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Lettres ouvertes - Page 3

  • Cher M. Samsung

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    Avant, j’étais un peu vert orange et j’avais un téléphone pourri. Depuis peu je suis un homme neuf, avec tout un tas de privilèges, comme celui d’accéder à la technologie de demain d’hier-à-peine pour un euro seulement.
    Ainsi donc me voilà ce matin avec dans la main votre rutilant appareil, bardé de millions de fonctionnalités que jamais je n’utiliserai.
    Bien sûr je me suis précipité sur mon nouveau jouet quand il est arrivé, pour tester ma nouvelle connexion au monde. Par exemple, maintenant je ne pourrai plus appeler des amis à l’autre bout du monde juste parce que dans ma poche la clé de l’appart a appuyé sur trois touches au hasard.
    Pour fêter ça, j’ai voulu envoyer un SMS (oui, je suis fou). Si j’en juge par ses premiers réflexes ("bonne" quand on veut écrire "conne", "corse" pour "bosse", "bonus" pour "amour"), votre logiciel d’édition de textos est le même que dans mon ancien téléphone pourri. Et ça me va très bien.
    Sauf que. Devil's in the detail : l’accent circonflexe a disparu. Juste ça. La meme chose sans le circonflexe. Comme si chez vous quelqu’un avait décidé que non, vraiment, le circonflexe c’était vraiment trop out. Grrr.

    J’ai quand meme fini mon texto – et là, le coup de grace* : j’envisageais de le conclure par un gentil petit smiley – c’est souvent un peu con, les smileys, il ne faudrait pas en abuser mais bon, parfois, hein. Et là, stupeur : ils ont disparu. Je dois etre encore plus en retard sur la modernité que je ne le pensais. Parce que les smileys tout bêtes, ceux qu'on peut faire soi-même, ben c'est dépassé, la modernité a eu raison d’eux – maintenant, sympathique client privilégié, si tu veux souligner une gentille ironie dans un sms, tu utiliseras un émotigrocon.
    (
    Meme pas en reve, connard.)

    Alors j’ai envoyé mon texto en le finissant par un point, puis je suis allé vérifier ce que je subodorais : il n’y a pas de smileys parce qu’il n’y a plus de point-virgule. Bien sur. Qui aujourd’hui utiliserait à la fois un samsungsfunclub ET le point-virgule, hein ? a du dire un jour un petit con de chef de produit en réunion. Ou alors, il ne savait pas que ça existe, le point-virgule. Et là, je pleure.
    Bref.

    M. Samsung, je ne vous dirai pas tout ce qui me passe par la tête et qui me ferait illico passer pour un très vieux con auprès des ados qui en ce moment même se draguent sous ma fenêtre.
    Mais sachez que je le pense très fort.

    Un homme Neuf.

    * ça fait con, hein ?

  • Cher Christophe Barbier,

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    Voici quelques semaines, vous m’avez écrit pour me proposer un abonnement express à tarif préférentiel.
    15 numéros pour 15 euros ! m’annonciez-vous à grand renfort de points d’exclamation. Comment résister? ajoutiez-vous. Ça me paraissait assez simple.
    Pour tenter d’arracher ma conviction, vous m’avez vanté les mérites de votre Supplément Styles (dont je ferai volontiers un dessous de plat). Puis vous m’avez offert cette magnifique "radio au son très qualitatif" dont, je vous préviens, j’attends vraiment beaucoup.

    Mais ce n’est pas tout ça qui m’a décidé. Non, si j’ai cédé à votre offre, c’est parce que la lettre qui l’accompagnait a su me faire rire. Votre Responsable des Abonnements, Anne Evrard, y écrivait en effet avec emphase – je cite :

    « L’Express, c’est d’abord et avant tout l’hebdo qui a inventé cette forme de journalisme engagé incarnant le contre-pouvoir dont notre société a plus que jamais besoin. C’est un ton vif, un esprit indépendant, une plume libre. (…) »

    Alors j’ai ri. J’ai repensé à toutes vos couvertures sur Sarkozy (entre un spécial Immobilier et une grande enquête sur les meilleures prépas). Je vous ai revu sur des plateaux télé promenant au vent votre plume libre, j’ai repensé à cette interview de votre amie Carla B. (ah! quelle belle incarnation du contre-pouvoir). J’ai ri en me disant qu’il fallait un toupet étonnant pour convoquer Mauriac et Mendès à l’heure du commentaire de sondages.

