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Second Flore - Page 23

  • De la corrélation inversée entre le prix de la bière et la générosité du service (titre provisoire)

    Bon, promis, la semaine prochaine je recommence à écrire ici, en attendant je m’offre ce plaisir rare d’une petite note tirée du fût, à la pression, à chaud après un quart d’heure de marche par –5°, et qu’on effacera peut-être au matin.
    Allez savoir pourquoi, une envie de parler de bière. Peut-être parce que je reviens du VIIe arrondissement, où les distributeurs automatiques ne proposent que des billets de 50 euros – soit à peu près le prix de la tranche de jambon-de-telle-région-d’Espagne qu’on vous sert dans le restaurant d’à côté (ce doit être l'unité de compte locale), accompagné d’un vin du même prix et d’un papier pour que vous puissiez inscrire votre mail, parce que nous organisons régulièrement des apéros gourmands, etc – et cette impression, au moment de payer la note, de donner plus au directeur marketing qu’au producteur de jambon (et au designer des costumes des serveurs au sourire compassé, of course).
    Bref.

    En sortant de là, j’ai repensé à ce théorème parisien (disons plutôt une conjecture, la démonstration n’est pas encore complète) : plus le mojito est cher, moins il est bon. Parce que c’est bien connu, un directeur marketing, même bien payé, surtout bien payé, n’a jamais su faire un mojito. J’exagère peut-être, il y a sûrement des coins que je ne fréquente pas, et où pour deux heures de smic on sait vous faire un bon cocktail.
    Mais pour la bière c’est différent. Parce que bon, globalement, c’est le même houblon qui sort des fûts, ici et ailleurs.
    Et là je dois faire part d’un vrai théorème parisien, le genre de truc que vous ne pourrez pas oublier une fois que vous l’aurez lu :

    Moins la bière est chère, mieux on vous remplit votre verre.

    Et il ne s’agit pas là d’un romantisme de caniveau. C’est un fait vérifié, avéré, le genre de truc que vous ne pourrez que constater la prochaine fois que vous y prêterz attention. Allez dans un endroit chic, ou lounge, ou concept : on vous servira la bière dans des verres avec un joli trait 25 ou 50 cl, et la mousse vous arrivera pile au niveau du trait. Allez dans un endroit où la pinte coûte moins de 5 euros, on vous la servira au ras du verre, peu importe sa contenance réelle. Le riche est pingre, et le modeste a la main plus généreuse - en matière de houblon en tout cas, ce n'est pas une posture marxiste, c'est la vie.

    Je ne vous donnerai pas le nom des bars où la bière est la meilleure. On ira un jour ensemble, peut-être.
    Un ami récemment a rédigé, pour raisons purement alimentaires, un guide des meilleurs bars de Paris, il s’est bien gardé d’y mettre ses endroits fétiches, parce que justement il s’agit de les préserver des types qui lisent ce genre de guide.
    En revanche, en marchant dans le froid ce soir, je pensais qu’on pourrait faire un guide des bars où personne ne devrait jamais mettre les pieds, et encore moins les fesses.

    Pour ma part, je commencerai par le Petit Poucet, place Clichy – le service le plus désagréable que je connaisse (peut-être une concession au tourisme – ça va être ça notre concept, coco, le fameux service à la française, négligent, prétentieux et malpoli, mais attention, on y va à fond). Il y a cinq ans je m’étais promis de ne plus y remettre les pieds, de très jolies circonstances m’y ont traîné il y a quelque mois, rien n’a changé sauf le prix, bien sûr, la pinte à dix euros ou presque, allez comprendre. Sans doute la vue imprenable sur une place à bagnoles, et le bruit des moteurs.

    Depuis ce midi, je mettrais bien dans le même sac le Café Mabillon. Sans âme, avec écran télé (ça va souvent ensemble), des sièges confortables, pas le moindre intérêt… mais la pinte à 11€60 (ONZE EUROS SOIXANTE) (à ce prix là on peut mettre des parenthèses comme chez le notoire), et le demi bien plus cher que la pinte au bar vraiment sympathique en bas de chez moi. Vous me direz, je n'ai pas goûté pour voir si par hasard elle n'avait pas un goût spécial. A la place, j'ai commandé un authentique café velours - rien bu d'aussi dégueulasse depuis un raki croate, je crois.

