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Second Flore - Page 22

  • Portrait de groupe avec Khalid

    Où l’on renoue avec des histoires souterraines, sans forcément y chercher une chute.

    Samedi, 22 heures, Porte de Clignancourt. Dehors il fait 4° sous zéro, en sous-sol le prochain départ est annoncé dans quatre minutes. Le métro est déjà à quai, quasi vide, je me suis installé à l’avant avec mon écharpe au cou et dans les mains, Un écrivain, un vrai, de P. Petersen, qui jusque là me paraissait très bon.
    C’est une de ces rames dernier cri où l’on peut avancer d’un bout à l’autre, et où résonne encore mieux le silence des terminus. Mais bientôt arrivent des hurlements de cour d’école : ce sont trois gamins, entre 5 et 10 ans, qui jouent à qui touchera en premier la cabine du conducteur. Deux gars, une fille. C’est la fille qui gagne (c’est l’aînée). Le père arrive quelques instants plus tard, la quarantaine noire avec déjà quelques poils blancs dans sa barbe. Il s’installe avec ses enfants de l’autre côté du couloir central, nous nous saluons discrètement, puis il explique le métro à ses enfants tandis que je reprends mon livre.

    imgpress?url=http%3A%2F%2Fjournalmetrocom.files.wordpress.com%2F2012%2F06%2F5faf292e4e179c56aafeef5bf5e5.jpg&crop=0px%2C0px%2C300px%2C198px&w=618&h=408Tout avance tranquillement jusqu’à Château Rouge où monte un jeune couple. Ils ont déjà bien entamé leur soirée, à moins que ce ne soit l’inverse, les joues sont rouges et ce n’est pas seulement à cause du froid. La fille est habillée avec goût, jupe, collants épais et bottines, mais l’alcool a eu raison de ce qui lui reste de classe, elle rit bruyamment et tout à trac demande à un passager assis sur un strapontin s’il n’aurait pas une clope. Il n’en a pas. Son compagnon tente de la calmer, non mais attends on arrive bientôt, tu pourras taxer Machine, mais la fille apparemment préfère taxer un inconnu, il doit y avoir une vieille histoire avec Machine – en tout cas je serais surpris qu’il y ait déjà une histoire avec son compagnon du soir ; jeans et pull en laine, regard transi (pas de froid) et petit rire gêné quand elle continue de parler trop fort, il n’a aucune chance. Quelqu’un aurait une clope ? tente-t-il pour se mettre au niveau, mais sa remarque tombe dans le vide, il a trop retenu sa voix, elle n’a même pas ri. La représentation est terminée.

    Pendant ce temps, à Barbès, un homme s’est installé en face de moi, la trentaine maghrébine. Il touche ma jambe et s’excuse, courtois. Puis il se penche vers les gamins, attendri, il discute avec les deux aînés tandis que le petit dernier le regarde fasciné. Le père assiste à l’échange sans rien dire, un sourire bienveillant sur son visage las.
    On échange des grimaces, les prénoms, les nationalités.
    Où l’on apprend que les gamins sont haïtiens et que Khalid, lui, est marocain.
    - Maroquoi ? demande le cadet.
    - Marocain.
    - Tu viens du Maroc ? demande la fille.
    Un sourcil du père vient trahir sa fierté, puis il sourit franchement quand mon voisin lève son pouce. C’est peut-être ça qui a mis l’ami Khalid en confiance. Alors il ajoute, sur ce ton bêtement complice de la discussion impromptue de boîte de nuit :
    - Eh oui. Maroc. Haschich !

    En disant ça il a tendu deux doigts joints dans le signe universel de la bonne petite fumette, le regard "cool, man" ostensiblement tourné vers le petit dernier.

    Il n’y aura pas d’autre parole.

    Le père n’a même pas esquissé de geste, un bref regard et son autorité naturelle ont suffi.
    Il a dû penser comme moi à tous les Khalid un peu idiots et tous ces autres moins gentils que son fils croisera dans les dix prochaines années.

