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  • Carte postale de Varsovie

    "J’avais l’impression qu’il ne fallait pas se débarrasser du blanc-bec en moi trop vite et trop légèrement, que les adultes étaient trop habiles et pénétrants pour se laisser tromper et que si quelqu’un était sans cesse poursuivi par son blanc-bec, il ne pouvait pas se présenter sans lui en public. Je prenais trop au sérieux le sérieux, je mettais trop haut le caractère adulte des adultes.
    (…)
    Où cette voie me mènerait-elle ? Comment donc s’étaient produits en moi cet esclavage de l’inaccomplissement, cet abandon à la verdeur enfantine ? Etait-ce parce que je venais d’un pays particulièrement riche en créatures inachevées, inférieures, éphémères, où aucun col de chemise ne tient ? (…) Ou parce que je vivais à une époque qui, toutes les cinq minutes, adopte de nouveaux slogans et de nouvelles grimaces, avec des rictus convulsifs, autrement dit, une époque de transition ?"

    W. Gombrowicz, Ferdydurke (1937)

  • Balzac, live

    Je l'avais croisé étudiant. Il était grand, la démarche un peu raide peut-être mais l'oeil rieur et les traits fins dans son uniforme jean-t-shirt.
    Hier soir, ligne 4, il m'a fallu quelques instants pour le remettre. Il était encore un peu plus grand, avec les talonnettes de ses chaussures noires. Il portait un costume anthracite aux fins parements blancs, mais sous la cravate ses traits à lui avaient grossi. Balzac aurait été parfait pour décrire son visage empâté et son menton saillant, plein de la conscience de ses responsabilités - la paternité, sans doute, et avec elle un rapport devenu paternel au monde. A la main, il avait le Figaro.
    Balzac aurait parlé de ses chaussures, sans doute. Il aurait tout de suite vu qu'elles n'allaient pas avec le costume - de bonnes chaussures bien solides, mais rien à voir avec la pompe chic des traders à chemise rose croisés un peu plus tôt. Il y aurait vu sans doute le lien qui le raccrochait au monde d'avant l'argent. Ensuite bien sûr il aurait parlé de ses yeux. Aiguillé par l'indice des chaussures, il y aurait cherché (peut-être vainement) la flamme de l'étudiant sous la paupière tombante du jeune banquier. Mais je n'y connais rien en chaussures, et je n'ai pas vu ses yeux. Je n'ai même pas eu à les éviter : en trois stations, tête droite et menton en avant, il n'a pas jeté un seul regard de côté.
    Honoré, où es-tu ? Tes personnages sont encore là.

  • Citations

    On m'a récemment demandé d'ajouter des citations à mes épisodiques chroniques de livres.
    Je ne suis pas d'accord.
    Parce que c'est forcément trompeur, une citation : aucune ne saurait résumer le ton d'un livre, et privées de leur contexte les phrases d'un roman, même les plus belles, sonnent toujours un peu creux. Et puis, j'ai peut-être lu un peu trop de contemporains dans le vent qui ponctuent des paragraphes un peu lourds par une phrase choc qui s'annonce avec de gros sabots et un petit drapeau "Attention citation".
    Bref, je me disais que la seule citation qui vaille devrait être tirée, presque au hasard, d'un long paragraphe.
    Et justement, ce midi...

    « L'habitude de frauder les droits de douane le rendit moins scrupuleux sur les droits de l'homme. »
    (Balzac, Eugénie Grandet)

    Merci à toxicavengeresse de m'avoir donné envie de retrouver Balzac.

  • Cher Eric,

    J'ai toujours admiré ton calme et ta façon posée de poser les problèmes.
    Ta probité, aussi. Quand tes collègues ministres profitent de leur situation pour loger leur famille gratos ou louer des jets privés pour pouvoir faire de la lèche au président, tu as su garder le sens de la mesure et rester à l'écoute des Français. A l'écoute de ton fils, par exemple, un Français comme un autre qui a dû un jour faire un détour pour rentrer à Bercy parce que le gardien de nuit lisait un roman. Quand j'ai appris que tu avais viré le gardien sans sommation, j'ai su que tu étais un homme d'Etat, prêt à prendre des décisions courageuses.