    A vous de compléter la liste.

    En attendant, de cette journée dans les beaux quartiers je garderai un souvenir de touriste un peu désorienté et même pas impressionné. Une journée qui m'aura fait regarder avec une immense tendresse, en rentrant cette nuit, les putes albanaises moches du boulevard Bessières, assises sur une bouche d’aération de métro pour avoir un peu d’air chaud sur leurs collants et leurs talons compensés, avec leur Red Bull Leader Price pour tenir la nuit. Ces putes dont Jean Rollin parle si bien dans La clôture.
    Tout ça pour dire, en conclusion, que la semaine prochaine on se gardera bien d’aller à Saint-Germain pour mieux parler de littérature. Ou de livres, plutôt. C’est mieux, et il y a de bons, en ce mois de janvier.

    Allez, à la vôtre

  • Où l'on entrera finalement

    dans la carrière dans cette année 2013 sans grande résolution mais résolument, bien décidé à mettre enfin tous nos oeufs dans le même panier.
    (ne cherche pas, il n'y a aucune allusion sexuelle)

    Un panier dans lequel ce blog pourrait bien trouver sa place, puisqu'il s'agira d'écrire.
    Pour moi et pour d'autres.
    Nègre, traducteur, relecteur, chroniqueur ou éditeur : privilège de la maturité (haha) ou jeunesse éternelle, je me sens prêt pour une précarité joyeuse.

    2013, année disponible, sans costume dans mon deux-pièces.
    A vous les studios.

    carte-voeux Linkenheld.jpg

    PS - j'ai piqué ce 2013 ensemble à l'instant sur le site d'Audrey Linkenheld.
    Audrey, je te jure que c'est un pur hasard - mais un beau. Sur 1000 images que m'offrait Google, mon oeil n'a vu que celle-là. Comme quoi, etc. Je suis heureux de te savoir à l'Assemblée - que tes convictions te portent, et ton honnêteté, et bon courage!

  • Il est temps de rentrer, maintenant

    Le plaisir d’écrire ici revient, un peu – et avec lui celui d’écrire tout court (voire un peu plus long), ce qui est encore mieux. Autant dire que tous les espoirs sont permis pour, disons, 2014.

    En attendant, depuis septembre il y a plein de livres dont j’aurais aimé causer ici, et dont je n’ai pas dit un mot pour plein de mauvaises raisons :
       - parce que j’en avais déjà fait une chronique dans Standard ou ailleurs (et alors ?)
       - parce que j’avais placé mon énergie ailleurs – par exemple à battre des Indonésiens ou des Texans anonymes au poker (pauvre type)
      
    - parce que l’énergie manquait, ou l’angle d’attaque (voir plus haut)
    Bref ! Par acquit de conscience, et parce qu’il n’y a pas mieux que d’écrire pour se souvenir, rattrapons-nous vite fait.

    J’ai déjà causé ici de Maria Pourchet, de Jakuta Alikavazovic et d’Audur Olafsdottir (j’ai un faible pour les noms compliqués). Et je ne me suis pas précipité pour lire Jérôme Ferrari – c’était amusant, d’assister pour la 1e fois à une Course-aux-Prix où concourait un auteur dont j’avais vraiment aimé les précédents livres ; je lirai celui-là en son temps, au calme, loin de toute actualité. Quelques heures de plaisir qu’on se plaît à faire reculer, en quelque sorte.
    Mais parmi les livres dont on a peu entendu parler, il y avait quelques autres, tout de même, qui auraient mérité mieux :

    9782213629988-V.jpgA nous deux, Paris! de Benoît Duteurtre, par exemple. Une variation sur le thème classique de la montée à Paris du jeune provincial – un jeune musicien débarquant à la capitale en 1980, découvrant les clubs à la mode, la new wave, la cocaïne et Actuel, se laissant embarquer par une chanteuse à l’ego démesuré qui l’embauche comme larbin. Une histoire très 1980 et intemporelle à la fois, et la finesse de Duteurtre pour emballer le tout.

