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Lettres ouvertes

  • Lost in traduction

    traduction, tifs, recoursé, godefroyJe voulais ajouter un mot à ce post sur Les Tifs, à propos de la traduction.

    Je n'en ferai pas des tonnes parce que Charles Recoursé, le traducteur, est un ami – je laisserai les louanges à d'autres lecteurs plus objectifs. Ce que je voulais saluer, ici, c'est l'avant-propos demandé par l'éditeur – une sorte de courte préface où le traducteur évoque le livre en VO, son enthousiasme pour le texte, ses défis de traduction et les choix qu'il a opérés – trois pages qui suffisent à instaurer avec le texte un rapport particulier.
    L'exercice est trop rare, je trouve.

    … Mais tous les traducteurs n'ont peut-être pas quelque chose à dire sur les romans qu'ils traduisent.
    Plus je m'intéresse au sujet, plus je constate qu'il existe deux types de traducteurs – disons plutôt, deux types de traductions, deux métiers bien distincts qu'il serait dommage de confondre.

    D'un côté, ceux/celles qui s'attaquent à des textes délicats (dans tous les sens du terme) et s'efforcent d'en restituer la langue, le rythme, la poésie, l'atmosphère... En vérité c'est un double métier, à la fois lecteur et auteur, qui demande de l'empathie, du temps, de l'énergie, de l'amour. Et il en faut, de l'amour, pour ne compter ni ses heures, ni les signes, ni les canettes de Red Bull quand on traduit 700 pages truffées de références, de sens cachés et de chapitres épiques (Le Roi Pâle, David Foster Wallace), ou un petit roman de 100 pages où chaque phrase compose une ambiance (La douleur porte un costume de plumes, Max Porter).
    De l'amour, c'est ce qu'on trouvera dans les récits d'André Markovicz quand il retraduit Dostoievski, ou quand on écoute Philip Aronson raconter la traduction des
    Frères Sisters, de Patrick deWitt... et je ne parle là que de quelques exemples que je connais – il faudrait aussi saluer tous les traducteurs qui ont su parfaitement s'effacer devant le texte original pour que je ne retienne que le nom de l'auteur.

    ... De l'autre côté, encore plus nombreux, les traducteurs alimentaires qui traduisent au kilomètre des textes écrits avec autant de talent que 50 Shades et/ou autant d'amour qu'un business case de marketing. Et je ne jette pas la pierre !
    D'abord parce que j'en ai traduit, moi, des pages de marketing. Ensuite parce qu'il faut bien avoir en tête que traducteur reste, dans la plupart des cas, un métier sous-payé.
    Il y a deux ans, j'avais fait un test pour traduire des thrillers psychologiques (frisson!) chez un éditeur qui ne manque pas de capitaux. Le test avait été concluant, l'éditrice m'a contacté, ele m'a fait ses compliments... puis m'a proposé un salaire qui, si j'avais voulu faire le boulot correctement, aurait été inférieur au Smic horaire. J'ai refusé. Mais je comprends mieux pourquoi on trouve autant de traductions plus ou moins bâclées et truffés d'anglicismes, si littérales qu'on a parfois de lire la VO en surimpression. Des textes aux phrases gonflées, parce que les traducteurs sont payés au nombre de signes français, et qui finissent par composer une langue à part.

    En revoyant la traduction de deux textes made in USA, récemment, je me disais que :
    1. personne n'écrirait comme ça en français aujourd'hui (salut à toi, passé simple dans les dialogues ! salut à vous, participes présents !)...
    mais 2. à force de lire polars, romances et thrillers américains, je soupçonne que les lecteurs (et certains auteurs?) finissent par prendre l'habitude de cette nouvelle langue : le français-traduit-de-l'anglais...
    Un jour peut-être, je m'amuserai à écrire un chapitre dans cette langue-là. Je suis sûr que ça influerait à la fois sur la langue, mais aussi sur la façon de raconter les histoires.

    Bref ! Tout ça pour dire que j'espère très sincèrement que les traduction littéraires sont (beaucoup) mieux payées que les traductions alimentaires.
    Malheureusement, je doute que ce soit le cas.

