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Second Flore - Page 46

  • Ne rentre pas trop tard (2)

    (où l'on tient un fil rouge, mais où on restera décousu)

    Avant les Harlequin, donc, il y a eu un été de nouveautés. Pour moi aussi c'était nouveau, donc je ne me rends pas bien compte : deux très bons romans (je n'ose pas dire "grands", ça vient avec le temps) sur une trentaine de livres entamés, ça paraît peu, mais après tout j'ai peut-être eu de la chance. Parce que je ne les aurais sans doute pas ouverts si je n'avais pas eu à.
    C'est toujours une petite histoire dans l'histoire - pourquoi on choisit un livre, comment on l'ouvre, comment il nous prend.

    Il y a d'abord eu Grand homme, de Chloé Hooper. L'enquête sur la bavure d'un flic blanc dans une ville aborigène. Je craignais le manichéisme ou le roman d'actualité vite écrit, mais comme on m'y avait chaudement invité, j'ai pris mon billet pour l'Australie. Et j'ai bien fait. Chloé Hooper a trouvé la parfaite distance avec son sujet - elle décrit et c'est le lecteur qui ressent, tour à tour j'étais un aborigène alcoolique, un colon flic et un petit blanc qui essaie d'écrire sur cette histoire. Je crois bien que j'ai aimé chaque ligne.

    Ensuite il y a eu Colum McCann. J'avais lâché son précédent roman après trente pages, j'ai entamé celui-là sans rien en savoir. Et que le vaste monde poursuive sa course folle, donc. Il commence sur un fil rouge plus que ténu - celui que Philippe Petit a tendu entre les deux tours du WTC en 1974 - et il tient en équilibre jusqu'au bout en racontant les putes de New-York, ceux qui en profitent et ceux qui tentent de les sauver. Et bien plus encore, mais c'est inracontable.

    Ces deux-là se retrouvent dans le Standard qui vient de sortir, donc.

    Un peu plus tard, il y a eu un autre très bon livre, tout aussi impossible à résumer - La fonction du balai, de David F. Wallace. Ça fourmille, ça pétille, ça part en vrille mais ça se rattrape, je me demandais comment j'allais bien pouvoir en parler mais je n'ai pas eu à le faire, Franswa Perrin le fait brillamment sur deux pages. Wallace is not for everyone but he is for me, écrivait Zadie Smith. Vous pouvez y aller les yeux grands ouverts, donc.

    Ah, et pour la route j'ajoute in extremis Notre dame du vide, de Tony O'Neil. Les chroniques de défonce d'un anglais en Californie, a priori ce n'était pas pour moi. Mais O'Neil a le style sec qui vous scotche dans l'histoire, et le recul qui lui donne un écho. Un bon flash et même pas de descente. De quoi replonger vite fait.

    Voilà. Un œil avisé aura noté qu'il n'y a que des étrangers dans cette liste (que des anglo-saxons, même, mais pour un livre c'est toujours plus court de traverser l'Atlantique que le Rhin, par exemple). J'en ai lu, pourtant, des français, mais comment dire... Allez, on ne dit rien. Il y en a eu quelques bons, quand même. On en recause.

  • Ne rentre pas trop tard

    (où l'on essaie quand même de dire deux ou trois trucs en passant)

    - Dis-donc, pdf, tu t'es bien amusé avec Harlequin, là, mais...
    - Hum. Je te vois venir, mais d'abord, fais attention avec pdf, il y a des usurpateurs...
    - Ils ont l'air sympas. Et j'adore leur ortograph. Mais donc, disais-je, t'étais pas censé nous parler de livres ?
    - Je ne suis censé que dalle, je te rappelle.
    - Ouais. N'empêche qu'on m'a dit que pour une fois et pour Standard, tu t'étais lu un petit paquet de livres de rentrée littéraireTM. Ça t'emmerderais vraiment de nous en causer ?
    - Ben... En fait, pour être franc, un peu.
    - Et pourquoi ?
    - Parce qu'hormis quelques exceptions je je n'ai pas lu grand'chose de fascinant.
    - (enthousiaste comme un enquêteur qui sent qu'il va bientôt pouvoir cocher une case) Ah ouais ? Tu dirais toi aussi que c'était une rentrée moyenne ? J'ai entendu qu...
    - (soupir) Bon. Soyons clairs. D'abord, tu peux aller dire à tous ceux qui jugent de la qualité d'une rentrée en quelques semaines qu'ils me font bien marrer. Ensuite, tu arrêtes d'écouter les commentateurs, tu sors la tête de la caverne et les doigts de-
    - Bon d'accord. Mais y'a des romans que t'as aimés, alors ?
    - Oui. Beaucoup, même.
    - Ah ben voilà ! Tu vas pouvoir arrêter de faire ton ronchon et on pourra en causer.
    - D'accord. Mais pas tout de suite, tu m'as énervé.
    - Dis plutôt que t'as la flemme.
    - Non.
    - Oh que si.
    - Peut-être, ouais. Mais surtout, là, je m'en vais passer 500 jours avec une des plus jolies filles de cette ville, alors les livres, hein... Je t'en parlerai quand je rentrerai.
    - Demain, alors ?
    - Allez. Tiens, en attendant je te passe Colum McCann, tu m'en donneras des nouvelles. Salut.

