J'ai toujours préféré les endroits débranchés.
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Quand tu descendras du ciel
Ligne 9, vers 18h, deux collègues un peu gras échangeaient des blagues de Noël, à base de sapins et de boules. C’est énervant d’entendre des blagues s’éculer, alors j’ai tourné l’oreille.
Une jeune femme au portable, encore un peu émue, racontait un rendez-vous.
- … là, tu vois, j’étais dans mes petits souliers, disait-elle.
Je lui ai suggéré de se mettre au pied du sapin.
Elle m’a dit qu’elle ne s’offrait pas comme ça.
Je suis descendu à la suivante. -
Cher Bernard-Henri (et cher Michel),
Ce matin, un ami revenu d’un long séjour en terre persane m’appelle depuis une librairie.
"Dis-donc, toi qui connais un peu (mes amis me surestiment), tu penses que je devrais acheter ce bouquin, là, Ennemis publics ?"
Je pensais qu’il voulait faire un cadeau de Noël à sa grand’mère mais non, c’était pour lui.Alors il s’est passé une chose étrange. Un esprit sain aurait aussitôt rétorqué : Bien sûr – tu penses, deux des plus esprits les plus
branchéséclairés de notre temps qui échangent des mails et nous en offrent soudain la teneur, quelle richesse, d’ailleurs quand tu l’auras fini tu pourras me le prêter pour que je voie ce qu’il y a vraiment sous les chemisanoraks en promo ?
Eh bien, vous n’allez pas me croire, mais je n'ai pas eu le temps de lui dire ça, ma bouche était déjàç ouverte et je me suis entendu m’exclamer :
- Oh là, non !
Curieuse machine que le cerveau humain, hein ?Du coup, je crois qu’il est sorti avec Cendrillon. J’espère qu’il me la présentera.
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Petit monde, Dernier monde
Ah, le roman français ! Il va mal, il ne s’aime plus, il regarde son nombril plutôt que le monde… On finirait par le croire.
Mais si les commentateurs officiels du petit monde des chiffres et des lettres passaient moins de temps à regarder le nombril de leurs voisins, ils en gagneraient pour lire des livres qui.
M’enfin. On connaît le refrain. Donc, c’était à la rentrée 2007 (toujours elle? ben oui). Je me souviens d’avoir entendu parler ici et là d’un roman-d’anticipation-qu'avait-l’air-vraiment - le genre d’infos qu’on archive en passant, peut-être bêtement en attendant qu’un grandmédia® valide le tuyau. Sauf que si je me souviens bien, à l’époque les grandmédias étaient surtout occupés à interviewer Mazarine Pingeot et à commenter le passage de 95 à 92 ans de l'âge limite pour les jurés du Goncourt.Ainsi donc il y avait cette info, archivée quelque part. Et il a fallu une bonne année, un aticle de Standard et l’obstination enthousiaste de Christophe Paviot, sur Strictos et sur le Buzz littéraire, pour qu’enfin je l’ouvre, ce livre.
Le dernier monde, de Céline Minard, donc.
Mais vous voulez peut-être savoir de quoi cause le livre, surtout.
OK.
C’est l’histoire d’un cosmonaute en mission dans une station orbitale. Quand Houston rappelle tout le monde sur Terre après quelques étranges phénomènes, Stevens décide de dire merde et de rester tout seul là haut. Page 100, il revient enfin. Mais il n’y a plus personne sur Terre. Page 150, il comprend ce qui s’est passé. Jusque là, c’est du très bon. Mais il reste 350 pages et on se demande ce qu’il va bien pouvoir faire tout seul tout ce temps-là.
Eh bien, il trouve. D’abord, il doit composer avec les animaux (rats, lions, porcs et autres), tâcher de faire survivre sa petite République humaine. Ensuite il se donne ce défi – ranger la station, comme là-haut. Et puis surtout, il n’est pas seul. C’est une histoire à quatre que raconte Céline Minard – celle de Stevens, de sa Peur, de sa Mémoire triste et de sa Part de féminité, qui s’engueulent gentiment et tentent de coopérer tout en se disputent la narration.Bref – si on en voulait, du roman-monde, en voilà un vrai, un beau. Avec quelques envolées haut perchées dans lesquelles on peut plonger ou qu’on pourra sauter allègrement pour mieux goûter la suivante (je crois qu’il n’y pas un seul grand livre dans lequel je n’aie pas sauté de paragraphe). Et surtout, quelques-unes de ces pages qui vous scotchent au lit alors que vous aviez vraiment prévu de vous coucher tôt.