    Je ne peux donc que renouveler mon admiration à tous les traducteurs qui m'ont fait aimer des auteurs du monde entier, et dont je n'ai jamais retenu le nom.
    Un jour, j'espère, j'aurai plaisir à marcher (en toute modestie) dans leurs pas.

    En attendant, je me ferai peut-être les dents sur un roman alimentaire. Que ceci soit ma lettre de candidature !

     

    Illustration : Félix Godefroy pour "Les Tifs" (éd. Le Tripode)

  • Qu'on me donne des gens qui se demandent si, pas des gens qui pensent que

    Je n'ai pas envie de parler du FN. Trente ans qu'il progresse, et ce n'est pas à cause de ce qu'il propose. C'est bien que la solution est ailleurs. Combattre les idées du FN, faire barrage, c'est bien gentil, mais...

    regionales carte fn 2015.pngDans les années 80, j'ai vu les débuts du Front National. Les premières affiches "La France aux Français", c'était étrange. D'ailleurs, ça ne mobilisait pas tant de monde que ça.
    Au début des années 90, j'ai vu grandir les mouvements anti-FN. Ils parlaient haut, ils étaient fiers, ils avaient conscience de leur grande importance.
    J'ai vu Ras l'Front devenir la principale école militante du PS : on apprenait à organiser des manifs, on enflammait des discours, on écrivait des tracts, on était prêts à tout po
    ur apparaître comme celui qui s'opposait le mieux au FN : c'était l'engagement d'une vie : on luttait contre le fascisme, quoi de plus noble, quoi de plus beau, quoi de plus urgent ?
    Evidemment, la Lutte laissait peu de temps pour penser au reste. L'économie, le chômage, la démocratie locale, les questions sociales ? Secondaire ! Mais construire des majorités, verrouiller un appareil, ça, on savait faire. Comment s'étonner qu'ils n'aient rien su faire du pouvoir une fois qu'ils l'ont eu ?
    Mais je saute des étapes...

    En 1997, j'ai vu la gauche pour la dernière fois faire naître un espoir. Ca a duré un temps, et puis l'usure. J'ai vu Lionel Jospin se laisser imposer une campagne par des Moscovici et des Séguéla. J'ai vu Jospin se retirer de la vie politique. Et ensuite, la chute.
    Après 2000, j'ai vu le PS désespérer ses militants. J'ai vu le PS désespérer ses cadres. J'ai vu le PS désespérer ses électeurs.
    Pendant dix ans, j’ai entendu les leaders de gauche parler de "tirer les leçons du 21 avril", j’ai entendu tous les éléphants du PS dire qu'il fallait "se remettre au travail".
    Je les ai vus ne surtout rien faire.
    Mais d'élection en élection, ça, on pouvait leur faire confiance, on allait être les meilleurs pour faire barrage au FN. Des mots, des mots, toujours les mêmes mots qui n'avaient plus prise ni sur la réalité ni sur les électeurs.

    (quand on y pense, c’est étrange, ce parti majoritaire qui ne sait plus se définir que contre son plus petit concurrent, comme si son désir inconscient était de le voir grandir, encore et toujours)

    En 2007, on a vu Sarkozy, et soudain la mécanique anti s'est remise en marche. Penser non, trop compliqué, mais dénoncer, ça oui, hein. On est entrés en résistance – t'as vu le slogan que je lui ai mis dans la gueule ? T'as vu ma tribune engagée ? Tout ça qui ne parlait qu'à des convaincus, l'entre-soi de la Résistance, comme une messe de l'anti-fascisme où on venait communier sans trop se soucier de ce qui se passait hors de l'église.
    Pendant ce temps, les gens commençaient à voter FN non pas pour la France aux Français, mais parce que c’était le meilleur moyen de dire Merde.
    Et on n'avait encore rien vu.

    En 2012, j'ai entendu le discours du Bourget. Et pour la suite, eh bien, on sait : le vide, les renoncements, la démission face aux lobbies, les reniements en douce (qui est-ce qui sabote en sous-main les projets européens de taxation des transactions financières? la France! youpi.). Qui peut blâmer l’électeur de s’être dit « tous les mêmes » ?