    titre_122.gifA propos de finesse, la vraie surprise de la rentrée, pour moi, aura été A travers les champs bleus, de Claire Keegan. C’est l’un des plaisirs qu’il peut y avoir à être chroniqueur littéraire (à temps très partiel) : jamais jusqu’ici je n’avais terminé de livre paru chez Sabine Wespieser, le titre et la 4e de couverture (entre phrases ciselées et inoubliables émotions de lecture) semblaient à l’opposé de ce qui peut m’attirer dans un roman, et pourtant dès la première nouvelle j’ai été happé. Voilà un talent anglo-saxon assez peu partagé chez nous : une écriture d’atmosphère où l’auteur ne cherche pas à décrire (une plaie française – j’y reviendrai un jour), mais utilise des verbes d’action pour faire sentir. Et donner envie, sans la moindre ficelle apparente, de tourner la page, simplement parce que dès les premières lignes, les personnages et les paysages existent. Lu, racheté, offert : mon libraire ne s’y est pas trompé, j’ai vu le livre en bonne place sur ses étagères l’autre jour. 

    En vrac, il y aurait aussi Réanimation, de Cécile Guilbert (une maladie soudaine vue par une proche ;: casse-gueule et réussi), Tartuffe au bordel d’Alain Paucard (une verve tendue contre la bêtise de l’abolition – très anar de droite, mais il faut bien reconnaître que les anars de droite sont souvent plus drôles et pas forcément moins pertinents que les militants de gauche), Le Conscrit de Martin Kohan (une nuit absurde dans le Buenos Aires de la dictature, à la recherche d’un médecin qui accepterait de répondre à une question brûlante : à partir de quel âge peut-on torturer les enfants ?). Et Gains, de Richard Powers : une fresque impressionnante sur la naissance d’une multinationale – voilà un type qui sait écrire sur l’entreprise, en évitant les postures et en travaillant, tout simplement… A se demander pourquoi l’auteur s’est cru obligé de doubler son histoire d’une "intrigue" contemporaine sans le moindre intérêt. Mais si vous acceptez de sauter des pages, il en reste 300 presque parfaites.

    … Et bien sûr, tout un lot de livres chiants, mal fichus, égotiques ou ne tenant pas la distance, qui ne méritent même pas qu’on les cite.

    A ce sujet, quand même, pour finir, une belle petite expérience : la lecture d’une bonne centaine de pages 111 de romans français de la Rentrée, à l’occasion d’un prix lancé pour rire avec quelques joyeux drilles. Je vous en parle une prochaine fois, peut-être, s’il reste quelqu’un de l’autre côté de l’écran en cette période de bûches.
    Allez, joyeux Noël.

  • Est-il jamais trop tard pour Avancer ?

    C’est donc l’histoire d’un premieroman sorti incognito chez Gallimard en septembre 2012. Enfin, quand je dis incognito, ce n’est pas tout à fait vrai : on me glisse dans l’oreillette qu’il s’est trouvé en septembre quelques pionniers pour en vanter les mérites, tandis que la moitié des livres sortis, paraît-il, n’auraient pas eu l’ombre d’un écho dans la presse.
    Mais vous aviez entendu parler, vous, de Maria Pourchet ?
    Pour être franc, moi, non. Mais alors pas du tout. J’ai entendu son nom fin novembre, par la bande, comme on dit, et la plus sûre des bandes puisque c’était celle de Décapage.

    Avancer, Maria pourchet, GallimardLe lendemain, je suis entré dans deux librairies : ah oui, on l’avait, m’a répondu le libraire à chaque fois, le nez dans sa base de données, mais on ne l’a pas recommandé. C’est ça aussi, être inconnu chez Gallimard : quand on achète votre livre, le libraire ne s’en rend pas compte, et hop, vous disparaissez des étalages. Mais j’avais vraiment du temps je suis opiniâtre, et j’ai fini par le trouver.
    Je l’ai commencé dans le métro, comme il se doit. Le début était un peu déroutant, mais au premier rire, page 21, ma voisine a penché la tête pour voir le titre. "Avancer", donc.