    Quand le Canard a révélé l'affaire de la mission de Christine (dont la noble mission est payée par ton cabinet), tu n'as pas hésité à réagir au micro d'Europe 1 en annonçant, toujours avec sérénité, fermeté et responsabilité, que tu ferais en sorte que la situation cesse. Et qu'on ne pouvait quand même pas cumuler une retraite dorée de parlementaire avec le salaire argenté d'une mission, le tout en bronzant au Conseil Général des Yvelines.
    J'ai applaudi.
    Puis j'ai réécouté. Parce qu'il y avait un truc qui m'avait paru étrange, quand même.
    "Je vais demander à Christine Boutin de prendre en compte cette polémique qui ne doit pas durer pour que cesse [ce cumul de rémunérations] », disais-tu.

    C'était donc ça ! Le problème, en fait, ça n'était pas tant le fait qu'une ancienne ministre se gave peinard, mais que ça se sache. La question n'était donc pas morale, à peine politique, elle était médiatique.
    Puis Christine a fait un geste, puis Valérie a proposé une loi et Joël une commission, puis un grand journal a annoncé qu'il allait lui-même enquêter sur... (ah non, tiens, pas ça; étonnant).
    Alors j'ai repensé à ce Théoricien Moderne - un jeune type très classe et très jeune avec des boutons (de manchettes) qui travaillait dans la finance avec la grande conscience d'être au sommet de la chaîne alimentaire, et qui m'expliquait avec une moue blasée que la seule vraie morale, c'était Pas vu pas pris.

    Pendant ce temps, les oiseaux chantent sous ma fenêtre, un peu plus loin une conséquence sociale de la mondialisation a installé son matelas dehors.
    Salutations.

  • Chère Christine,

    J'ai entendu ce qu'on disait de toi, ce matin à la radio. Des méchantes langues qui rappelaient que tu avais promis de tout casser en sortant du gouvernement (où tu avais tant fait avancer la cause du logement), et qui disaient que le pouvoir avait acheté ton silence pour 9500 euros (plus quelques menus avantages).

    J'ai trouvé très digne ta réaction : tu n'as pas nié, au contraire tu as affirmé avec force l'importance de ta mission : un rapport (enfin!) sur les conséquences sociales de la mondialisation, avec même des propositions pour la future présidence française du G20. Avec des rendez-vous au plus haut niveau, as-tu ajouté. Ha! On va voir ce qu'on va voir, au G20. Je te promets que je lirai ton rapport, s'il n'est pas classé top secret.

    Ce que je voulais te dire, surtout, c'est que je compatis.
    Aujourd'hui il se trouvera plein de gens pour trouver scandaleusement élevé ton salaire pour un simple rapport, même protégé. Mais je sais que ça ne te touchera pas vraiment, qu'on trouve ce salaire abusif. Au contraire.
    Le pire, pour un personnage politique, c'est sans doute qu'on révèle son prix. Et si ton silence nous coûte un peu cher, on s'aperçoit qu'à l'argus des silences politiques, il ne vaut quand même pas grand chose.

    Allez, courage Christine, et que tes propositions nous éblouissent !

    B.

    PS - comme le Canard reste fidèle au papier, je mets ici un lien vers l'article du Figaro, en imaginant bien que des conseillers de l'Elysée ont donné leur imprimatur. Oh, comme ce doit être humiliant...
    Allez, pour te consoler, cette citation que tu ne renieras pas:

    Mieux vaut être humble avec les humbles
    Que de partager le butin avec les orgueilleux

    C'est dans la Bible.
    Bonne journée.

