Rendez-vous quelque part en juin, donc.
Amusez-vous bien.
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Rendez-vous quelque part en juin, donc.
Amusez-vous bien.
Ils sont beaux, les remparts d’Angoulême. Il y a quelques siècles, ils protégeaient la ville contre de méchants envahisseurs. Aujourd’hui les remparts se retournent contre elle. La bourgeoisie s’enferme dans les murs de la ville haute, les enseignes d’assurances y dépassent en nombre les boulangeries, pendant ce temps la ville basse vire en friche, les commerces aux vitres condamnées semblent victimes d’une épidémie.
Tout en bas il y a la Charente, magnifique et désertée. Puis un coude. L’oreille qui se tend. Un son qui parvient, du peuple au loin sur la passerelle. On dirait une île, c’est un festival. Musiques Métisses. A partir de là tout se mêle, tout s’emmêle et c’est bon.
Alors on va le faire en vrac, juste pour le souvenir…
L’énergie rock de Daby Touré, conquérant un public en dix minutes.
Rokia Traoré, éblouissante, public conquis qu’elle mène au bord de la transe.
Ismail Lo ou l’art de donner et de recevoir. Un Tajabone à se décrocher la mâchoire – quand sur mon pied tombe un dentier (oui).
Zeina Abirached et Fatou Diome, rencontre littéraire (réussie et populaire – une première).
Ségolène en visite, discours d'ouverture et visage fermé. A sa suite, quinze hommes au bas mot. Jolis costumes, ils auraient presque eu l'air exotique entre un baba cool et une danseuse algache.
Orage et déluge qui jouent les percussions pour Dee Dee Bridgewater sous le chapiteau (confirmation : la virtuosité sans émotion fait sacrément bâiller)
La magie guérisseuse de Ses mains, toujours.
Quelques goulées de mauvais blanc avec des locaux au sourire timide.
Soudain, à gauche, une vision de l'avenir.
Et puis ce pull qui se transforme en muleta au pied de la scène – corrida nocturne improvisée avec un gamin de trois ans, rythmée par Orchestra Baobab.
Derrière moi un critique musical au cerveau de sous-chef de rayon explique le monde à son voisin – Non mais tu vois, là, ce qu’elle fait, c’est plus de la world. Mardi, il sera derrière son petit bureau. Entre temps il aura été piétiné, balayé par l’enthousiasme bon enfant du festival.
C’était une belle fête.
Ah, on se foutait bien de leur gueule, aux touristes japonais, dans les années 90...
- Dis, tonton pdf, tu nous racontes une histoire de pirates ?
- Ben… J’en connais pas.
- Mais si ! Il y a ce livre tout rouge que tu lisais dans ton bain hier, celui avec des dessins et des sourires dedans.
- Ah ! Mais ce sont des pirates un peu spéciaux, ils vont déjouer un complot anticommuniste en se déguisant et en séduisant des filles dans une aventure sponsorisée par une marque de pommade pour les cheveux.
- Chic alors ! En plus, des vrais communistes, nous, on n’en a jamais vus. Allez, emmène-nous !
- Oui, mais ce n’est pas racontable, comme histoire.
- Ben c’est pas grave, t’as qu’à nous laisser le livre avec le mode d’emploi, comme ça on pourra rire tout haut dans le métro, comme toi.
- D’accord les enfants. Vous voulez que je vous lise un extrait avant de dormir ?
- Ouiii !
- Je crois que je vous avais mal jugé, déclara le capitaine pirate.
- Moi aussi, dit Marx. Vous voyez, Engels ? C’est là où j’avais tort : Das Kapital n’a pas une seule page à colorier!
- Oh! regardez, fit le capitaine pirate en s’illuminant : Paris!
Mode d’emploi :
Se mettre n’importe où (une île déserte, un quai de la ligne 13), mettre sa logique dans une poche et son portable éteint dans l’autre, ouvrir le livre, dépasser le premier chapitre pour se mettre dans le bain, penser foutraque, absurde, malin. Puis plonger dedans, laisser échapper un bon petit rire entre deux sourires malicieux, avaler d’un trait. Se dire que chouette, il y a d’autres aventures disponibles au Dilettante.
Et hop.
Tss, Tss, faisait le gros lourd de la porte de Clignancourt, mais la Princesse du Printemps, cheveux au vent sur débardeur léger, n’allait pas se retourner. Tête droite elle s’engageait déjà dans le passage vers la lumière de la place.
Tss Tss, l’attendaient au bout deux clients au bar. De dos je l’ai vue sourire, sans un mot. Elle traversait la ville en princesse moderne, fière de n’appartenir à personne – ou alors à qui elle veut. She’s the boss.
Dans le métro aérien j’ai retrouvé son épaule, qu’elle avait jolie. Au bout du bras un téléphone, sur lequel elle écrivait.
