- ... Donc, résume Ting, tu voudrais parler aux jeunes et surtout ne pas choquer les vieux.
- Voilà, dit Marc en tripotant son brief.
- Sauf que si tu veux ménager les vieux, tu n'auras jamais un slogan qui déménage.
- Ben ouais.
- Donc il faut aller dans des lieux où on est sûr qu'il n'y a que des jeunes. Bars branchés et les boîtes de nuit.
- T'as raison. Cela dit, on a déjà essayé, regarde : on a fait un truc hyper classe, aux Bains.
- Très beau. J'aime beaucoup, vraiment. Et vous avez réussi à recruter un consommateur nouveau, avec ça ?
- Ben, mon pote Nathan a essayé.
- Et il a trouvé ça comment ?
- Un peu amer.
- Déconne.
- Bon, c'est vrai, ça n'a rien changé. Mais qu'est-ce qu'on peut faire, dis-moi ?
Ting s'avance sur son transat.
- Je vois deux solutions. Soit tu attends que ça devienne tendance sans que tu saches trop pourquoi - mais ça n'arrivera peut-être jamais... Soit tu prends les devants, mais alors il faut frapper fort pour dépasser l'a-priori.
- Mettre le jeune en condition de trouver ça bon ! jubile Marc, qui a révisé son Mercator.
- Mieux que ça. Parce que le premier réflexe de ton jeune, si tu lui fais boire de la Suze, ce sera de trouver ça trop amer. Un goût de vieux. Ce qu'il faut, c'est qu'il se dise que s'il n'aime pas, c'est qu'il n'est pas à la hauteur. Donc qu'il faut qu'il y revienne. Tu piges ?
- Ouh là ! Mais c'est compliqué, ça ! Moi je pensais plutôt à un truc basique.
Ting regarde Marc avec un sourire professionnel. Il prend son temps, inspire longuement, boit une gorgée, repose son verre.
- Moi je Suze et j'aime ça.
- Pardon ?
- Tu mets des affichettes dans tous les bars, une campagne promo pour emballer le tout, une collection de cartes postales "Moi je Suze et j'aime ça" que tu distribues dans les facs, et hop.
- On n'aura jamais le droit d'écrire ça.
- Moi je Suze et j'avale ? C'est factuel.
- GnnnGnnnGrr.
Un garçon arrive, dépose une bouteille de vin sur la table. Les glaçons dans le seau rafraîchissent l'atmosphère. Ting est déçu, mais s'attendait-il à autre chose ?
- D'accord. Réfléchissons. Imagine-toi dans une soirée. Tu y vas pour quoi faire ?
- Ben, boire.
- C'est tout ?
- Heu... Danser et baiser, aussi.
- Danser, oui. Pour baiser, il y a des étapes intermédiaires, tu sais. Et ne me dis pas "boire".
- Je sais, oui (soupir)
- Je vais te dire. Tu rêves d'arriver vers le bar et de dire nonchalamment à une nana "Je vous offre un verre ?" Mais comme tu ne trouves jamais quoi dire pour entamer la conversation, tu n'oses jamais.
- Et donc, tu proposes quoi ?
Ting a maintenant ce sourire mystérieux qui fait sa renommée. Marc y voit le visage du Génie créatif. Il ne sait pas que Ting faisait la même tête à dix ans avant de balancer une boule puante dans la cour de récré.
- Des affichettes, toujours. En visuel : un bar, un mec, une nana. Et un texte simple. "Salut, tu Suze?" par exemple.
Un blanc dans la conversation (du Sancerre)
Marc soupire.
- Je me demande pourquoi je t'écoute.
- Parce que tu as besoin de refuser mes propositions pour en accepter d'autres qui ne te rapporteront rien.
- ...
- Et parce que tu sais qu'on s'en fout, au fond.
- ...
- Allez, ressers-moi du vin, et parlons d'autre chose.
- Bonne idée.
- Tu as déjà lu Trevanian ? (...)