  • Personnages

    Entre deux livres, l'écriture revient souvent par bribes, au hasard d'une sieste. Souvent sous la forme de personnages qui frappent à la porte. En général ils y restent, à la porte, la plupart tombent vite dans les oubliettes d'une fin de rêve mais certains reviendront, qui sait, recyclés dans une histoire, sans qu'on ne sache plus d'où ils sont venus.

    Personnage du jour (esquisse) : un type qui se ferait une spécialité de convaincre des amis un peu paumés de ne pas entreprendre hasardeusement une longue psychanalyse. Sans discours militant, juste en les aidant autrement. Il se ferait payer 30% de l'économie réalisée sur une année.
    Ce personnage ne vivra sans doute jamais, mais je viens de le tester live ; économiquement, ça se tiendrait.

  • 1986

    "En 1986, Diego Maradona a travaillé dur pour donner le meilleur de lui-même. C'est la seule fois dans sa carrière. Parce qu'il y avait un doute en lui. Après, ce doute n'existait plus. Etre le meilleur du monde était plus facile pour lui que d'être le meilleur Maradona possible."
    (F. Signorini, préparateur physique, in Maradona, Alexandre Juillard, Hugo&Cie)

    Dans le même livre, on apprend qu'avant cette Coupe du Monde 1986 l'équipe Argentine était au plus mal. Les innovations tactiques de son sélectionneur, Carlos Bilardo, étaient vivement critiquées à Buenos Aires. Lui, s'en foutait.
    "Je préfère être compris par mes 22 joueurs que par 30 millions d'habitants. Si vous e comprenez rien à mes choix, ce n'est pas mon problème. Il va falloir vous y faire."

    Puis, quand l'Argentine a fini le premier tour en tête de son groupe :
    "Je dédie cette qualification à tous ceux qui ont cru en nous depuis le début. C'est à dire toi, maman..."

    Raymond D. n'a rien inventé.
    .

    (on me signale dans l'oreillette qu'il y a peut-être ici des gens qui ne savent pas que l'Argentine a gagné la Coupe du monde 1986. Ca m'étonnerait, mais on ne sait jamais.
    Donc, si vous avez séché les cours d'Histoire : l'Argentine a gagné en 86 ; tapez "main" et "Maradona" sur Google, on vous dira tout)

  • Le marketing ne Suze que si l’on Sancerre

    SUZE.JPG- ... Donc, résume Ting, tu voudrais parler aux jeunes et surtout ne pas choquer les vieux.
    - Voilà, dit Marc en tripotant son brief.
    - Sauf que si tu veux ménager les vieux, tu n'auras jamais un slogan qui déménage.
    - Ben ouais.
    - Donc il faut aller dans des lieux où on est sûr qu'il n'y a que des jeunes. Bars branchés et les boîtes de nuit.
    - T'as raison. Cela dit, on a déjà essayé, regarde : on a fait un truc hyper classe, aux Bains.
    - Très beau. J'aime beaucoup, vraiment. Et vous avez réussi à recruter un consommateur nouveau, avec ça ?
    - Ben, mon pote Nathan a essayé.
    - Et il a trouvé ça comment ?
    - Un peu amer.
    - Déconne.
    - Bon, c'est vrai, ça n'a rien changé. Mais qu'est-ce qu'on peut faire, dis-moi ?

    Ting s'avance sur son transat.
    - Je vois deux solutions. Soit tu attends que ça devienne tendance sans que tu saches trop pourquoi - mais ça n'arrivera peut-être jamais... Soit tu prends les devants, mais alors il faut frapper fort pour dépasser l'a-priori.
    - Mettre le jeune en condition de trouver ça bon ! jubile Marc, qui a révisé son Mercator.
    - Mieux que ça. Parce que le premier réflexe de ton jeune, si tu lui fais boire de la Suze, ce sera de trouver ça trop amer. Un goût de vieux. Ce qu'il faut, c'est qu'il se dise que s'il n'aime pas, c'est qu'il n'est pas à la hauteur. Donc qu'il faut qu'il y revienne. Tu piges ?
    - Ouh là ! Mais c'est compliqué, ça ! Moi je pensais plutôt à un truc basique.

