Dans la jolie barquette en plastique, les fraises avaient l’air jolies. Mais une fois mangée la grosse tentante sur le dessus sont apparus les premiers poils. Il n’y en avait qu’une, toute grise, qui avait pris sur elle toute la pourriture du lot. Celles d’à côté commençaient à être gâtées aussi, on sentait qu’elles résistaient pour que celles du dessus survivent jusqu’à une bouche avide.
La nature favorise donc les sombres de la grande distribution. Adam Smith aurait adoré. Triste constat.
J’ai repensé à ce frigo post-ado où deux citrons achetés ensemble avaient été oubliés, longtemps, jusqu’à ce que le proprio du frigo, sans doute alerté par un petit fumet acide, les découvre un jour, serrés l’un contre l’autre.
L'un d’eux était vert-gris, tout rabougri ; l’autre à côté était encore bien jaune, préservé par son copain. La nature est incroyable.
***
Quelques minutes après avoir jeté la barquette de fraises à la gueule du capitalisme sournois dans le vide-ordures, j’étais de retour en sous-sol. Sur la banquette d’une baignoire chauffée de la ligne 7. Au fond, un cadrounet déguisé bien comme il faut, gueule et veste grises, cravate rose pâle, i-pod aux oreilles, on aurait pu lui épingler une pancarte "Hors service".
Face à lui, deux paires de jambes étendues, gainées de jeans moulants délavés dépassés tombant sur des baskets à dix balles. Une gueule cassée, la cinquantaine burinée, faciès émacié assorti à la crasse du jean. A côté de lui, sa fille, du genre qu’on ne remarque pas mais qui baignée dans un VIe arrondissement passerait vite pour jolie.
Les jambes se replient, je m’installe, la jeune fille regarde distraitement la couverture jeune et polie de Standard, puis revient à son père.
- ça fait longtemps qu’on n’a pas été comme ça, tous les deux…
Il a du mal à enchaîner mais on sent qu’il fait des efforts – pas autant qu’elle, toutefois, racontant la vie avec la mère, le beau-père, tout ça…
- Et toi, au fait, ça va ? Ta journée, ça a été ? (c’est la fille qui parle)
- Ouais... Tranquille...
- T’as fait quoi.
- Oh, des trucs. (Il se redresse). J’ai vidé ma boîte mail, par exemple. Parce que c’est dingue, chaque fois que tu fais un tric sur e-bay, t’as un mail, alors fallait…
Dans le film que je tournais en parallèle, la fille se rend bien compte que son père coule, c’est peut-être vrai d’ailleurs mais l’important c’est qu’elle ne veut pas le voir, alors elle tourne la tête, vise une affiche sur le quai et le coupe, enthousiaste.
- Regarde, un truc sur les Stones !
- Ah ouais, les Stones. Je me souv...
- C’est un film. On ira, dis ?
Et la vie continue jusqu’à l’arrêt suivant, où ils descendront ensemble, le père s’embrouillant dans les correspondances. A ma droite le jeune costard n’était déjà plus là, on ne l’avait pas vu sortir.
Elle était presque jolie, vraiment.
(Aucun rapport entre les deux histoires, bien sûr. (Vous n’avez pas honte ?)
Ou alors... Mais vraiment, vous avez l'esprit tordu…
Mais qui était le fruit pourri dans la barquette ? Franchement, je sais pas.)