    Lui et les enfants descendront à la prochaine station, sans un mot. Sans se retourner, ils passeront devant le petit couple enfin assagi, elle regardant dans le vague, lui tentant de croiser ses yeux.
    Khalid, lui, regardera ses pieds jusqu’à ce que je descende à mon tour.

  • De la bêtise nouvelle et éternelle

    9782919547166.gifC’est l’histoire de Bernard, sympathique grenouille de comptoir un peu bourin qui se prend pour un bœuf philosophique et qui, pour tenter de culbuter sa chef Christine, arpente cafés-philos et petites-expos-sympas. Un peu plus loin, il suit même le cul de Corinne dans un musée, et vient cette phrase éternelle : 
    "... Comme l’ennui l’envahissait peu à peu, il se disait que c’était le signe qu’il était en train de se cultiver."

    … Et puis soudain, le temps d’un chapitre, le narrateur cède la place l’auteur, et la philosophie paraît enfin limpide.

    "Si l’on admet, avec Hegel, que chaque époque dévoile un sens de l’humaine condition ; de sorte que les nombreuses facettes de l’Esprit scintillent l’une après l’autre à la surface de l’être ; ajoutons dès lors à cette histoire celle de la Sottise : chaque période exprime une bêtise qui lui est propre et qu’aucun temps ne manifesta de la sorte.
    Eternelle et immuable, la bêtise revêt idées et valeurs du moment pour les porter jusqu’au Grotesque Absolu (…)."

    Patrice Jean, La France de Bernard (éd. Rue fromentin), p.121

    Allez savoir pourquoi les mots "indicateurs de performance" et "info en continu" se sont aussitôt imprimés en gras dans mon cerveau.

  • Il faut vraiment que je vous parle de Fanny Salmeron

    fanny salmeron les étourneaux.jpgLa première fois que j’ai lu Fanny Salmeron, c’était sur un écran. C’était cette période effervescente de 2005 ou 2006, où l’on prenait plaisir à aller de blog en blog, où l’on découvrait de nouvelles écritures, souvent meilleures que bien des romans, où l’on tentait souvent de deviner l’auteur sous les récits codés, et où parfois, après quelques commentaires puis échanges de mails de moins en moins cryptés, on finissait par se rencontrer pour de vrai.

    Bref. A l’époque Fanny Salmeron avait un blog (ne cherchez pas, il est fermé depuis longtemps). Il y était questions d’amours impossibles et de vie de bureau – mais il aurait pu être question de n’importe quoi, l’important n’était pas dans le fond, mais dans la forme.
    Fanny Salmeron ne racontait pas, elle évoquait, elle créait des images qui n’appartenaient qu’à elle et qui parlaient à tous, tout en mélancolie et en tendresse, comme de l’amour brut qui aurait trouvé des mots tout neufs, et qui sonnaient juste.

    Parfois de sa page montait le son d’une playlist. Des chansons tristes et éthérées qui donnaient le sourire, un peu comme son écriture. Je me souviens notamment de celle-là, vers laquelle je revenais souvent :
    podcast

    Emiliana Torrini - Sunny Road. Voilà, ça c’est elle, avec de la musique pour maquillage.

    Bien sûr, à l’époque je ne connaissais pas le nom de Fanny Salmeron, seulement son pseudo (n'insiste pas). Son blog mentionnait aussi d’autres textes qu’elle n’osait montrer à personne, ou presque. Et puis, un jour, j’ai appris qu’un de ces textes serait publié dans la revue Bordel. Je l’avoue, j’ai d’abord eu peur que le charme soit rompu. Passer de la fulgurance de blog à la narration, même sur une nouvelle de cinq pages, beaucoup s’y étaient cassé les dents. Parce qu’écrire bien, voire très bien, et savoir mener une histoire, même très courte, ça n’a rien à voir. J’ai parfois l’impression que certains éditeurs français n’ont toujours pas compris ça – mais pardon, je digresse encore.