Mon papa chéri. Je pars en week-end avec mon nouvel amoureux. J’esp…
Salut à toi, jeune fille, et que le printemps soit à la hauteur.
[La pluie aussi a ses princesses. Salutations aux trois petites punkettes du concert de Nick Cave, à leurs fous rires cachés derrière le noir à paupières, leurs joints en cachette et leurs pogos de jeannettes. From her to eternity, chantait Nick. Il avait tout vu.]
(Illustration : Virginie Talavera, I'm the boss)
Chère Maman,
Je t’écris aujourd’hui pour te faire un aveu.
Voilà : j’ai écrit dans Stupre.
Je préfère le dire parce qu’on ne sait jamais, des fois qu’une de tes partenaires de bridge, par exemple, vienne te dire en plein tournoi qu’elle est tombée dessus par hasard évidemment et qu’elle a vu mon nom, Ce ne serait pas votre fils, dites-donc, ah mais dites-moi, etc. Ce serait ballot.
Je ne voudrais surtout pas que tu imagines que je me suis vautré dans le stupre.
D’abord parce que j’espère bien ne pas m’être vautré – en tout cas, je me suis bien amusé à écrire cette histoire de Princesse qui attend son cyber-prince charmant dans une chambre d’hôtel. En plus, cette histoire, je l’ai imaginée avec mon amie Virginie T., tu sais, celle qui a peint le tableau rouge que tu aimes bien, alors...
Et puis surtout, le principal atout de Stupre, c’est la fraîcheur. "Contre la domination de l'image pornographico-publicitaire", dit l'édito. En fait, Stupre, c’est une revue érotique, sauf que c’est bien.
Tes collègues de bridge auront peut-être été un peu décontenancées de ne pas y trouver (ou si peu) cet érotisme classique aux règles bien figées, avec tout plein de synonymes pour dire bite et des périphrases à la con du genre "son petit bouton de rose". Non. Stupre, ce n’est pas non plus de la mécanique-pour-faire-bander, ni de l’érotisme M6. Juste des gens qui manifestement ont pris plaisir à écrire. Et des gens bien, en plus (allez, je te donne quelques noms : Anthony Naglaa, Justine Miso, et tous ces gens que je découvre : Jean-François Casella, Wendy Delorme, Aude Picault, Emma Becker…)
Alors voilà. Maintenant tu sais. J’ai préféré de te le dire ici plutôt qu’à un repas de famille, parce que je sais que tu fais des progrès fulgurant dans ta maîtrise de ce monde plein de surprises et de dangers qu’est l’Internet et que tu viens lire ici de temps en temps en cachette. Si tu veux vraiment voir ce qu’il en est, tu pourrais le commander ni vu ni connu sur une librairie en ligne… Mais ce serait petit. Je te conseille plutôt de le demander à ta libraire préférée, je crois qu’elle a le goût sûr, et puis je sais que tu en es capable… J’imagine déjà la scène et ça m’amuse beaucoup.
Je t’embrasse,
B.
Au café l’autre jour un homme qui s’y connaît décrétait avec force que la France s’emmerde. Donc. Cela dit, il me semble que la France s’emmerde surtout si on regarde les jités officiels – ce qui, mais personne ne l’avait dit à notre sociologue jetable, n’est pas obligatoire.
J’y repensais en lisant Standard – forcément, quand on lit des gens qui inventent plutôt que des commentateurs cachetonneux, on a moins l’impression que le pays s'emmerde. On aurait plutôt envie de bouger. De faire des choses, par exemple.
(je me dois ici de faire une pause pour saluer le grand Franswa P., auteur du leitmotiv historique qui donne titre à cette note - à ce propos (ou presque), il faudra que vous me fassiez penser à vous causer de Stupre – à suivre…)
Faire quelque chose, donc.
Par exemple, monter La Blogothèque, et ses "Concerts à emporter". Un concept tout bête (donc génial), une prise de son magistrale… Et un écho qui ne peut qu'aller croissant – parce que la musique devient plus belle quand on la partage et que oui, on doit bien pouvoir faire du bruit tout en douceur.
Le temps de revenir du bout du monde, je vous laisse avec trois concerts…
- The Spinto Band - le tout premier - enregistré, joli hasard, dans ce petit bar de quartier où j’ai fini d’écrire Hors jeu
- REM (le dernier en date) - avec de jolis morceaux d’histoire autour
- un concert (presque) au hasard… Beirut, que j’avais découvert là, avant de me rendre compte que toute la France le connaissait.
Ensuite vous n’aurez qu’à vous balader au hasard sur le site avec les musiciens dans les rues d’ici ou d’ailleurs, pour la musique et pour les regards des gamins dans les parcs de Paris, qui descendent de leur balançoire pour s’asseoir devant un groupe de folk anglais ou de jazz gitan…
Et hop. A bientôt.