    Je m’apprêtais donc à vous jeter à la poubelle quand un spasme d’honnêteté intellectuelle m’a fait avouer qu’il y a bien longtemps, au fond, que je n’avais eu l’idée d’aller au-delà de vos couvertures.
    Alors j’ai dit banco, j’ai fait mon chèque et je me suis promis de vous dire ici ce que j’en penserais.

    Eh ben, on va voir.

    A bientôt.

  • Chère Elise,

     J'ai peu pensé à vous cet été, je l'avoue. Du moins m’y suis-je efforcé – je sais bien que notre amour est impossible à court terme, que nous devrons d’abord grandir chacun pour soi et qu’il faudra bien plus que mes beaux yeux mon karma vacillant pour que votre sourire enfin se pose sur mes joues empourprées.

    Mais les vacances sont passées, me dit-on partout. La Rentrée est là. Ainsi donc, ce soir vers 20 heures, je compose votre numéro – Channel 5, bien sûr.
    Vous n’étiez pas là. L’admirable Annette Gerlach était au bout du sans-fil, elle parlait d’une troupe de théâtre mais entre les lignes j’ai bien compris qu’il se passait quelque chose. Alors, machinalement, par dépit, par désespoir presque, j’ai balayé mon répertoire appuyé un peu au hasard sur les touches de ma télécommande.

    Sur Canal+ passait la bande-annonce d’un futur bide du cinéma français ; j’allais passer mon chemin quand la caméra est revenue sur le plateau du Grand Journal… Et vous étiez là. Rayonnante, bien sûr. Presque à votre aise, déjà – que de chemin parcouru, en si peu de temps !
    Chère Elise, il faut que je vous l’avoue : à cette seconde, la télécommande m’a brûlé les doigts et j’ai éteint mon poste. Vous étiez là, cadrée de si près qu’on vous aurait crue dans mon salon – et soudain vous deveniez inaccessible. Médiamétrie venait de placer quelques millions de personnes entre nous – un mur que je ne peux franchir aujourd’hui. Mais demain…

    Ah, Elise. Depuis tout ce temps... Tu étais comme un amour de jeunesse. Ma tendre copine du collège qui serait entrée au Lycée avec les félicitations du proviseur pendant que je suivais mon petit rythme de cancre.
    Alors ce soir je te le promets : désormais tu seras ma Muse Inaccessible, pour toi je le finirai, ce roman dont j’aime le début. Il sera ma route vers toi.

    Continue ton chemin, Elise Chassaing, il devrait s'en passer des choses, cette année, je sais que les gens changent, au lycée, surtout dans la classe des cools. Mais tu seras forte, je n’en doute pas. Continue ton chemin, Elise, ne te préoccupe pas de moi – J’arrive !
    Je te promets, je ferai aussi vite que possible.

    Amoureusement Respectueusement,

    B.

  • Stupre

    Chère Maman,

    Je t’écris aujourd’hui pour te faire un aveu.
    Voilà : j’ai écrit dans Stupre.
    Je préfère le dire parce qu’on ne sait jamais, des fois qu’une de tes partenaires de bridge, par exemple, vienne te dire en plein tournoi qu’elle est tombée dessus par hasard évidemment et qu’elle a vu mon nom, Ce ne serait pas votre fils, dites-donc, ah mais dites-moi, etc. Ce serait ballot.