    Je suis allé écouter Fanny Salmeron lire sa nouvelle dans une soirée qu’organisait l’éditeur de la revue (Stéphane Million) à l’occasion de la sortie. Elle était habillée en robe à pois rouge mais elle avait envie de disparaître, bouffée de trac, sa voix était faible, mais dès les premières phrases on a entendu dans le fond de la pièce des mouches qui volaient admiratives. En dix lignes ou en cinq pages, l’écriture de Fanny Salmeron se diluait à peine.

    Il s’est passé quelques années, ensuite, pendant lesquelles Fanny lisait ses textes devant des assemblées parfois clairsemées, toujours touchées – et chaque trimestre elle étincelait au milieu du Bordel.

    si-peu-d-endroits-confortables-fanny-salmeron-9782917702208.gifPuis il y eut le roman, en 2010. Il y a si peu d’endroits confortables, c’était un beau titre, et il lui ressemblait. Là encore, j’ai eu très peur. Elle dont la voix se brisait après cinq minutes de lecture, tiendrait-elle la distance sur 200 pages ? Et là encore, j’ai été surpris : la voix était là, dès le début, et elle tenait, avec cette histoire de deux cœurs perdus qui ne ressemblait à aucune histoire d’amour connue. Elle y peignait Paris en nuances de gris et ajoutait à chaque page de petites touches de couleur – comme Hannah, sa narratrice, qui grave la phrase-titre sur tous les bancs publics - « J’écris ‘Il y a si peu d’endroits confortables’ dans son cou et Paris me répond. »

    Il y a eu un autre roman, l’année suivante (Le travail des nuages), où il était question, entre autres, de faire l’amour tendrement, sans s’y perdre et surtout sans s’y chercher.

    Et maintenant Les étourneaux, et ses trois personnages qui partent à la campagne fuir une série d’attentat à Paris, chacun avec son passé, ses casseroles et ses rêves. On retrouve ses thèmes fétiches : l’enfance, l’innocence, les triangles amoureux, et cette pluie qu’elle fait ressembler à un printemps. Et elle ne parvient toujours pas à me décevoir.

    Mais je ne trouve pas les mots qu’il faudrait pour vous parler de Fanny Salmeron. Je pourrais prendre ses mots à elle mais là non plus ce ne serait pas juste. Tirés de leur contexte, ses images pourraient ressembler à des formules. Elles n’en sont pas. La grâce ne se montre pas en échantillon, il faut entrer dans le flacon, avec ou sans ivresse. 

    Je ne peux que vous recommander d’aller voir par vous-mêmes.

    Certains peut-être n’y seront pas sensibles - j’en connais, je les plains.
    D’autres, plus nombreux, tomberont amoureux.
    Je vous le souhaite.

  • Il faut que je vous parle de Fanny Salmeron

    Il y a longtemps que j’aurais voulu le faire, d’ailleurs, mais je ne trouve pas le temps de faire court.
    Bientôt, promis.

    D’ici là bon week-end, et lisez bien sous la pluie. Les étourneaux ne font pas le printemps mais lire Fanny Salmeron, c’est toujours un peu de douceur en plus.

    Mots-1-86.gif

    A trois ans et demi, Brune Farrago accepta le monde tel qu’il était.
    Sa lourdeur et sa grâce, ses flaques et ses chutes, ses guêpes et son chocolat,
    ses compromis et sa comptine du soir.
    Le monde.
    Et puis grandir dessus.

  • Tout seul dans le métro

    Dans le métro, hier, m’apprêtant à suivre la looongue ligne 9 jusqu’à Boulogne, je m’installe au fond d’un carré en sautant par dessus les genoux d’une de ces voyageuses qui se muent en statue dès qu’elles sont assises en bord d’allée (les hommes font pareil).
    Face à moi, une jeune femme d'origine maghrébine d’environ 25 ans, habillée et maquillée avec un bon goût discret. Elle a revu sa position pour laisser un peu de place à mes jambes, en poussant un sac qui manifestement recèle les dernières bonnes affaires des soldes d'hiver.