    Avancer, c’est tout ce que ne fait pas l’anti-héroïne, Victoria, qui regarde passer le monde depuis son balcon, persuadée qu’un grand destin l’attend quelque part (la Voie royale, qu’on lui avait promis avec son beau diplôme), mais qui ne fait absolument rien pour le provoquer. Il faut dire qu’elle a trouvé une bonne planque en se maquant avec un de ses anciens profs de fac, un sociologue en avance – L’un des rares à savoir que la sociologie n’existe pas, attendu que les gens mentent à l’enquêteur et sur les questionnaires, mettent les croix n’importe où.

    Sauf que bientôt, le prof en avance se retrouve avec la garde de deux jumeaux d’un premier mariage (un petit génie et une cruche absolue). Sauf que bientôt Victoria, pour payer les factures, doit travailler (aïe). On lui confie bientôt par piston une étude sur les utilisateurs de vélib’, et la voilà partie dans les rues de Paris, à se demander comment elle pourrait bidonner au mieux l’étude, élaborant des stratégies complexes pour réaliser ne serait-ce qu’un véritable entretien.

    A ce stade du résumé, je vous entends : "Ah oui, d’accord. Le thème du glandeur magnifique qu’un imprévu plonge dans la vraie vie. Je l’ai déjà lu dix fois". Mais si je vous demande un titre, un seul… hein ?

    (...)

    Eh oui, vous ne trouvez pas. Moi non plus, pour être franc. Je sais pourtant que j’en ai lu un paquet, mais aucun de mémorable. Entre ceux qui sont écrits avec les pieds parce que l’auteur a vraiment un poil dans la main, ceux qui prétendent délivrer un message (en général : le monde est pourri, l’entreprise c’est mal, la littérature c’est mieux, merci les gars) et les "générationnels" au style branché de presse magazine, ceux qui surnagent sont peu nombreux. Et souvent inégaux, à l'image du malin "Libre, seul et assoupi" de Romain Monnery, le seul dont je me rappelle la lecture (le final où le narrateur devient hôtesse au Salon de l'auto est épique). 

    Mais je digresse, pardon.
    Qu’a-t-il donc de plus que tous ces romans, ce "Avancer" ?
    A peu près tout.
    D’abord Maria Pourchet tient le rythme de bout en bout (c’est rare). Elle tient aussi le ton, léger et malicieux, d’une narratrice inconséquente (mais pas inconsistante) qui flotte au-dessus de sa propre histoire, avec cet infime décalage qui déforme la réalité juste ce qu’il faut pour la mettre à nu, et qui mène chacun des personnages au bout de sa logique. Qui mènera Victoria, par exemple, à monter un business avec les deux clochards du bas de la rue, au bord du grand trou d’un chantier de métro.
    Voilà qui suffirait à la sortir illico du lot des premiers romans de septembre. On pourrait invoquer Martin Page à son meilleur, ou le Pennac période Malaussène, mais l’essentiel n’est pas là.
    L’essentiel, c’est qu’on rit. Et attention : pas juste un sourire en coin au hasard d’un bon mot, non – du vrai comique de situation, tout en ironie et sans la moindre auto-complaisance. On ne rit pas grâce à l’auteur, on rit avec elle, et chacun sait qu’on se souvient mieux des rires partagés.

    … Bref !
    Deux jours plus tard, le rédac’chef de Standard me demande quel livre on pourrait bien mettre en avant pour le numéro de janvier, sachant que la rédaction commençait seulement à recevoir quelques livres de la rentrée à venir, j’ai levé le doigt au fond de la classe, et j’ai dit "Moi je sais ! On n’a qu’à parler de Maria Pourchet." Anticipant les objections (j’apprends un peu), j’ai avancé que certes le livre n’avait pas d’actu® (hou!) en janvier mais que les bons livres ne meurent pas, que bien peu d’autres en avaient parlé et qu’il serait tout à la gloire de Standard d’avoir été le premier à offrir un piédestal à Maria P., du haut duquel, etc.
    Bon, je n’ai peut-être pas exactement dit ça. En tout cas le rédac’chef, après avoir écouté poliment, m’a rétorqué que je pouvais me dispenser de la suite de la réunion et que je devrais lui copier cent fois Il est interdit de parler d’un livre de septembre au mois de janvier.