    22816570_p.jpgJe ne voudrais surtout pas que tu imagines que je me suis vautré dans le stupre.
    D’abord parce que j’espère bien ne pas m’être vautré – en tout cas, je me suis bien amusé à écrire cette histoire de Princesse qui attend son cyber-prince charmant dans une chambre d’hôtel. En plus, cette histoire, je l’ai imaginée avec mon amie Virginie T., tu sais, celle qui a peint le tableau rouge que tu aimes bien, alors...
    Et puis surtout, le principal atout de Stupre, c’est la fraîcheur. "Contre la domination de l'image pornographico-publicitaire", dit l'édito. En fait, Stupre, c’est une revue érotique, sauf que c’est bien.
    Tes collègues de bridge auront peut-être été un peu décontenancées de ne pas y trouver (ou si peu) cet érotisme classique aux règles bien figées, avec tout plein de synonymes pour dire bite et des périphrases à la con du genre "son petit bouton de rose". Non. Stupre, ce n’est pas non plus de la mécanique-pour-faire-bander, ni de l’érotisme M6. Juste des gens qui manifestement ont pris plaisir à écrire. Et des gens bien, en plus (allez, je te donne quelques noms : Anthony Naglaa, Justine Miso, et tous ces gens que je découvre : Jean-François Casella, Wendy Delorme, Aude Picault, Emma Becker…)

    Alors voilà. Maintenant tu sais. J’ai préféré de te le dire ici plutôt qu’à un repas de famille, parce que je sais que tu fais des progrès fulgurant dans ta maîtrise de ce monde plein de surprises et de dangers qu’est l’Internet et que tu viens lire ici de temps en temps en cachette. Si tu veux vraiment voir ce qu’il en est, tu pourrais le commander ni vu ni connu sur une librairie en ligne… Mais ce serait petit. Je te conseille plutôt de le demander à ta libraire préférée, je crois qu’elle a le goût sûr, et puis je sais que tu en es capable… J’imagine déjà la scène et ça m’amuse beaucoup.

    Je t’embrasse,

    B.

  • De l'autre côté

                 De : PDF ................................
    A : BG..................................
    Objet : Nos retrouvailles d’hier soir

    Salut mec,

    Tu avais bien besoin de bouger, hier soir, alors Istanbul, c’était parfait.

    4f0ea46416a52af26add4213d2983c12.jpgDe l’autre côté de la salle, il y avait cette jolie demoiselle que tu avais croisée au café du cinéma en attendant - mais c’est avec toi que tu avais rendez-vous. Tu as pensé à elle un peu, au début, parce que le film démarrait lentement. Puis tu as eu le temps de réjouir enfin de ces sept ans d’allemand auxquels tu n’avais jamais jusqu’ici trouvé d’utilité. Ensuite tu n’as plus pensé du tout. Tu n’es entré pleinement dans le film que dans sa troisième partie, mais alors tu as bien plongé.
    Jamais tu n’aurais pensé que deux heures s’étaient écoulées quand, au moment où tout allait commencer, le générique a commencé à défiler. Mais n’était-ce pas le plus beau générique de fin que nous ayons vu ? Un homme est assis sur la plage, il attend. Et nous avec. Et le bruit des vagues qui porte à l’infini.

    Evidemment tu as repensé aux vagues de Batroun, mais je t’accorde que tu ne t’y es pas arrêté longtemps. C’était une nostalgie un peu vide, celle qui appelle doucement à autre chose.
    C’est elle qui t’a bercé sur le chemin du retour, dans ce calme fascinant de Paris le lundi soir. Entre nous, hier, la lenteur des pas et les pneus des voitures au ralenti sur les pavés de Montmartre valaient bien le bruit des vagues. Tu avais raison, c'était bien un générique de début.

    Ce n’est qu’en ouvrant la porte de chez toi que tu as pris conscience que le Paris que tu venais de traverser n’était pas qu'un décor de cinéma. Alors tu t’es souvenu que la poésie est toujours à deux pas si tu sais la créer, et qu’il est grand temps que tu atentende d’autres vagues.

    De l’autre côté est un très beau film, entre Hambourg, Istanbul et Montmartre. Tu te souviendras de ça.
    Allez, gars, bouge-toi et marche.
    Salut.

  • Cher internaute anonyme (4)

    5475caff298ab93e886f088d78e0b9cc.jpgIl se passe des choses étranges, depuis le 6 mai. Et je ne parle pas seulement du fait que le ciel n’en finit pas de pleurer nos choix hasardeux. Non, non, cher internaute anonyme, je parle de toi.