    J’ouvre mon livre, distraitement, puis une idée me vient. Je rouvre mon sac pour y chercher un crayon. C’est un sac tout neuf, acheté pour 15 euros porte de Clignancourt, un sac tout bête mais comme on n’en trouve plus, sans nom de marque écrit en gros dessus, assez souple pour contenir n’importe quoi et assez rigide pour accepter un livre ou un document sans le transformer en chiffon – un an que je cherchais ça. Son seul défaut, c’est qu’il a tout plein de poches inutiles à l’intérieur, et que trouver le crayon qu’on y a jeté sans y prendre garde s’avère une entreprise délicate, surtout avec une voisine volumineuse et un livre à la main.
    J’y suis encore lorsque ma voisine d’en face m’interpelle.

    - Il est bien ? demande-t-elle.

    J’avoue : j’ai cru qu’elle parlait du sac. Parce que j’y pensais, parce que son sac à elle, parce que oui bon, je sais, c’est con.
    Elle parlait du livre.
    Par réflexe, j'ai regardé la couverture avant de lui répondre.
    Tout seul.
    Y a-t-il plus beau titre pour entamer une conversation avec une jolie inconnue dans le métro?

    - Il est bien, oui.
    - Je l’ai acheté mais je n’ai pas encore eu le temps de le lire, dit-elle.
    Elle a semblé déçue quand je lui ai dit qu’il y avait peu de passages vraiment croustillants. Puis elle a hoché la tête quand j’ai évoqué les passages les plus intéressants, sur la psychologie des personnages, la dimension affective au-delà de la seule performance, les trahisons...
    Ma voisine de droite est descendue à la Chaussée d’Antin, un touriste a pris sa place et le silence du métro a repris ses droits, j’ai renoncé à trouver mon crayon et suis retourné à ma lecture – il était question d’un voyage en Afrique du Sud et d’une main baladeuse.

    Deux stations plus loin, la jeune femme s’est levée pour descendre. Elle m’a regardé et m’a lancé un au-revoir muet, suivi de ce rictus auquel il faudrait donner un nom, lèvres plissées et menton retroussé – ce rictus parisien AOC, qui dit tout à la fois Je sais ça ne se fait souvent pas de parler entre inconnus je n’ai pas grand chose à ajouter mais ça m’a fait plaisir de partager ce moment avec vous bonne journée.

    J’ai voulu dire Bonne lecture mais les mots sont sans doute eux aussi restés silencieux, puis le train est reparti, j’ai cessé de chercher mon crayon et j’ai repris le livre où j’en étais.
    Tout seul, donc.
    Un livre qu’on m’avait offert pour Noel – Je suis sûre que tu ne l’aurais pas acheté, mais tu pourrais avoir envie de le lire, avait dit ma sœur. Elle avait raison.

    Et oui, c’est un bon livre - sur l’ego et la bêtise de vedettes surpayées, le pouvoir insidieux des journalistes, la lâcheté des dirigeants et d’à peu près tous les autres, le fonctionnement interne d’une équipe sous la loupe médiatique, et en creux le naufrage d’un type qui croit se cramponner à ses principes mais se noie dans un mélange de certitudes et de contradictions :

    domenechlivre.jpg

    Bonne lecture à vous, passagère de la ligne 9. Et allez la France, un peu.

  • De la jalousie comme moteur littéraire

    images?q=tbn:ANd9GcQo8ov-EZsC5PI6_maR3i4JpepYRz9X_-HNy_go5TDogFIFEVUGJe n’ai jamais parlé ici d’Erwan Larher, je crois, ou alors juste en passant. C’est idiot.