    Alors j’ai promis de me venger ici. Et je vous invite instamment à partager à cette vengeance. Lisez, riez, croissez et multipliez, satisfaits ou remboursés.

    On en reparle.

  • Sortir chez Gallimard ?

    Où l'on était parti pour parler d'un livre où le clavier nous aura échappé...

    images?q=tbn:ANd9GcQUhwelrLFjSatXUvxIScWVOpbzl_eQS87S_A6ArKBd0Bl53pj6Il faudrait faire un sondage, mais je suis prêt à parier que 80% de ceux qui mettent un roman dans une enveloppe pour un éditeur commencent par l’envoyer à Gallimard.
    On envoie mais on n’y croit pas vraiment, c’est un peu comme un rituel, allez hop, ça c’est fait, on connaît les chiffres, un sur mille, qu’ils disent, et puis parfois, le un sur mille, c’est vous.

    Parce que c’est bien vrai, que Gallimard publie des inconnus.
    Le problème, c’est qu’ils sont souvent condamnés à le rester.
    Mais n’incantons pas, et regardons la réalité en face. Mieux : imaginons.

    Admettons donc que ce soit vous, l’inconnu. Septembre, Gallimard et sa couverture chair, un bandeau peut-être (avec votre nom seulement, on se demande un peu pourquoi mais on vous dira que c’est la tradition, vous verrez, l’édition est pleine de traditions), la fierté, le tirage, la 4e de couverture (toujours un peu ratée chez Gallimard – une tradition aussi, sans doute), le service de presse…

    Ah oui, tiens, le service de presse. Si c’est votre premier roman vous serez sans doute impressionné: 300 exemplaires à envoyer partout, c'est un peu comme un tapis rouge. Un bureau, des piles de livres et café à volonté, le sourire de votre attachée de presse.
    Mais tout à votre excitation et à votre recherche désespérée d’originalité pour une dédicace à M. FigaroLittéraire qui vous revendra fissa à un libraire d’occasion, vous ne vous rendrez pas compte que dans le bureau d’à côté, une autre attachée de presse ne se contente pas d’envoyer des livres ; elle est en train d’appeler tout Paris au téléphone pour prévenir que, cette année, ce qui va marcher, c’est Truc et c’est Bidule. Et de fait, quand un mois plus tard paraissent les premiers articles "bientôt la rentrée" dans les gazettes officielles (une autre tradition), vous lirez : … et pour la rentrée, on annonce déjà un excellent Truc chez Gallimard – à suivre !
    Sauf que Truc, ce n’est pas vous. Vous ne le savez pas encore, votre livre n’est pas encore sorti et tout ou presque est déjà joué.

    Vous en doutez? Regardons. A chaque rentrée littéraire, Gallimard publie une douzaine de romans. Dans le lot, il y aura forcément quelques poids lourds : les incontournables (en vrac : Jauffret, Modiano, Djian, Jourde, Garcin…), les Zeller et les candidats officiels aux prixlittéraires (NDiaye, Audeguy, Sorman, Martinez…). Rien que d’y penser, vous comprenez que dans les librairies vos voisins de table risquent de vous faire un peu d’ombre. Quant aux critiques, n’en parlons pas : entre les amitiés, les affinités littéraires et le battage de l’attachée de presse du bureau d’à côté, les journaux ont déjà leur quota de Gallimard, et il leur faut aussi (reconnaissons-leur ce mérite) parler des petites maisons. Bref : peu de chances qu’on parle de vous.

    images?q=tbn:ANd9GcQEjDRxGhE5OePrV-NHXMdibCTaFszcN1Hl4b5hPi2w0G7qB3FVswEt pourtant, qu'on n'aille pas dire qu'on ne parle jamais des inconnus de Gallimard. A chaque rentrée, deux d'entre eux gagnent la tombola, et remportent un plan-média. A ma gauche : l’inconnu que Gallimard inscrit dans la Course-aux-Prix (Jenni l’an dernier, gagné, Bellanger cette année, perdu). A à ma droite, le bon client : un éditeur bien en cour flaire le coup médiatique et sort de son carnet d’adresses chapeau, une Antonia Kerr (c'est un exemple) dont un Beigbeder dira, par réflexe pavlovien, qu’elle est la nouvelle Sagan. Ou la nouvelle Lolita, pour les années paires.
    Je ne juge pas, hein. C’est le jeu.

