Chacun a ses petits rites, j’imagine, quand il s’agit de se remettre au travail.
L’important, dans mon cas, c’est de retrouver l’envie. Alors il y a des livres, comme ça, que je garde pour le moment où.
Echenoz, par exemple. C’est inégal, Echenoz, mais à chaque fois il me donne envie d’écrire. Les grandes blondes, par exemple – certainement pas son meilleur livre, mais toujours cet art du décalage(TM) de l’angle d’attaque qui fait qu’ensuite l’écriture semble facile.
Et puis (et surtout) Jaenada. Quand je lis du Jaenada, je n’y peux rien, mon crayon court tout léger sur la feuille, il se met à multiplier les parenthèses sautillantes, il me dit merde quand je voudrais le brider, il me dit Laisse-moi finir tu reviendras dessus après si tu veux, il me dit Souviens-toi quand je t’ai pondu La Faune on the Flore en trois jours, il me crie Sois généreux pour une fois et promis j’essaie d’être bon, et drôle, et généreux aussi.
Bref : quand je lis du Jaenada, j’ai une furieuse envie d’écrire du Jaenada.
Malheureusement, l’effet magique ne dure pas très longtemps. C’est peut-être ce même phénomène qui fait que Jaenada n’avait pas écrit de roman depuis longtemps – c’est que ce n’est pas si simple, d’écrire en sautillant, il faut sacrément tourner autour de son sujet avant que le stylo ne vous brûle les doigts et que soudain, hop ! tout coule.
Plage de Manaccora, 16h30, donc.
Ce n’est pas exactement un livre drôle et sautillant, en fait. Faut dire que l’histoire s’y prête peu (un incendie ravage la forêt et une centaine de vacanciers se retrouve prisonniers sur une plage, entre la fumée qui gagne du terrain et la mer d’où aucun secours n’arrive). Mais l'effet magique fonctionne quand même.
La force de la parenthèse, ici, c’est qu’elle peut vous faire rire au moment le plus tragique sans que l’ensemble ne perde en profondeur. Et la force de ce bouquin, c'est qu'il montre qu'on peut sortir de la légèreté sans être lourd. Et voilà un vrai beau livre – les aventures d’un type normal dans un contexte exceptionnel, si on voulait résumer à la hache. Sauf que le type normal, on est bien content que ce soit celui-là.
(Est-ce parce qu’après quelques livres et autant de bières on finit par connaître un peu le bonhomme ? Est-ce simplement qu’on est plus exigeant quand on est conquis d’avance ? Si j’étais critique littéraire, je noterais que le livre va crescendo. Comme si les parenthèses tournaient à vide avant d’être emportées par l’histoire. Plus l’histoire avance, plus l’écriture est intense (et sans suspense à la con – pas besoin), plus les sujets sont profonds (quand arrive la certitude d’une mort prochaine, ça se comprend) et plus on rit – pour se libérer, sans doute. Jusqu’au dernier chapitre, où on ne rit pas du tout, mais où simplement on est là, pris dans l’histoire, faisant corps avec le narrateur même quand hébété il ne fait plus rien. Si j’étais critique littéraire, j’essaierais de faire des phrases là-dessus. Heureusement, je suis juste lecteur. Alors je te dis, l’ami, comme à la plage – vas-y, désappe-toi et viens, elle paraît un peu froide au début peut-être, mais une fois que t’y es, elle est drôlement bonne. Allez, salut.)