    Ce que je n’ai pas vu venir, en revanche, c’est la construction d’un discours officiel. Le discours bourgeois drapé de tendance, qui s'est mué en machine à exclure.
    Une pravda plus moderne et plus libérale que celle de l'URSS, mais presque aussi absurde : si le FN disait blanc, il fallait dire noir, il fallait surtout faire semblant que tout allait bien, ou que tout irait mieux.
    Pendant longtemps, il n’y a eu que des mots. Et puis on a commencé à dénoncer des dérapages, à exiger des démissions. A les obtenir.
    2015 n’a fait qu’accentuer le mouvement.
    Tu me diras que j’exagère, mais franchement, décentre-toi une minute, sens la morgue du camp du Bien, mets-toi à la place de celui que tu dénonces et tu verras qu’il n’a pas forcément tort de penser que c’est lui qui entre en résistance. En résistance contre cette unanimité "de bobo" (à chaque camp ses mots qui évitent de penser), le je-suis-charlisme comme un début de totalitarisme.
    Alors dans l’isoloir, ils ont dit Merde encore plus fort.
    Et pour dimanche prochain, on verra bien.

    Alors, quoi ? me demanderas-tu.
    Bonne question.
    Je n’ai pas la réponse ici, en tout cas pas toute faite.
    (Qu'on me donne des gens qui se demandent si, pas des gens qui pensent que!)

    Je voulais peut-être simplement te dire que ça ne va pas suffire, d’être contre le FN.
    Qu’il va aussi falloir de la force, beaucoup de force, pour être Pour quelque chose, et ne plus se contenter de mots – fussent-ils de bons mots. Je sais, ce n’est pas le plus simple. Voilà pourquoi il va falloir qu’on fasse ça ensemble.
    Tu viens ?

     

  • Que lire après Charlie ?

    andric, larher, charlie, pourquoi le romanHier, ce parfum [choisis ici ton adjectif] de retour à la normale. C'est dans la nature des choses. Et pour beaucoup, cette question aux contours encre un peu flous : et après ?
    Après, il y a les résolutions qu'on peut prendre, là maintenant, alors que le corps est encore chaud et garde toutes les traces, sans quoi elles finiront aux oubliettes et tout ça n'aura servi à rien.
    Et puis il y a la vie qui a repris, déjà, avec ses questions quotidiennes encore marquées par la semaine passée – par exemple : que lire après ça ?

    Parce que nous sommes probablement beaucoup, à avoir eu un roman en cours mercredi dernier, et à ne pas avoir avancé depuis.
    Pour ma part, je lisais Le pont sur la Drina, d'Ivo Andric. J'avais entamé une première fois le livre après être allé à Belgrade, en 2002. J'en avais lu cent pages, puis j'avais oublié le livre dans un café et ne l'avais jamais retrouvé. Jamais racheté, non plus, jusqu'à ce que C. (merci éternel) ne me l'offre à Noël.
    C'était étrange, de reprendre ce livre, plus de dix ans après. Hormis une scène de pal douloureusement réaliste, je ne me souvenais de rien. Absolument rien, alors même qu'Andric est un conteur génial, avec un style limpide, le recul historique et la connaissance des hommes – le genre de livre qui vous fait penser que le prix Nobel (qu'Andric a eu en 61) sert vraiment à quelque chose.
    Bref ! Je lisais, donc, j'admirais, et en même temps je m'interrogeais. N'avais-je rien compris au livre, il y a dix ans, pour m'en souvenir si peu ? Et puis cette autre question plus générale : à quoi peut bien servir un roman si l'on ne s'en souvient pas ?
    J'ai voulu me rassurer en me disant qu'il reste toujours quelque chose des grands livres qu'on lit. Que l'histoire peut s'effacer de notre mémoire consciente mais que tout ce qui nous a frappé sur le moment reste là, quelque part, dans un coin oublié du cerveau, que tout ce qu'on lit nourrit notre intelligence du monde, et des autres...