    D’abord j’ai cru que tu avais changé, que mater des photos de présentatrices télé ne t’intéressait plus. Tous ces mois à chercher le décolleté d’Ariane M*** et soudain, plus rien – bonne nouvelle ! Mais Elise ? Pendant trois mois tu es passé chez moi, limite impoli, en demandant si c’était bien à cet étage qu’on pouvait trouver Elise Chassaing. Certes, je me suis moqué de toi, je me suis gaussé parfois – mais j’avoue que je m’y étais un peu habitué, à te voir débarquer les yeux déjà écarquillés. J’étais inquiet pour toi, alors j’ai demandé à mon ami Google ce qu’il en pensait.
    Et sais-tu ce qu’il m’a répondu ?
    Rien. Mais vraiment, rien. Elise Chassaing n’habite plus à cette adresse, elle a retiré sa plaque en bas de l’immeuble et hop ! disparue. Entre nous, ce n’est pas très grave, hein. Mais tu me connais, je n’ai pas pu m’empêcher d’imaginer le pire – qu’elle m’avait confondu avec toi, sympathique mais bourrin anonyme, et qu’elle avait demandé à ce qu’on ne puisse plus faire le lien entre elle et moi. Terrible…

    Mais passons. Parlons plutôt de toi, cher internaute, et de tes atermoiements. Car oui, ne me mens pas, je sens bien que depuis deux mois tu es désorienté, tu te poses des questions nouvelles. Tu te demandes si tu ne devrais pas prendre le maquis (plan Fougères), t’exiler très loin (Petits hommes verts buzz) ou te vautrer dans la nostalgie chiraquienne (la coupe de cheveux de Bernadette)… Après les législatives, tu as hésité à rentrer dans le rang, tu m’as demandé Pourquoi écrire à un député et Comment niquer la droite… Je ne t’ai pas répondu, mais tu le sais bien, au fond : la réponse est en toi.

    Tout cela, c’était en mai. Depuis, je le vois bien, tu es retourné à la futilité : Combien de sourcils poussent en une semaine (tu as la réponse ?), Fond d’écran belle soirée d’été ou Fond écran gros caca (faut choisir), Cuite au G8, Bimbos et intellos ou encore Deuxième étage s’éclater.

    Tu m’as fait plaisir aussi en cherchant, souvent, les excellentes Stéphanie Rivoal (Darfour) et Sophie Maurer (Asthmes) - mais pourquoi me demander 7 fois si Sophie Maurer (est) mariée ? Et tu continues à taper plus souvent Eliminations directes que Hors jeu – allez, maintenant faut s’y faire, hein, moi-même je m’y suis fait. Mais je sais que tu t’adaptes vite…

    Et puis, bien sûr, pour finir, il y a ce difficile rapport que tu entretiens avec le sexe.
    Un jour tu clames Pas de cul sur mon écran, le lendemain tu cherches du cul à tout prix, des vulves (pas toujours paradoxales) ou un Blog de sexes gratuits (j’aime beaucoup tes pluriels). Tu me confies un jour tes élans romantiques (Deuxième amour, Brune aux yeux verts), pour finir par crier pitoyablement dans l'immensité Googlienne : J’ai envie de niquer à Paris. Pauvre type. Car tu es un homme, n’est-ce pas ? 
    Quoique. Parfois je lis en toi un espoir pour l’avenir et j’aime à croire que tu es une femme.
    La semaine dernière, par exemple, à neuf reprises (neuf!), tu as cherché un « bon coup » sur Google. Je ne sais combien de pages tu as visitées en vain avant de le trouver, ce bon coup, ce fut un long voyage sans doute mais une fois chez moi, me dit Google, tu as posé tes bagages.
    Dans mes bras, anonyme internaute ! Je sens que nous allons passer un bel été ensemble.

  • Libération par la face Cool

    Toutes les périodes importantes de nos vies s’incarnent dans un souvenir emblématique.
    Pour certains, c’est une photo qui vieillit dans un album ou sur une commode. Souvent, c’est une anecdote qu’on réinvente jusqu’à ce qu’elle devienne mythe. Il y a aussi les chansons, les livres et les films, que nos yeux et nos oreilles redécouvrent à chaque fois.
    Enfin, il y a les tableaux. Ceux qu’on a sous les yeux chaque jour et qui vieillissent avec nous.