De toute façon, le monde des livres appartient à ceux qui se couchent tard.
On en recausera. -
Je suis partout
« La sédentarité et le nomadisme ont changé de nature (…) Le sédentaire c’est celui qui est partout chez lui – avec le portable, l’ordinateur, aussi bien dans l’ascenseur, dans l’avion que dans le train à grande vitesse. Par contre, le nomade est celui qui n’est chez lui nulle part – dans la rue, dans des tentes… »
(Paul Virilio, Terre natale – Ailleurs commence ici - Fondation Cartier)
Et parce que je suis un nouveau sédentaire, j’allais vous causer peinture classique et Lolita (oui il y a un rapport), mais je vais plutôt le faire là-bas, chez Strictos.... Oh, my Lo – and I’ve got only words to play with !
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Kafka sur le rivage
Salut mec,
Comme tu aimes bien Murakami mais que son dernier t’avait déçu, j’ai décidé de lire pour toi Kafka sur le rivage. Tu connais l’histoire, peut-être. Les histoires, en fait, puisqu’il y en a deux : celle d’un petit fugueur de 15 ans et celle d’un petit vieux idiot mais qui sait parler aux chats – et ces événements étranges qui les relient à plusieurs kilomètres de distance.
Je sais, oui, que tu n’aimes pas beaucoup le fantastique, même quand il s’agit de métaphores – mais tu n’es qu’un gamin, tu verras, en grandissant tu y viendras. En tout cas, tu devrais vraiment le lire, tu pourrais vraiment en prendre de la graine. Mais comme je sais que tu as d’autres lectures en cours, je te fais un petit résumé des choses à retenir pour plus tard…1. Travaille la voix de tes personnages. Je sais que tu avais déjà remarqué le talent de Fred Vargas pour donner un ton spécial à chacun ; je sais aussi que tu as fait des efforts pour Truc N°2, mais franchement, tu as encore des progrès à faire. Et au-delà de la voix, tu remarqueras ces petits éléments tout simples de caractérisation des personnages– un petit truc de décalage, pas juste un gimmick ni du blabla, du concret avec lequel tu puisses jouer tout au long du récit (Le-Garçon-nommé-Corbeau qui personnifie la conscience du héros, par exemple). Tu t’en souviendras ?
2. N’aie pas peur d’être plus long. Etre long ce n’est pas forcément être bavard ; c’est aussi être plus généreux. Il s’agit juste d’installer le lecteur dans le bon rythme, de bosser un peu t’y installer aussi, et zou.
3. Reste simple et efficace dans la construction. Tu verras comme c’est efficace, deux histoires parallèles qui se rejoignent. Evidemment, je te connais, tu auras peur de tomber dans le roman de gare d’Eurostar à la Lévy (Marc), le genre de truc bien calibré dont il ne reste plus rien à la fin. Mais c’est une idée à la con, ça. La différence n’est pas dans la construction, elle est dans la profondeur. Et puis, avec les constructions simples c’est plus facile de s’amuser, de détourner les codes une fois de temps en temps – vas-y sans crainte, Murakami t’indiquera le chemin.
Bon. Sinon, en lisant, j’ai pensé aussi à ce projet de roman dont tu m’avais parlé – tu sais, un livre dont le héros est un collégien. Tu verras ici que l’important n’est pas de le faire parler comme un ado (l’échec est quasi-assuré), mais de retrouver la profonde naïveté naïve profondeur des interrogations adolescentes. Tu vas adirer, je le sens.
Allez, je te laisse. Vraiment je te le recommande. Tu pourras en parler à tes potes en ligne, d’ailleurs. En tout cas, moi, si j’étais toi, je prendrais bonne note et je retournerais vite bosser.
Salut
Ta conscience nommée Corbeau.
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Dédicace
- Tiens, je crois que j’ai un truc pour toi.
- Ah oui, quoi ?
- Un petit faible. -
Cher Bernard-Henri,
Ainsi donc je ne vous ai pas vu dans les librairies de Dresde. En revanche c’était bien vous, hier, boulevard Saint Germain.