    Mais ça n’est pas tombé sur vous. Dommage. Vous comprendrez bien assez vite que Gallimard a placé ses ressources ailleurs, que votre attachée de presse est dévouée mais que ce n’est pas elle qui décide des budgets et des priorités, vous quémanderez un café avec votre éditeur, mais il prépare déjà sa rentrée de janvier, votre fenêtre de tir est déjà passée. Désolé.
    Vous n’avez plus qu’à vous démerder tout seul. Si jamais, pour une raison ou pour une autre, vos ventes commencent à décoller, la Maison saura voler au secours de votre succès naissant. Sinon, bah, tant pis. Après tout c’est comme ça chez plein d’autres éditeurs : on lance quatre ou cinq romans sans trop les promouvoir, en se disant qu’il y en a bien un qui va marcher – sans qu’on sache jamais trop pourquoi.

    J’en ai vu passer pas mal, des auteurs comme ça, plutôt bons, tombés avec les honneurs dans les oubliettes de Gallimard. Tenez, rien que dans ma bibliothèque, qui est petite (je garde peu de livres, je les donne (ou je les prête mais c’est pareil)), je viens de retrouver Arnaud Oseredczuk (59 préludes à l’évidence) et Laurent Gautier (Notices, manuels techniques et modes d’emploi)… Vous avez déjà entendu parler d’eux ?
    Certains tiennent bon. Prenez Patrick Goujon a publié 4 romans dans la Blanche – vous avez déjà entendu parler de Patrick Goujon ? Je parie que non, et c’est bien dommage, ses livres sont excellents. Tous. Et Benjamin Berton, et Laura Alcoba...

    Je ne connais pas les chiffres de vente de ces livres, mais là encore, imaginons. Mettons 1000, 2000 ? Ce qui serait encourageant dans une petite maison (rappelons que les ventes moyennes d’un premier roman sont de l’ordre de 500 ex. On parle d’une économie quasi-associative, là) est forcément compris chez Gallimard comme un échec commercial. J’imagine qu’on doit aussi vous le faire sentir, dans les bureaux ou au téléphone, que le comptable est un peu déçu. Après ça, accrochez-vous pour écrire le deuxième.

    Bref ! Tout ça pour vous dire que j’avais envie de vous parler d’un roman sorti en septembre chez Gallimard. Un roman dont je n’ai entendu parler qu’il y a deux semaines – et pourtant, cette année, pour Standard, je m’étais penché sur la Rentrée plus que d’habitude. 
    Un roman frais, enthousiasmant, qui donne envie d’en lire d’autres et de se remettre à écrire.
    Un roman qui mériterait largement de passer l’hiver.

    Mais je suis déjà beaucoup trop long, là. On en cause la semaine prochaine. De toute façon, la rentrée étant officiellement déclarée fermée hormis pour les lauréats des prix, le livre n’est plus à quelques jours près.

    Allez, je sors.

  • Salut à toi,

    Salut à toi, petite merde, qui passais dans mon dos, hier après-midi, au Salon du livre jeunesse de Montreuil.