  • Alfred est ébranlé

    - Un cake au bleu et aux poires, ça te dit? a demandé ma voisine aux yeux malins après un moment de recueillement.
    - Oh oui!
    - Alors il va falloir que tu fasses quelque chose pour nous, a dit derrière moi sa complice flamboyante avec un rire machiavélique.
    J'étais piégé.
    - Tu vas nous écrire une quatrième de couverture Harlequin.
    - Ah?
    - ... Une histoire que tu aimerais vraiment lire, mais que tu traiterais à la manière de, tu vois ?
    - Je vois, oui, mais...
    - Sinon, pas de cake.
    Un peu plus tard, au dessert, j'ai eu l'idée d'une première phrase. Alfred est ébranlé, ça vous irait, par exemple? j'ai demandé. Elles m'ont donné un cookie au chocolat blanc. Je n'avais plus qu'à.

    ***

    Lettres de feu

    par Phyllis D. Fakeburn

    thumb-Harlequinades%202009.jpgLes nuits étaient chaudes dans Venise enneigée. Alfred pensa à George, et une nouvelle Aurore se leva. Ô gloire éphémère de l'amour ! Aussitôt il trempa sa plume dans l'encre de la belle et imbiba des mots les plus ardents le parchemin fragile de leur passion. Il remplit ainsi une page entière de ces saillies qui l'avaient rendu célèbre, jusqu'au point final rageur où s'évanouirent enfin les questions inutiles. Pour vivre heureux, vivons cachetés, pensa-t-il en refermant l'enveloppe.

    Alfred est ébranlé. Depuis son dernier billet, Aurore n'est pas reparue dans leur chambre du Danieli. Et ce matin, par la fenêtre, il les a vus. La précieuse, l'intrépide Aurore, sa George profonde, folâtrant avec le beau Pietro - son propre médecin !
    Certes, les deux enfants terribles des lettres françaises s'étaient promis de ne jurer de rien. Un jour amis, le lendemain amants... Et s'ils n'osaient pas s'avouer une passion plus dévorante encore ? Alfred aimerait le savoir lui-même, mais voilà qu'à nouveau une formidable érection vient troubler son jugement. Alors il reprend la plume. A la lueur de la bougie les mots s'enflamment, sa main s'enhardit et dans une transe compose une de ces lettres codées dont il a le secret.
    Comprendra-t-elle le message ? Lui répondra-t-elle ? A trop se jouer des codes, Alfred et George pourraient bien finir par comprendre qu'on ne badine pas avec l'amour...

  • L'amant interdit

    9782280851268.jpgTraumatisée par son premier amant à l'Université (un footballeur - autant dire un beau salaud), la belle Karyn n'a pas eu d'homme depuis cinq ans. Cinq longues années à prendre des bains en écoutant la radio, à lire des blogs de filles et à se dire que finalement elle est très bien comme ça. Mais bien sûr, la lectrice n'est pas dupe (elle n'a pas choisi au hasard la collection Audace).
    Evidemment, elle a trop envie de baiser, Karyn.
    Sauf qu'elle a peur.
    Il te faut un homme capable d'être patient et d'attendre que tu sois prête, résume Anne, sa meilleure amie (pas de Harlequin sans meilleure amie) en allumant la radio pour écouter l'émission de Docteur Désir (oui, oui). Mais comment faire ? Karyn a déjà épuisé tous les psychothérapeutes de la ville (c'est vrai qu'elle est un peu fatigante), et le chocolat ne résout pas tout.
    Alors Anne prend le taureau par les cornes et le téléphone par surprise. Elle appelle la radio, demande Dr Désir et met le combiné dans la main de Karyn. L'héroïne va-t-elle se défiler ? Au contraire ! Le feu aux joues, envoûtée par la voix chaude et ténébreuse du Docteur, en direct à l'antenne, elle lui demande... de faire l'amour avec elle.
    Oui Madame !
    Et nous n'en sommes qu'à la page 12.