    J’aurais pu le faire en 2010, quand il a publié son premier roman – Qu’avez-vous fait de moi. A l’époque je ne le connaissais pas mais nous étions déjà copains de blogs (le sien est ici). Foot, livres, politique, petits concerts et grandes décisions : il y avait de quoi nous rapprocher.

    Qu’avez-vous fait de moi m’avait fait un certain effet. D’abord par sa similitude avec Hors jeu (du personnage jusqu’au nombre de pages), puis par simple plaisir de lecture. J’avais été impressionné, aussi, par la façon dont il parvenait à imbriquer le réel et le fantasmé. J’en avais fait la chronique dans Standard, une de mes premières, du coup je n’en avais rien dit ici.
    Idiot, je vous dis.
    Puis j’ai rencontré Erwan, et c’est devenu un ami, entre un dîner et un salon du livre, lui dans le Berry et moi à Paris, moi en Hollande et lui en Mélenchon.

    La vérité, je dois l’avouer, c’est que je suis un peu jaloux d’Erwan Larher. De son énergie, de sa foi dans l’écriture, des ponts qu’il a coupés et de la liberté qu’il a conquise, pour ne plus faire qu’écrire, ou presque, de résidence en résidence, sans domicile fixe.

    C’est en résidence qu’il a écrit son deuxième livre, Autogenèse. Là encore, je n’en ai pas parlé ici, mais c’est que je l’avais lu en ami autant qu'en lecteur, donc doublement sévère. Bref. Le succès lui a posé un lapin mais Erwan s’est accroché, avec ce mélange d’orgueil et de modestie qu’on retrouve, je pense, chez tous les bons écrivains : l’orgueil pour s’accrocher malgré les circonstances défavorables (un éditeur absent lors de la sortie du livre, par exemple) ; et la modestie qui pousse à retravailler encore et encore, à demander des avis à des amis sur des textes en cours – et même à en tenir compte.

    J’ai lu L’abandon du mâle en milieu hostile voici quelques mois, sur feuilles A4. C’était un texte de jeunesse qu’Erwan avait exhumé, et qu’il avait réécrit jusqu’à ce qu’il ne reste plus de l’original que la moelle, la flamme, le cœur.
    L’histoire est celle de la rencontre, sous Giscard, entre un jeune lycéen fils à papa et la nouvelle de l’école – une simili-punkette, cheveux en bataille, vêtements rapiécés et clope au bec, idées de gauche en bandoulière. Ensuite l’amour, les découvertes, l’air du temps, les changements chez l’un, chez l’autre, et au milieu du livre, une surprise qu’évidemment je ne dévoilerai pas, mais qui m’a fait sursauter dans mon lit.

    Au-delà des personnages et de leurs énigmes, le livre évoque le tournant des années 80 dans une ville de province (Dijon), mais surtout des années lycées, intemporelles, et des émois étudiants, entre légèreté et engagements. Il y a là une vraie tendresse punk – et après tout, c’est un peu comme les balades rock, c’est ce qu’on fait de mieux dans le genre.

    Mais vous aurez compris que pour plein de raisons je suis mal placé pour vous en faire l’article (vous n’aurez qu’à aller voir , ou ). Je me limiterai donc à deux éléments factuels :

    1. En ouvrant le livre dans sa version imprimée, j’ai que le début n’avait plus rien à voir avec la version précédente.
    Je te haïssais. Avec tes cheveux verts, sales, tu représentais tout ce que j’exécrais alors : le désordre, le mauvais goût, l’improductive et vaine révolte juvénile (…)
    (Oui, Erwan aime bien inverser le noms et les adjectifs. Nous avons quelques autres désaccords du même type, mais après tout chacun sa personnalité - ça lui va bien, et à son livre aussi, finalement.)
    J’ai relu l’ensemble, impressionné par la capacité d’Erwan à réécrire son texte – à le couper, certes, mais aussi surtout à ajouter des passages entiers sans alourdir l’ensemble, au contraire. Ce n’est certes pas une raison pour aimer un livre (seule compte la version finale) mais c’est une raison de plus d’être jaloux, et pas qu’un peu.