    C’était bien, ce Salon, hein ? Des livres partout, de la création, des couleurs, on aurait envie d’en acheter sur chaque stand. Sauf que ça coûte cher, forcément – c’est souvent ce qui se passe quand c’est beau.
    C’est peut-être pour ça que tu m’as piqué le sac dans lequel j’avais mis les miens, de livres. Tu sais, le grand sac rouge, au pied du stand du Diable Vauvert.
    Je dis ça, mais en fait je n’en sais rien. Peut-être que tu l’as pris par réflexe, parce qu’un sac que son propriétaire lâche des yeux, c’est fait pour être chourave. Ou alors c’était un pari, avec tes copains de classe. Ou alors tu es un peu plus pro que ça, tu pensais avoir un plan pour revendre et te faire un peu de thunes.
    Ça, je t’avoue, ça me ferait mal. Mais bon, maintenant que j’ai digéré un peu, j’ai envie de croire que c’était pour toi. Alors, imaginons.

    9782092532836.JPGDans le sac, tu trouveras Le livre qui fait aimer les livres même à ceux qui n’aiment pas lire ! Avoue que c’est ironique. Je n’avais pas l’intention de te l’offrir à toi, mais bon, qui sait, peut-être que ça t’ouvrira quelques perspectives. Et si jamais, tu n’auras qu’à t’inscrire à la bibliothèque – tu verras, c’est un endroit assez magique, où tu pourras lire gratuitement sans me donner envie de te fracasser la tête sur la rambarde de l’escalier.
    Mais je m’emporte, là. Il ne faut pas.

    84626100733850M.gifDans le sac, tu trouveras aussi C’est de l’eau, de David Foster Wallace. Je crains que ça ne te passe au-dessus, malheureusement. D’abord ce n’est pas vraiment de la littérature pour enfants (à supposer que tu en sois un) ; et puis surtout, c’est un livre qui exalte la bienveillance, l’amour de l’autre. Tu vois, rien que de penser à ce livre (tu as de la chance, le Diable est généreux et m’en a redonné un exemplaire), je me radoucis. Bref, je ne suis pas sûr que tu puisses comprendre, mais peut-être un jour, qui sait… On a le droit de croire aux miracles.

    saison.jpgMais j’imagine que tu auras d’abord regardé le plus grand des livres du sac. La saison des flèches, qu’il s’appelait. Je le sais parce que j’étais venu avec la grande Vlou, grande par le talent et la générosité, qui a tenu à me l’offrir à nouveau pour me consoler. Ce livre, tu vois, à la base je l’avais acheté pour mes neveux et nièces parce qu’il était beau, et drôle à la fois. L’histoire d’une famille qui achète sur Internet un Indien en canette. Une histoire gentiment absurde avec des dessins magnifiques.
    Qui sait, si tu l’ouvres, il t’ouvrira peut-être un peu les yeux, je suis persuadé que la beauté rend moins con.

    Si jamais ça t’arrive, écris-moi ici, ça me fera plaisir.

    En attendant, sache que (non sans dec t’as cliqué ?^ allez, salut)

  • ... et maintenant, la Thailande

    Je suis retourné chez mon coiffeur aujourd’hui, finalement. Le jeune Egyptien n’était pas là, mais au-dessus du grand miroir trône désormais un dessin de sphinx sur du papier imitation lin, comme on en trouve pour 1 euro dans toutes les boutiques à touristes d’Egypte.
    Il n’y avait pas non plus d’Indien ou de Pakistanais, mais un avocat, oui. Un retraité de la cour des comptes, si j’ai bien compris. Qui expliquait que non, il ne vérifiait pas les comptes des entreprises, ha ha rassurez-vous, seulement ceux de l’Etat, et que ça n’avait pas servi à grand’chose.
    L’homme parti, le Salon s’est remis à parler arabe, entre les deux coiffeurs, l’éternel ami-sur-la-chaise (jamais le même) et un jeune gars venu réparer le chauffage du Salon.

    Le type qui s’occupait de moi venait de reposer le rasoir (« profesyonel », disait l’emballage de la lame) quand le téléphone a sonné. C’était pour lui. C’est Ali, a dit le patron, et ça avait l’air important parce que mon coiffeur a respiré un grand coup avant de prendre le combiné et de s’éloigner dans l’arrière-boutique.

    Je n’ai pas eu besoin de tendre l’oreille pour comprendre qu’avec Ali, on parle français, pas arabe. Le jeune coiffeur disait "Ali" mais dans sa voix on entendait "Monsieur Ali". En cinq minutes il a répété "professionnel" une bonne dizaine de fois. Oui, oui, je vous jure, deux fois champion d’Afrique. Niveau professionnel.