    Pressé par des auditeurs en émoi, Dr Désir accepte de dîner avec Karyn. A contre-cul. Mais quand il la voit, qui l'eût cru ? Il est troublé. Elle est si belle ! En gentleman pourtant il se promet de ne pas coucher avec elle : il risquerait de lui faire trop mal (psychologiquement, s'entend (vous vous croyez où?)). Alors, à la fin de ce (très) long dîner, riche en omega 3 et en monologues intérieurs, il maîtrise ses pulsions et embrasse Karyn... sur le front. Horreur !
    Elle rêvait qu'il prenne les devants, maintenant elle prend la mouche.
    Nous sommes page 63.

    Sa raison aurait voulu le gifler pour lui faire payer cet affront*, mais son cœur, qui espérait toujours un vrai baiser, l'en avait empêchée. Trois jours plus tard, son cœur l'espérait toujours. Chris hantait ses jours et envahissait ses nuits.
    (* subtil jeu de mot de la traductrice - les Harlequin sont bien meilleurs en VF)

    Ô, impitoyable incertitude de l'amour ! Pendant 150 pages, Karyn et Chris (car sous Dr Désir se cache un homme, avec un prénom, un cœur et une) vont se chercher, se manquer, se trouver, se perdre, se retrouver...
    Le lecteur fruste pourrait buter devant les circonvolutions des cœurs déchirés de ces deux personnages perdus dans une histoire cousue de fil rose. Quelle tristesse ! Car si L'amant interdit éblouit par son départ en fanfare, après la page 64 l'oeuvre confine au sublime. Avec un suspense majeur, mené de plume de maître : comment diable atteindre les 224 pages prévues au contrat ?
    (Laçon n°7 : La contrainte stimule la création)

    Entre cul et cucul, Kara Sinclair ne recule devant rien pour reculer l'échéance. Une même scène qui se répète à 50 pages d'intervalle, une longue promenade à cheval tout en métaphore ("l'après-midi enfin l'avait détendu", magnifique), un méchant qui vient les surprendre au moment où... Jusqu'aux hésitations surhumaines de Dr Désir, capable d'étaler de nobles pensées sur dix lignes tout en réajustant son jean pour tenter de soulager son sexe dressé contre la fermeture éclair. Quelle tension narrative !

    La traductrice Isabelle Donnadieu (on ne cite jamais assez les traducteurs) n'est pas en reste, ne renonçant à aucune tournure précieuse pour gagner une ligne, n'hésitant pas, page 132, à glisser un de façon à ce que au milieu d'un dialogue - de l'Audace, on vous dit!
    La raideur de la morale se noie peu à peu dans un style ruisselant d'adjectifs, le crescendo est insouteneble - et quand enfin la zigounette turgescente (what else) de Chris pénètre le pilou-pilou en feu de Karyn, quand dans un dernier coup de rein il la rejoint dans la jouissance, l'extase est quasi-religieuse.
    Et encore, je ne vous dis rien de ce final haletant, ni de cet audacieux épilogue en pique-nique (véridique). Je m'en voudrais, et je suis déjà bien assez long (soyons métonymiques).

    Bref - disons-le sans fard : la collection Audace porte son nom à merveille. Dans la construction, Kara Sinclair ose la transparence - une sorte de mise à nu de l'auteur dans un scénario avec ficelles apparentes. Ensuite il y a la vie, la vraie. Chez Harlequin, aujourd'hui, on ose le mot masturbation - et même la chose !
    thumb-Harlequinades%202009.jpgEt le style, enfin. Inimitable.
    Son désir rugissait dans ses veines, comme un torrent impétueux prêt à rompre ses digues, ça vous vaut presque l'Académie.
    C'est bien simple : on dirait du Giscard.

    Dr Désir.


    PS - tous les billets des "Harlequinades 2009" sont chez Fab'shion...
    (Et pour le tout début de l'histoire, c'est ici, juste en-dessous)

  • Harlequeens

    C'était à la fin de l'été, un pique-nique à l'ombre de la Grande Bibliothèque. Nous étions venus avec des livres. Une jeune femme mariée, flamboyante, m'a offert Le premier amant avec un sourire désarmant. Juste après, sa charmante voisine m'a tiré par le bras pour m'offrir discrètement un livre à la couverture rouge vif - L'amant interdit.
    Il doit y avoir un message, je me suis dit. Il y en avait un. Ces deux jeunes femmes organisaient des Harlequinades. Le principe : chroniquer un bouquin Harlequin comme s'il s'agissait d'un chef d'œuvre.
    - Si tu n'écris pas de critique, je ne te donne pas la dernière crêpe aux marrons, me dit l'une.
    - Tu vas voir, tu n'auras même pas à te forcer pour le trouver génial, promit l'autre.

    Alors voilà. Demain, promis, vous saurez tout sur L'amant interdit.
    Je vous préviens, c'est dans la collection Audace.

    (Allez, pour le plaisir, un petit extrait :
    Il posa ses mains sur le volant et en caressa la courbe sensuelle. Le cuir lui rappelait la peau d'une femme, souple et chaude, vibrante sous ses mains expertes
    .