    Puis on a attaqué Charlie Hebdo, tué une policière, assassiné des juifs et vandalisé des mosquées, je n'ai plus pensé à tout ça et aujourd'hui, alors que je lis sur facebook reprendre les débats stériles et les procès d'intention (la suite de la Société du spectacle, au fond, qui intègre désormais les spectateurs dans les gradins d'où ils peuvent (nous pouvons) hurler, huer et applaudir), aujourd'hui ça me revient soudain.
    Je sais de nouveau pourquoi je lis des romans. Et je crois même me rappeler à quoi ils servent.

    Le roman nous aide à voir le réel qui se cache derrière les postures et les simulacres - le réel tel qu'il est : compliqué, imparfait, parfois pathétique et parfois merveilleux, presque toujours contradictoire, à la fois branquignole et froidement efficace comme les frères Kouachi. Le roman nous apprend à comprendre l'autre, à se mettre à sa place, à intégrer son point de vue. Je ne dis pas que les romans font la tolérance, mais ils la nourrissent. Je ne dis pas non plus que les livres seraient la seule réponse. On connaît de grands lecteurs bornés comme des routes nationales, tout comme il existe des bourreaux mélomanes. Les livres sont des gouttes d'eau dans l'océan, mais ils rendent tout de même le monde un peu meilleur.

    Alors oui, se remettre à lire après cette semaine. Délaisser l'écran pour un fauteuil, un café, le métro. Des romans, n'importe lesquels. A en écrire aussi, le temps de retrouver l'envie – même si là, tout suite, si tu me demandes, je préférerais être nu dans un lit avec toi.

    … Et donc bientôt, pour toutes ces raisons et en attendant de finir Andric, je vous parlerais bien d'Entre toutes les femmes, d'Erwan Larher, histoire de revenir au cours de ce blog.
    Je rassemble mes idées et je reviens.
    ..

     * NB – si j'osais je dirais qu'il en va de même sur le plan politique. Si Hollande n'annonce pas dans les jours qui viennent (au-delà des mesures bricolées à la hâte) des orientations, des vraies, basées sur la fraternité et pas seulement sur la peur, eh bien on n'aura que la rhétorique guerrière et la réponse policière, on bricolera comme on sait faire sur l'éducation et la justice et on fera semblant d'avoir un Grand Débat national pour savoir s'il faut travailler six ou douze dimanche par an. Mais ne désespérons pas encore complètement.

  • République

    img-4676.jpgJe n'avais pas envie d'aller place de la République. Je crois que j'avais un peu peur de ce que j'y entendrais, de m'énerver alors qu'il n'y avait qu'à, laïquement, communier.

    Finalement je m'y suis retrouvé – merci E. et F. de m'y avoir entraîné. Juste être là, faire nombre, et partager. Le choc. Ce que ça remuait en nous. Ce que ça nous inspirait. Et la suite, alors, et l'avenir ? Même s'il était encore trop tôt.

    Et pour une fois je me retrouvais dans le rôle de l'optimiste. C'est que, Répu ou pas, on l'a senti ce sursaut, en nous et chez les autres, ce truc collectif dans la façon dont entre nous on parlait de l'événement, sur la toile ou en se prenant dans les bras. Le sarcasme n'avait plus de place, personne ne jouait plus à qui ferait le meilleur mot sur l'événement, cette fois c'était collectif, ça nous dépassait et on avait seulement envie de partager. Dans un café, un seul type a essayé de faire des phrases, on l'a vite envoyé chier. Gentiment.

    Sur l'attentat lui-même, pas de mot, ils sont tous là dans la rue, on se les passe comme ça, pour parler, pour être ensemble.
    Sur le sursaut, j'en ai quelques-uns. Un espoir, un peu fou mais réel. L'espoir que cet élan collectif nous marque comme nous marque l'attentat.
    Parce qu'on l'a tous senti, que tout ça allait plus loin qu'un symbole et douze morts.
    Qu'on avait fini de rire, en gros, qu'on n'avait vraiment plus le droit de faire les malins et que ça durerait plus que les trois jours de deuil. Eh bien tant mieux. Que le sarcasme reste où il est, profondément enterré, et qu'on revienne au premier degré, à l'essentiel : la joie, le partage, l'attention à l'autre une fois l'émotion retombée. Qu'on revienne à la politique, aussi, en s'appuyant sur le choc d'aujourd'hui pour poser les vraies questions, bannir les postures et les petites phrases, être sérieux pour avoir le droit de redevenir joyeux.