    Renseignement pris, c’est un combat de boxe thai qui venait de se conclure, là, au salon.
    - Je fais un peu agent pour un ami, a précisé mon coiffeur. Un gros combat.
    Puis il m’a demandé si je voulais qu’il me désépaississe les sourcils.
    J’ai dit oui, volontiers.

  • B.a.-ba, live

    Entre les clients et les amis de passage, les moments de répit sont rares, pour mon coiffeur du boulevard d’Ornano.
    images?q=tbn:ANd9GcRTm-QjXcNbkDKDFZdrnBMVc7F1wyGBfDporclEbsnvtk_YC5muIl y en a, quand même. L’autre jour, en passant devant la boutique, je l’ai trouvé assis avec son apprenti égyptien (voir épisode précédent), au soleil sur le trottoir, attitude studieuse. Sur les genoux du jeune homme, j’ai reconnu un livre que je connais bien, avec de grandes lettres et des dessins enfantins : c’est l’un des manuels que j’utilisais avec mes élèves d’alphabétisation. Une belle histoire qui continue, en somme.

    Je suis allé présenter mes respects au patron. Il m’a confirmé que son jeune apprenti faisait des progrès – et pas seulement pour les beaux yeux sa copine.
    - Il coupe bien les cheveux mais il faut aussi bien parler français pour la clientèle. Parce qu’ici, on n’a pas que des arabes, hein. On a des même des avocats !
    Puis il m’a donné un rapide cours de géopolitique de la coiffure parisienne.
    - Les africains, c’est très spécial. Ils ont des salons pour eux, mais ils ne savent pas couper les cheveux raides. Nous autres, les arabes, on sait faire avec tous les cheveux. Les noirs, les blancs… Même les Indiens et les Pakistanais. Vous savez pourquoi ?
    Je ne savais pas.
    - Parce que les Indiens ne veulent surtout pas aller chez les Pakis, et les Pakis pareil. Du coup, ils viennent chez nous.
    La vérité semblait toute proche, JF Copé tellement loin.

    J’y retourne demain, on verra bien.

  • … Et soixante ans plus tard

    Près de mon bain j'avais laissé mes deux historiens laconiques en 1930, décrivant l’échec des politiques déflationnistes en Europe. Deux cents et quelques bains pages plus tard, les voilà arrivés à la fin du siècle. Et ils ont gardé le même recul.
    Encore une fois, ils écrivent sans penser à Lehman Brothers, à Goldman Sachs, à la Grèce ou à Angela Merkel.
    Encore une fois, ils prouvent que l’esprit de synthèse est une arme implacable.
    Sans commentaire.

    images?q=tbn:ANd9GcQDW5BIjsnDY2onaXZRP9xz5iv-aMypHuATz-e-zCROLYjO7TKvCALa mise en place d’une monnaie unique entre des pays qui se sont déchirés pendant des siècles constitue un tournant historique indéniable. Mais (…) le respect des critères de Maastricht (1992) et d’Amsterdam (1997) a imposé aux gouvernements concernés des pratiques draconiennes de rigueur qui, venant se superposer aux effets déjà hautement déstabilisateurs de la globalisation, risquent de déboucher sur une véritable explosion sociale.
    Pris en tenaille entre la nécessité d’accélérer le processus d’intégration européenne pour répondre aux défis de l’économie-monde et la résistance des catégories menacées et des nombreux bénéficiaires de l’Etat-providence, les gouvernements en charge des affaires n’ont guère d’autre choix que de tenir le cap en corrigeant, au coup par coup, les effets les plus explosifs des réformes, et en essayant de convaincre leur électorat que celles-ci sont l’inévitable rançon d’un changement de l’histoire et non l’habillage idéologique d’un libéralisme sauvage privilégiant, au nom des "lois du marché", la finance et la "rationalité économique" aux dépens de la cohésion sociale.
    Berstein & Milza – Histoire de l’Europe (Hatier, ed. 2006)