    Ça va chauffer)

  • Au feu les pompiers

    incendie-printanier.jpgCe week-end ce n'était pas très drôle, à part une cuisinière (à gaz) il n'y avait personne à sauver. A Helsinki, c'était quand même autre chose : une fumée noire qui sortait des fenêtres des parties communes, et à la fenêtre du cinquième, un type bloqué chez lui. Et ce rêve secret que nous avions tous, sur le trottoir, d'être ce type là, que les pompiers allaient chercher dans leur nacelle. Mais quand enfin ils sont arrivés jusqu'à lui, à l'intérieur les lanciers avaient maîtrisé le feu. Finalement, le type n'est même pas descendu avec la nacelle. "Remboursez!" a crié la foule en bas.
    Le con, quand même.

    ***

    Puis l'autre soir, un dîner à Paris. L'air était frais, la conversation aussi, de charmantes voisines, tout allait pour le mieux. Et puis, le type à ma droite a dit qu'il était pompier.
    - Attends tu peux répéter ?? a sursauté une des filles à ma gauche pendant que je lui parlais.
    Silence autour de la table.
    - Ben, je suis pompier.
    Aussitôt des joues et des culottes ont pris feu, les flammes étaient impressionnantes.
    Il a bien fallu deux heures pour maîtriser l'incendie.

    (Aux dernières nouvelles, le pompier est sain et sauf)

  • Vous avez du feu ?

    incendie-20-12-07-rue-beauvoisine.jpgAprès le Royal Hermel en août, ce week-end, l'incendie, c'était chez moi. Enfin, chez la voisine du dessus. J'allais sortir quand dans les escaliers j'ai été piétiné par dix pompiers qui montaient la lance. Forcément, une fois en bas, je me suis mêlé aux badauds.
    Bon, pour être franc, c'était plus impressionnant début août, quand l'auberge où j'étais à Helsinki avait cramé. Mais le camion, le bruit, la fumée, la rue barrée, tout ça.
    Et puis les gens. A Helsinki comme à Paris, les badauds sont les mêmes : quand ils s'arrêtent pour regarder les pompiers, ils sortent leur portable. Pas longtemps.
    Puis ils s'allument une cigarette.

  • A la Porte (2)

    Il y a quelques années, un Ibis a poussé Porte de Clignancourt. Il affiche fièrement ses deux étoiles entre une sandwicherie turque et un boui-boui portable. Pas certain que son taux de remplissage soit très élevé. Un peu plus haut, en revanche, un hôtel a longtemps fait le plein. A l'extérieur, rien ne le distingue des autres immeubles de la rue Hermel, sinon ce panneau orange, Hôtel, que je n'ai remarqué qu'après deux ans. A l'intérieur, tout confort : des chambres de 10 m², une douche par étage, WC sur le palier, électricité pas aux normes.
    L'hôtel de la rue Hermel avait trouvé un truc idéal pour se remplir les chambres poches : il était rempli de locataires à l'année. Evidemment, pour ça, il y avait un discount : les chambres n'étaient louées que 1 500 € par mois.
    1 500 €.
    Mais puisqu'une partie était financée par les services sociaux, pourquoi se gêner.

    hebergement-des-sdf-tentes-dal-rue-de-la-banque.1228128768.jpgLe 27 août dernier, trois chambres ont brûlé dans un incendie. Depuis, l'hôtel est inhabitable. Et hop, une cinquantaine de personnes à la rue. Des tentes rouges sur le trottoir émergent chaque matin des gens qui partent travailler, des gamins qui vont à l'école, des femmes sortent les poussettes. On leur a proposé des hébergements d'urgence - dans des hôtels du même genre, parce qu'apparement c'est la seule solution. Ils ont refusé.
    « Nous voulons payer un loyer », dit une pancarte près de leur campement.

    1 500 euros la chambre insalubre subventionnée. Je repense à Christine Boutin qui communiquait au lieu de réquisitionner et qui en appelait à l'humanisme du secteur privé (youhou), à Augustin Legrand qui avait refusé de se laisser instrumentaliser, eu dossier qu'on a gentiment remis dans un placard parce que quand même, loger les pauvres ça fait un peu chier ce que le peuple réclame, ma bonne dame, c'est de voir la vidéo d'un ministre bourré à l'Elysée, du pain des jeux et un peu de sang, mais pas du vrai parce que c'est sale, à la télé c'est mieux.
    1 500 euros la chambre insalubre subventionnée. La propriété et l'initiative privée ont beau être ce qu'il y a de plus sacré au monde (what else?), difficile quand même de se dire qu'avec un minimum de volonté politique on ne pourrait pas changer les choses. Mais je suis sûr que Benoist Apparu est à fond sur le dossier.