C’était une belle image : il devait être 17 heures 15, le jour déclinait rapidement mais pas vous, bien sûr. Vous étiez seul, tête haute, le cœur à gauche et la démarche droite. Votre chemise était blanche, sans doute, sous votre manteau. Mais vos lunettes, elles, étaient noires.
Derrière moi un petit garçon a dit à sa maman – Mais il doit rien voir, le Monsieur, et j’avais envie de lui répondre que si, petit, le grand philosophe ne voit pas la même chose que nous, il voit plus loin, plus profond, d’ailleurs si tu lisais un peu ses mails qu’il publie chez… Bref.Je me suis demandé, moi aussi. J’ai songé que peut-être il vous fallait protéger vos yeux si précieux que les décorations de Noël risquaient d’aveugler, ou qu'il vous fallait un filtre magique pour mieux voir le monde. Le garnement qui sommeille en moi a murmuré que vous aviez juste chopé la grosse tête mais je l’ai bien mouché en lui signalant que si lui aussi était un grand homme il n’aimerait se retrouver yeux nus en photo dans Closer, et que les lunettes n’étaient qu’une noble pudeur. Ce con, il a rigolé, il a dit que les lunettes teintées c’était important, pour les philosophes, ça permettait de réverbérer à l’intérieur leurs idées lumineuses.
Un peu plus loin, j’en ai eu une autre, d’idée. Tellement simple qu’elle en a éclairé mon petit bout de trottoir. Les personnages publics, au fond, sont comme les lieux publics, je me suis dit. Il y a des heures d’ouverture, et des heures de fermeture. Les lunettes seraient comme un panneau "fermé au public", mais en un peu plus chic.
Alors je me suis demandé si vous les enleviez souvent en dehors de chez vous, vos lunettes – hormis à la télévision bien sûr, mais c’est un peu chez vous aussi, la tv.
En attendant je vous salue. -
La France qui rayonne (2)
Dresde, Neustadt. La ville nouvelle n’a rien de la majesté princière qui marque l’autre rive de l’Elbe. Les architectes ont simplement essayé d’en faire un lieu agréable à vivre.
Ainsi, la Haupstrasse est devenue piétonne, pavée de part en part, et bordée d’arbres et de petits bancs de bois. Bucolique. Sympathique. Ils ont même pensé à mettre les bancs sous les dernières branches des arbres, afin d’offrir un peu d’ombre aux amoureux qui s’y arrêteraient par de belles après-midis d’été.
Mais il n’y a pas d’amoureux sur les bancs, à Neustadt, à l’automne. Il n’y a plus de feuilles dans les arbres non plus, d’ailleurs, juste des pigeons. Qui chient sur les bancs. Sur tous les bancs. Et en masse – sur certains on note même plusieurs couches, il y a longtemps apparemment que l’homme a abandonné la partie.… Et puisqu’on ne peut s’embrasser, entrons donc dans la librairie.
Sur la table, Anna Gavalda est en bonne place avec la Consolante. Le Clézio lui tient discrètement compagnie. Sur l’étagère des nouveautés, les couvertures colorées semblent toutes marquées du sceau de France Loisirs. Pourtant la librairie ne manque pas de grands auteurs classiques. Et parmi les Français ? Allez, on y va dans l’ordre : Le Clézio again, Marc Lévy, Saint-Ex, Eric E. Schmitt, François Vallejo et Fred Vargas ("die besten Kriminalromanen in Europa", clame Die Zeit à même la couv). C’est tout ? Oui. Ou plutôt, non. Non. On découvre aussi, en bonne place, Thierry Cohen et Anne Golon ("Angélique, marquise des anges").
Ah, la France quand elle parle au monde…
Peut-être chez les Poches, alors ? Allons-y : Barbery, Beigbeder, Beauvoir, Bauby, Le Clézio et Gavalda, F. Lelord, Marc Lévy, Irène Némirovsky, Sagan, Schmitt et Tatiana de Rosnay. C’est la fête. Pas même un Houellebecq, là j’avoue que j’étais surpris. Et pas un BHL - oui vous avez bien lu, pas un seul. C’est louche.(Et hop ! Bientôt Berlin)