    2. Certains de ces extraits ont été lus l’autre soir, dans une librairie. Nous étions une cinquantaine, entre chips et vin blanc. Pas exactement en milieu hostile, donc – mais j’en ai connu, des lectures trop longues ou presque gênantes, et l’attention polie qui se transforme peu à peu en bruit de fond – le bruit du flop quand les mots tombent à plat. Rien de tout ça cette fois-ci. Les lecteurs étaient talentueux, les oreilles attentives. Certains s’étaient assis par terre comme des enfants face à un conteur. Et dans la librairie, les gens ont ri.
    C’est si rare, finalement.
    Et c’est bon.

    Vous voilà prévenus.

  • François Ozon et moi (vraisemblablement)

    images?q=tbn:ANd9GcSZ0w5YJRtR-VEiUQiHrsVfYdwUffWfaCceYI4UM5K-B-MN4frf_AIl y a plein de bonnes choses, dans le dernier Ozon – en très gros, l’histoire d’un prof de français manipulé par l’un de ses élèves, qui transforme ses rédactions en un feuilleton malsain.

    Tout le film se joue dans la tension entre fiction et réalité, et la relation trouble entre le prof (voyeur) et l’élève (dévoyé) sous prétexte de leçons de littérature.
    On y trouve notamment un résumé brillant, à la fois précis et concret, des grands principes de dramaturgie appliqués au roman : le personnage, le conflit, les attentes du lecteur… J’ai pris des notes pour "mes" collégiens – assurément, Ozon serait meilleur pédagogue que moi.
    On y trouve aussi, lors d’une entrevue déterminante entre le professeur et l’élève, cette phrase magistrale – à imaginer avec la diction de Luchini :
    "Si ce n’est pas vraisemblable, ça ne vaut rien, même si c’est vrai".

    C’est drôle, à ce moment-là du film, j’étais en train de repenser aux précédents films d’Ozon – et comment ils m’avaient à peu près tous déçu.
    La toute première fois, c’était avec Sitcom. Je voulais le voir depuis longtemps. J’avais fini par le voir un soir de vidéoclub, allongé par terre avec C. et son sixième sens. Vers le milieu du film, elle avait dit, soudain : "Si Machin couche avec Machine, on arrête". Ça semblait totalement absurde, mais cinq minutes plus tard, si je me souviens bien, Machin couchait avec Machine. On avait arrêté le film.
    Quelques années plus tard, avec K, nous sommes allés voir Swimming Pool. Pas de doute, Ozon sait filmer Ludivine Sagnier, le mystère était séduisant, lui aussi, mais peu à peu l’histoire s’étiolait. Après une heure, frappé d’une intuition, je me suis penché vers K. : "Si Charlotte Rampling se tape le jardinier, on s’en va ?". Elle m'a répondu "T’es con", et je la comprends parce que c’était tout à fait hors de propos. Mais cinq minutes plus tard, Charlotte Rampling se tapait le vieux jardinier moustachu. Nous étions restés dans la salle, finalement, mais je n’avais pas revu de film d’Ozon.

    Jusqu’à hier, donc, où bravant le froid je suis allé Dans la maison.
    Comme toujours, la mise en place est impeccable, le mystère tient une bonne demi-heure, on est dedans… puis les personnages commencent à déraper, ils sortent de leur logique pour obéir à celle de l’auteur. Alors peu à peu le spectateur sort de l’écran, il regarde les acteurs et non plus les personnages, et derrière la toile Ozon qui tire les ficelles.
    Jusqu’à LA phrase - Si ce n’est pas vraisemblable, ça ne vaut rien, même si c’est vrai, juste après que le garçon de 15 ans ait embrassé Emmanuelle Seigner dans sa cuisine.
    Dans l’esprit d’Ozon, la phrase venait sans doute tempérer l’énormité de la scène précédente. Je n’ai pas pu m’empêcher d’y voir une gigantesque autocritique pour l’ensemble de son œuvre. Je crois qu’on ne m’y reprendra plus.