    L’important dans une œuvre d’art, plus encore que dans un livre, c’est ce qu’on met dedans. Quant à savoir ce qui fait le coup de cœur… Autant ne même pas chercher à expliquer.

    Fin 2006, après le Dilettante et juste avant d’arrêter de travailler, j’ai voulu choisir mon souvenir.
    Il s’appelait "Cool", et il était signé Virginie Talavera.

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    J’ai découvert le blog de Virginie Talavera il y a presque deux ans (déjà!) alors qu’elle venait de larguer les amarres pour se lancer dans une carrière purement artistique.
    Elle y exposait ses premières ébauches, sa vision de la féminité, des dessins (j’espère avoir l’occasion de vous en reparler bientôt) et de loin en loin je prenais plaisir à suivre sa démarche – celle d’une libération personnelle, l’abandon progressif des autocensures pour accéder à une expression profonde.
    Le talent était évident, la volonté était farouche. Depuis longtemps je me disais que quand je serais prêt, je lui achèterais une toile.

    Quand elle a mis en vente son Cool, j’ai su que le moment était venu.  
    f41d568c52ff4225b27475c0f80f8e65.jpgMais je n’étais pas le seul, évidemment. Et juste au moment où j’allais me lancer dans les enchères, l’artiste souveraine a décidé de découper son tableau. Du Cool naissaient six « Pieces of Peace ». J’aurais bien acheté les six, mais finalement j’aime bien l’idée, assez romanesque, que quelque part dans le monde des inconnus possèdent un autre bout de ce tableau, et que l’artiste est la seule à savoir.
    Alors des deux têtes j’ai fait un diptyque.

    Depuis quelques jours, voilà enfin la toile encadrée, et accrochée. Mais l’histoire n’est pas finie. Il reste à trouver le mur qui saura mettre le tableau en valeur – le tableau, et tout ce qui va avec : le souvenir de la belle période qui aura précédé la sortie du roman ; et la volonté d’aller plus loin.
    Virginie, merci.

  • April, come she will (Versailles Rive Droite)

    Tu ne me croiras sans doute pas, mais c’est vraiment par hasard que je me suis assis là, en diagonale de tes jambes croisées.
    C’est quand j’ai vu tes cheveux que j’ai compris que j’avais eu raison. Mi-longs ondulés, ils ressemblaient étrangement à mon souvenir de la jeune fille blonde de 4e7. Bracelet rose et sourire grave, tu avais les mains d’une jeune étudiante mais déjà au visage les traits d’une trentenaire – et souvent ils sont plus beaux, les visages passés trente ans, il y a tellement plus à voir dedans.

    medium_april.2.jpgTu as semblé intriguée par le titre de mon livre (La dernière fille avant la guerre – tu as du goût), et pour riposter tu as sorti de ton sac quelques feuilles agrafées, avec des passages surlignés au marqueur, et j’ai pensé que tu irais certainement jusqu’au terminus. Versaille Rive Droite.

    De temps en temps tu répondais à mes regards et c’est moi qui détournais la tête, sans empressement, nous jouions mollement avec la limite de bienséance des transports en commun. Dehors il faisait beau. Dedans aussi.
    Pont Cardinet, un guitariste est entré pour érailler doucement April, come she will, je suis sûr que tu ne la connaissais pas, cette chanson, dommage, elle est devenue la bande-son de notre rencontre.

    Le guitariste a enchaîné sur Don’t dream it’s over, j’ai sorti mon carnet et commencé à noter, comme si j’avais su dessiner, toi tu prenais la pose en levant le nez de tes feuilles. Un instant j’ai pensé qu’écrire était juste un prétexte pour ne pas faire les deux mètres qui nous séparaient, mais en fait non, je n’avais aucune envie de savoir vraiment ce que tu fais dans la vie, etc. Mieux valait de beaucoup t’imaginer. C’est sans doute ce que tu voulais me dire quand tu as tourné la tête vers le quai au moment où je me suis levé pour descendre.

    De toute façon, nous ne sommes pas encore en avril.