(PS - vu hier matin devant le lycée Balzac : dix sourires, trois poubelles, deux barrières de chantier, un drap marqué "Lycée en grève" et zou, une barricade. Sur les murs du lycée, des citations de Balzac sur l'enthousiasme et la liberté de dire non. Une jolie façon de faire quelque chose. Et d'emmerder ceux qui disent qu'on s'emmerde.)
Je me souviens, du temps lointain où se présentaient à nos suffrages des gens qui avaient un peu de culture, il y avait un de ces petits moments français, marronnier désuet où les journalistes, fin août, demandaient aux politiques ce qu’ils avaient lu pendant leurs vacances. Et pour afficher leur hauteur de vue, nos élus répondaient invariablement : « Oh, j’ai relu Machin ». Montaigne, Voltaire ou Chateaubriand, selon les sensibilités, l’important était le snobisme de ce j’ai relu.
Tout ça pour dire qu’il est très rare que je relise un livre.
Et pourtant, c’est étonnant.
De ma première lecture de Spartacus, j’avais gardé quelques bribes fortes – une image, surtout : celle de Spartacus épuisé, dépassé par son entreprise, prenant conscience que l’aventure ne se terminerait que par la mort et pourtant s’accrochant à sa chimère. Je me souviens aussi avoir songé illico qu’il s’agissait d’un des livres les plus importants du XXe siècle, et de l’avoir toujours pensé depuis lors.
J’étais certain avais retenu l’essentiel… Mais en le relisant 10 ans après je n’ai reconnu aucun passage précis jusqu’à la page 100, ou presque. Et la surprise de trouver vers le milieu du livre la scène que je tenais depuis dix ans pour l’une des scènes finales. Bref : avais-je tout oublié ? Sans doute pas, puisque plus j’avançais dans un livre qui m’apparaissait entièrement nouveau, plus je me rendais compte combien la structure du roman #2 est proche de celle de Spartacus. Ce qui ne peut pas être un hasard.
Mieux vaut sans doute ne pas expliquer, les grands livres sont plus forts que nous, ils pénètrent à l’intérieur et la peau ne retient rien, elle se régénère juste pour prendre d’autres livres.
***
Erreur : la valeur d’un chef d’œuvre est inestimable. Spartacus n’a pas de prix.
Merci à la Ville de Paris de l’avoir affranchi.
Maintenant il est vraiment en route.
Des années que le projet tournait en rond je tournais en rond autour d’une histoire sans personnages… Et dire qu’il suffisait qu’ils soient là pour qu’enfin l’histoire avance là où elle se crée vraiment, quelque part à l’arrière du crâne.
Parce qu’on a beau se demander où écrire pour faire jaillir la sève (dans les cafés, dans le métro, sur une table, dans un lit…), le seul endroit où on écrit vraiment bien, c’est dans la tête. Avec les deux hémisphères : le gauche pour construire, le droit pour inventer (pour les romans je fais plutôt dans ce sens, mais chacun fait comme il le sent, évidemment).
Le cerveau gauche a été bien dressé, il fonctionne sur demande, il est créatif parfois – il lui arrive même de se prendre pour le droit, de penser qu’il pourra écrire un livre tout seul.
Le cerveau droit, lui, a droit à ses humeurs. Parfois il disparaît, on le cherche un peu partout, on essaie de lui donner à boire alors que non, ce qu’il faut, simplement, c’est le nourrir. Mais de quoi ? pendant un an je lui ai donné des livres, des films, je l’ai promené un peu mais pas assez, il réussissait à produire quelque notes de blog mais pour le livre, il faisait grève. L'hémisphère gauche lui avait bâti un univers, mais plus il se perdait dans les détails, plus l’autre s’en foutait. Comme s’il regardait, narquois, l’autre se planter. Il a fallu un soir de février, une marche au hasard sur les pentes de Montmartre, pour trouver ce qu’il fallait. Des personnages. Des vrais. Avec des noms, une histoire, une esquisse mentale et zou. Des personnages qui commençaient à exister un peu et dont le cerveau droit pouvait s’emparer pour les faire grandir tout seul.
Maintenant, l'histoire est là, c'est elle qui commande, elle avance bien, un peu à l'aveugle, le cerveau gauche au repos.
En attendant de fêter leurs retrouvailles à tous les deux, je leur prépare un joli festin - quelques Grands Anciens pour donner au roman les impulsions décisives.
Dans le désordre, voici donc…
- Le Prince (Machiavel)
- Dix mille (Andrea Kestaker)
- Introduction à la stratégie littéraire (Divoire)
- Toy Story (Lasseter)
- Les contes d’Andersen
- Spartacus (Koestler)
Mais Spartacus est épuisé…
(à suivre)