    Ting regarde Marc avec un sourire professionnel. Il prend son temps, inspire longuement, boit une gorgée, repose son verre.

    - Moi je Suze et j'aime ça.
    - Pardon ?
    - Tu mets des affichettes dans tous les bars, une campagne promo pour emballer le tout, une collection de cartes postales "Moi je Suze et j'aime ça" que tu distribues dans les facs, et hop.
    - On n'aura jamais le droit d'écrire ça.
    - Moi je Suze et j'avale ? C'est factuel.
    - GnnnGnnnGrr.

    pernod_verre_suze.jpgUn garçon arrive, dépose une bouteille de vin sur la table. Les glaçons dans le seau rafraîchissent l'atmosphère. Ting est déçu, mais s'attendait-il à autre chose ?
    - D'accord. Réfléchissons. Imagine-toi dans une soirée. Tu y vas pour quoi faire ?
    - Ben, boire.
    - C'est tout ?
    - Heu... Danser et baiser, aussi.
    - Danser, oui. Pour baiser, il y a des étapes intermédiaires, tu sais. Et ne me dis pas "boire".
    - Je sais, oui (soupir)
    - Je vais te dire. Tu rêves d'arriver vers le bar et de dire nonchalamment à une nana "Je vous offre un verre ?" Mais comme tu ne trouves jamais quoi dire pour entamer la conversation, tu n'oses jamais.
    - Et donc, tu proposes quoi ?
    Ting a maintenant ce sourire mystérieux qui fait sa renommée. Marc y voit le visage du Génie créatif. Il ne sait pas que Ting faisait la même tête à dix ans avant de balancer une boule puante dans la cour de récré.
    - Des affichettes, toujours. En visuel : un bar, un mec, une nana. Et un texte simple. "Salut, tu Suze?" par exemple.

    Un blanc dans la conversation (du Sancerre)
    Marc soupire.
    - Je me demande pourquoi je t'écoute.
    - Parce que tu as besoin de refuser mes propositions pour en accepter d'autres qui ne te rapporteront rien.
    - ...
    - Et parce que tu sais qu'on s'en fout, au fond.
    - ...
    - Allez, ressers-moi du vin, et parlons d'autre chose.
    - Bonne idée.
    - Tu as déjà lu Trevanian ?  (...)

  • Marc et Ting

    sont dans un bateau. Personne ne tombe à l'eau, personne n'en boit non plus. Tranquilles sur le pont, ils sirotent une Suze.

    - C'est bizarre à la première gorgée, mais on s'y fait, dit Ting.
    - Grave, dit Marc qui est chef de produit donc jeune et dans le vent.

    L'heure est grave, en effet. Car la problématique de Marc est simple : si plus personne ne boit de Suze, son entreprise n'en suze3.jpgvendra plus. Et il risque de tomber à l'eau.
    Sur un joli powerpoint, Marc a exposé l'enjeu à Ting. Il tient en quatre points :
    1. la Suze se vend encore, surtout chez les vieux personnes âgées
    2. problème : les vieux ont tendance à mourir peu à peu, et la clientèle ne se renouvelle pas
    3. il faudrait donc rajeunir la clientèle de Suze
    4. les quelques tentatives (bouteille "événement" dessinée par C. Lacroix) ont eu un impact limité ; il faut trouver autre chose.

    "On a besoin de concept, à mort", résume Marc.
    Ting se recule au fond de son transat. Le cas est délicat, en effet, mais c'est un homme-de-challenge©, la difficulté titille ses neurones. Lentement il boit une nouvelle gorgée dans son verre dizaïné par Jean Nouvel (si, si). L'attaque est ronde, sucrée, puis il sent l'amertume de la gentiane s'affirmer au fond de sa gorge. Il est conquis.

    - Alors ? demande Marc.
    Un silence. Une nouvelle gorgée.
    - Alors j'ai une idée, dit Ting en souriant. Mais il faut que j'y aille, là. Je te dirai demain.

    A demain