    Sur facebook, juste après la nouvelle, un ami a ressorti cette phrase du premier ministre norvégien après le massacre d'Utoya : "Nous allons répondre à la terreur par plus de démocratie, plus d’ouverture et de tolérance".
    Puisse-t-il être entendu. Soyons fous, on a le droit d'espérer des actes, et pas seulement policiers. Parce que nous les aurons, les mesures policières, dans les mois qui viennent nous accepterons collectivement des mesures que nous aurions honnies voilà dix ans. Mais on a le droit d'espérer que dans l'onde de choc puissent passer d'autres actes – allez, au hasard et divaguons, le réinvestissement des banlieues, une vraie taxe sur les transactions financières, une Constituante... Bref. Espérons, et faisons en sorte que ça puisse arriver. Que les lobbies se taisent un instant comme s'est tue l'ironie, qu'on se dispute sur des choses qui en valent la peine, en ayant conscience qu'on a quand même bien de la chance de pouvoir s'engueuler.

    Voilà, il y avait un peu de ça, ce soir, place de la République et autour. La dernière fois que j'avais trouvé la place dans cet état, c'était le 21 avril 2002. On sait comme ça avait fait long feu.
    Mais là...

    Dans le métro un jeune type, afghan ou pakistanais, qui avait pris un exemplaire de 20 Minutes par terre et qui essayait de le lire en se concentrant, parce que c'était ça sa vie, ici et maintenant, essayer de parler le français et de le lire.
    J'ai passé cinq minutes en face de lui, je me rendais à quel point ils nous ont tous pollués, les discours haineux et statistiques sur l'immigration. Ce jeune gars était du côté de la vie, de l'espoir, mettons-nous de son côté, chacun et ensemble. Ça ne m'arrive pas souvent mais aujourd'hui j'ai envie de parier sur le meilleur. Mais il faut commencer tout de suite, alors, et ne pas s'arrêter.
    Fini de rire, commençons autre chose.
    Salut.

  • La Société Générale s'engage pour le Développement durable

    (ce titre à la fois disgracieux et porteur d'espoir a été spécialement conçu pour les moteurs de recherche (que je salue). Un peu putassier, donc, mais il accélérera l'acheminement vers les communiquants de la banque. Une sorte de recommandé numérique, sans papier ni obligation de se déplacer au bureau de poste. Bilan carbone optimal.)

    images?q=tbn:ANd9GcR6KJa7x3O3DGCmYnGu_5AP9_k48VKBtccCPnSq8umgjF8mQmC0xgChère Société Générale,

    Ce matin, j'ai reçu de toi un très beau courrier. Quand je dis beau, je ne parle pas de son contenu (il était platement technique), mais de son enveloppe. Elle était blanche à l'extérieur, mais arborait à l'intérieur de jolis motifs en arabesques de gris. Etait-ce pour me faire comprendre combien je suis un client important ? En tout cas, au milieu des arabesques, tu avais ajouté ce message :

    Le saviez-vous ? Ce fond caviardé utilise 60% moins d'encre qu'un fond plein

    En image, ça donne ça :

    fond caviardé, société générale, caviar pour tous

    J'ai cru un instant que le monde était sauvé, je t'ai remercié en silence d'oeuvrer pour nous tous... puis j'ai été pris d'un doute.
    Et si tu avais choisi un fond tout blanc, comme celui des enveloppes que je t'envoie parfois, est-ce que ça n'utiliserait pas 100% moins d'encre qu'un fond plein ?
    Est-ce que le monde n'irait pas encore mieux ? J'ai peut-être tort, hein. Mais comme j'ai l'esprit l'esprit retors, je me suis quand même demandé si tu n'étais pas, une fois de plus, en train de te payer notre tête.

    Mais ça n'est pas possible, ça, n'est-ce pas ?

