

    I WANT MY KATE MOSS

    Dix mètres en arrière marchait un type du même âge, bermuda et vieilles baskets, t-shirt informe, aucun slogan sur la poitrine sinon une tâche de sueur naissante. Ses deux gros sacs Franprix pesaient lourd au bout des bras.

    J'imaginais déjà leur vie de couple, quand le sherpa a tourné à gauche dans le Passage.
    Kate Moss, elle, a continué tout droit.

  • Maîtres de balais

    7 juin 2009, Point Ephémère, 20 heures.
    L'Europe était loin, très loin - et juste à deux pas.

    Sur la scène, un écrivain (irlandais), un comédien (italien), un journaliste et un éboueur.
    Le danger, dans les événements estampillés littéraires® avec lecture publique, c'est que le public s'ennuie ou s'extasie devant le style en oubliant l'objet. Parfois c'est normal - l'auteur est en plein exercice de style, on vient écouter le texte comme on regarderait du patinage artistique. Parfois c'est dommage - l'auteur montre la lune et on regarde son stylo.
    Rien de tout ça, dimanche soir.

    Le texte de Robert McLiam Wilson parlait des éboueurs, guerriers d'une modernité forcément propre et qui produit du déchet comme jamais. Il racontait assez simplement pour qu'on se projette en gilet jaune et en balai, il racontait la douleur physique du ramassage et le regard des passants sur les balayeurs en pause. Et c'était littéraire, bien sûr, parce que sans pirouettes il parvenait à créer des images nouvelles - et parce qu'il en faut, du talent, pour se mettre en scène tout en s'effaçant devant son objet.

    Entre deux lectures, Dominique Carfantan, éboueur, racontait le métier - l'organisation du service, les glaneurs après les marchés, la privatisation du ramassage, les heures sup à nettoyer la merde du public venu voir le film d'Arthus Bertrand sur le Champ de mars.
    Quand les questions sont venues, elles s'adressaient autant à lui qu'à l'auteur. Et le public était debout - pas pour une standing ovation (quoi qu'il n'eût pas fallu grand'chose), mais parce que la salle était pleine, et qu'elle l'est restée parce qu'on avait beau parler poubelles, il n'y avait rien à jeter.

    C'était un beau dimanche soir, Paris en toutes lettres mais les lettres n'étaient qu'un prétexte pour parler de la vie, la vraie - et de nous, au singulier et au pluriel.
    Cheers, Mr Robert.

    PS1 : un extrait du texte ici (et oui, j'ai piqué le titre de Télérama - y en avait-il un meilleur ?).

    PS2 : retrouvé hier avec plaisir cette note de 2007, sur Les dépossédés.
    L'histoire continue, donc. Robert McLiam Wilson habite bien à Paris. Pour les prochains romans, on n'en saura pas plus. J'ai été heureux de vous offrir une bière (un demi! honte à moi) - pour les rois on y reviendra, mais dimanche soir déjà sur l'estrade vous leur avez mis quelques coups.