    .
    Bon allez, la prochaine fois, retour aux livres. On commencera par causer de L’abandon du mâle en milieu hostile, d’Erwan Larher – une histoire qui sait être vraisemblable ET surprendre son lecteur. Comme quoi.

  • Retour au collège

    Il y a des lieux où l’on pensait qu’on n’aurait jamais le droit d’entrer, et puis soudain…

    Et donc l’autre jour, avec mon petit cartable et mon panier avec tous mes œufs dedans, j’ai pris le RER et suis retourné au collège pour causer Dramaturgie avec des élèves de 5eet de 4e, qui écrivent des nouvelles et une pièce de théâtre sous la houlette enthousiaste et de leur professeur de français - le genre de prof qui restera dans la mémoire de ses élèves (M. Benhamou, Mme Meary, soyez ici salués).
    Matinée passionnante dont je pourrais causer des heures, mais dont je voudrais d'abord retenir ici pour le graver un petit moment de rien du tout.
    C’était juste avant la sonnerie, la cour, les élèves en rang et l’entrée dans le CDI, avant la discussion tout à la fois exténuante et énergisante avec des ados malins et attentifs.
    Juste avant ça, donc, il y a eu l'accueil de Mme B., une discussion rapide sur l’organisation de la matinée, un café pour se réchauffer. Puis, sans que je m’en rende compte, elle a ouvert une lourde porte vierge de toute inscription, l’a refermée derrière elle et soudain j’y étais.
    Je suis entré dans la Salle des Profs d'un collège de banlieue.
    J’ai pris vingt-cinq ans en une seconde.
    C’était bon, en fait.

  • Coupez! On la garde.

    coiffeur écrivain.jpgIl a beau se passer quelque chose à chaque fois que je vais chez mon coiffeur à 7 euros du bvd Ornano, ce matin je pensais vraiment qu’on ne parlerait que de météo – parce que je ne sais pas si vous avez vu aux infos, mais il fait froid et il neige.

    Quand je suis entré dans le salon, le patron est venu vers moi, m’a serré la main avec plus de chaleur que d’habitude (la météo, toujours) et m’a invité à m’asseoir pour me couper les cheveux lui-même. Il m’a enveloppé de sa serviette sans (effet de) manches, puis a sorti son téléphone portable pour me montrer une vidéo. J’ai regardé distraitement, un peu gêné de cette soudaine intimité (je croyais vraiment qu’il allait me montrer une vidéo de ses enfants en vacances), puis j’ai reconnu le type à tête de plouc sur l’écran. C’était moi, dans une émission sur le métro diffusée en décembre sur Arte.

    - Je suis tombé par hasard en zappant, j’ai dit Eh mais c’est mon client ! Vous êtes écrivain ?

    Alors j’ai dit oui, sans le rictus gêné que je ne peux jamais réprimer quand on me demande ce-que-je-fais-dans-la-vie. C’était beau, comme si tous les œufs se rangeaient eux-mêmes dans mon panier.

    On a causé un peu hasard et télévision, puis le patron a sorti sa tondeuse et nous avons recommencé à parler des choses sérieuses : parce que quand même la neige c’est rigolo, sauf quand on vient travailler en voiture (lui), quand on a des chaussures trouées (moi) ou quand elle fond.
    Cette dernière remarque a fait l’unanimité dans le salon, y compris avec le client chinois qui venait d’entrer, silencieux et frigorifié.
    Désormais mon coiffeur pourra dire qu’il a vraiment de tout chez lui : des Chinois, des avocats, des Indiens et même un écrivain.

    Sur ce je vous laisse, mais promis, cette fois, je reviens.