    Tu me répondras peut-être que le rôle d'une banque est aussi d'enchanter le monde et que celui-ci serait triste comme un pays communiste si nos enveloppes étaient blanches. Certes. Pourtant mon petit doigt me dit que tu aurais tellement d'autres choses à faire (ou à ne pas faire) pour que le monde soit plus beau.
    Mais je ne voudrais pas entrer ici dans un débat technique. Fais profiter le monde de tes fonds propres et écris-moi sur fond blanc, ce sera un début.

    Bien à toi,

  • Chère Matinale,

    Normandie - janv 2011 - 10.jpgDepuis quelques semaines, nous ne nous réveillons plus toujours ensemble.
    C'est un peu de ma faute, je l'admets : j’étais parfois trop pressé pour écouter tes histoires. Quant à la semaine dernière, n’en parlons pas, c’est toi qui es partie pour ce ridicule voyage en Angleterre avec ta cousine France 2...

    Malgré ces anicroches, tu le sais, nous nous aimons.
    J’attendais donc beaucoup de cette semaine de retrouvailles. Ah, comme tu criais hier matin en m’annonçant la mort de Ben Laden ! "Justice et fête!", claironnais-tu. J’avoue que ça m’a semblé bizarre que tu me parles de justice en parlant de la mort d’un homme, mais tu as bien le droit de te laisser emporter de temps en temps...
    Ce matin, d’ailleurs, comme les autres, tu es revenue à plus de mesure. Après l’amour les grands doutes : l’info se construit maintenant comme un roman Harlequin. Ce n’est pas ce doute bien sûr que je te reproche. C’est le "comme les autres".

    Te rends-tu comptes de tes premiers mots, quand je me suis réveillé ?
    Je vais te rafraîchir la mémoire. Pendant 25 minutes, tu as successivement :
    - commenté les sondages du FN (certes avec talent ; et alors ?)
    - hurlé avec les loups borgnes sur l’Affaire de la fédé française de foot (comme hier ton cousin Taddei (soupir))
    - remué la merde au PS en glosant sur les rumeurs.
    Les quatre premières personnes à qui tu as donné la parole dans ton journal de 8 heures disaient "Vous n’avez que ça à foutre ?" Et toi tu étais là, ton micro tendu, et tu rigolais. T’en rends-tu seulement compte ?

    Qu’as-tu fait de ta beauté, Matinale ? Où est passé ton éclat au jour naissant ? Toi et moi, c’était différent, disais-tu. Mais aujourd’hui, franchement, peux-tu me dire ce qui te distingue de ta rivale Europe ? Je ne sais plus trop. Demain, j’irai dormir demain avec elle, pour voir entendre. Je suis même prêt à supporter ses réclames.
    Et si elles sont insupportables, j’irai voir ta grande sœur Culture.

    Repose-toi s’il le faut, et retrouvons-nous vite. Chacun de son côté d’abord, veux-tu ?

    Je t’embrasse.

  • Chère Ségolène,

    Bien sûr, tu es fabuleuse et tu représentes pour nous l’espoir malgré les critiques des machistes et autres pisse-dru.
    Evidemment, tu as eu raison d’annoncer ta candidature aux primaires au nom de l’unité.
    Heureusement, tu incarnes l’espoir d’une présidence moins narcissique, plus intelligente, une classe politique moins prompte à sauter sur le moindre fait divers pour s’indigner / compassionner / promettre d’un ton assuré que la République ne laissera pas faire ça / annoncer des mesures d’urgence.
    Et oui, les sondages on s’en fout, hein.

    Cela dit…

    Je lis ce matin dans le journal que ta candidature aux primaires socialistes est "désapprouvée par 63% des Français, mais approuvée par 57% des sympathisants PS".
    Dis-donc : il y a longtemps que je ne fais plus de maths, mais à vue de nez, ça veut dire qu’ils ne sont pas très nombreux, les sondés, à se déclarer "sympathisants PS", non ? Et mon petit doigt me dit qu’ils étaient quand même plus nombreux, disons, en 2006. Avant que...
    Mais surtout, continue. Je crois que la France a besoin de toi.
    L'intendance suivra.

  • Cher Eric,

    J'ai toujours admiré ton calme et ta façon posée de poser les problèmes.
    Ta probité, aussi. Quand tes collègues ministres profitent de leur situation pour loger leur famille gratos ou louer des jets privés pour pouvoir faire de la lèche au président, tu as su garder le sens de la mesure et rester à l'écoute des Français. A l'écoute de ton fils, par exemple, un Français comme un autre qui a dû un jour faire un détour pour rentrer à Bercy parce que le gardien de nuit lisait un roman. Quand j'ai appris que tu avais viré le gardien sans sommation, j'ai su que tu étais un homme d'Etat, prêt à prendre des décisions courageuses.

    Quand le Canard a révélé l'affaire de la mission de Christine (dont la noble mission est payée par ton cabinet), tu n'as pas hésité à réagir au micro d'Europe 1 en annonçant, toujours avec sérénité, fermeté et responsabilité, que tu ferais en sorte que la situation cesse. Et qu'on ne pouvait quand même pas cumuler une retraite dorée de parlementaire avec le salaire argenté d'une mission, le tout en bronzant au Conseil Général des Yvelines.
    J'ai applaudi.
    Puis j'ai réécouté. Parce qu'il y avait un truc qui m'avait paru étrange, quand même.
    "Je vais demander à Christine Boutin de prendre en compte cette polémique qui ne doit pas durer pour que cesse [ce cumul de rémunérations] », disais-tu.

    C'était donc ça ! Le problème, en fait, ça n'était pas tant le fait qu'une ancienne ministre se gave peinard, mais que ça se sache. La question n'était donc pas morale, à peine politique, elle était médiatique.
    Puis Christine a fait un geste, puis Valérie a proposé une loi et Joël une commission, puis un grand journal a annoncé qu'il allait lui-même enquêter sur... (ah non, tiens, pas ça; étonnant).
    Alors j'ai repensé à ce Théoricien Moderne - un jeune type très classe et très jeune avec des boutons (de manchettes) qui travaillait dans la finance avec la grande conscience d'être au sommet de la chaîne alimentaire, et qui m'expliquait avec une moue blasée que la seule vraie morale, c'était Pas vu pas pris.

    Pendant ce temps, les oiseaux chantent sous ma fenêtre, un peu plus loin une conséquence sociale de la mondialisation a installé son matelas dehors.
    Salutations.

  • Chère Christine,

    J'ai entendu ce qu'on disait de toi, ce matin à la radio. Des méchantes langues qui rappelaient que tu avais promis de tout casser en sortant du gouvernement (où tu avais tant fait avancer la cause du logement), et qui disaient que le pouvoir avait acheté ton silence pour 9500 euros (plus quelques menus avantages).

    J'ai trouvé très digne ta réaction : tu n'as pas nié, au contraire tu as affirmé avec force l'importance de ta mission : un rapport (enfin!) sur les conséquences sociales de la mondialisation, avec même des propositions pour la future présidence française du G20. Avec des rendez-vous au plus haut niveau, as-tu ajouté. Ha! On va voir ce qu'on va voir, au G20. Je te promets que je lirai ton rapport, s'il n'est pas classé top secret.

    Ce que je voulais te dire, surtout, c'est que je compatis.
    Aujourd'hui il se trouvera plein de gens pour trouver scandaleusement élevé ton salaire pour un simple rapport, même protégé. Mais je sais que ça ne te touchera pas vraiment, qu'on trouve ce salaire abusif. Au contraire.
    Le pire, pour un personnage politique, c'est sans doute qu'on révèle son prix. Et si ton silence nous coûte un peu cher, on s'aperçoit qu'à l'argus des silences politiques, il ne vaut quand même pas grand chose.

    Allez, courage Christine, et que tes propositions nous éblouissent !

    B.

    PS - comme le Canard reste fidèle au papier, je mets ici un lien vers l'article du Figaro, en imaginant bien que des conseillers de l'Elysée ont donné leur imprimatur. Oh, comme ce doit être humiliant...
    Allez, pour te consoler, cette citation que tu ne renieras pas:

    Mieux vaut être humble avec les humbles
    Que de partager le butin avec les orgueilleux

    C'est dans la Bible.
    Bonne journée.