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  • Le monde à hauteur de petite fille

    medium_alcoba.gif« Pour la trappe dans le plafond, je ne dirai rien promis. Papa et maman gardent des journaux et des armes là-dedans, mais je ne dois rien dire. »

    Manèges, de Laura Alcoba, est l’histoire d’une cellule de résistants à la dictature argentine dans les années 70. "Une petite histoire argentine", dit le sous-titre - L'Histoire vue à hauteur d'une petite fille de sept ans.
    On entre dans le livre par petits bouts, quelques petites scènes, on aimerait avoir plus d'éléments pour comprendre mais non - et c'est normal, après tout : les petites filles ont beau comprendre beaucoup trop de choses, si elles comprenaient tout ça se saurait. D'ailleurs on en voit largement assez pour imaginer, et l’imagination bien guidée est parfois plus terrible qu’une description.
    Manèges
    , c’est l’imprimerie clandestine, les faux papiers, les engueulades des adultes quand on est allée à l’école avec son blouson avec son vrai nom dessus, c’est un livre où un chapitre peut commencer par « la première fois que mes parents sont allés en prison ».
    Je ne pensais pas qu’on pouvait raconter des souvenirs avec un tel art de l’ellipse – bravo à l'auteur, donc, à l'éditeur aussi sans doute. 

    J’ai avalé le livre d’une traite, avec des yeux de petite fille, et j’ai pensé à la Paloma surdouée de L’Elegance du hérisson.
    Pour prendre la voix d’un enfant, j’ai pensé, il faut juste se mettre à la bonne hauteur. C’est une question de voix, pas une question de style. Ni de vocabulaire.
    Par curiosité, je suis allé feuilleter le "Julien Parme" de Florian Zeller en librairie. Ben il peut lire Laura Arcoba avant d’aller se rhabiller.

    Cela dit, en parlant de Zeller... Reconnaissons qu’il tient une place importante dans le monde littéraire contemporain, en nourrissant (bien malgré lui, sans doute) tout un tas de vaines conversations. Exemple :
    - Ouais, quand même l’édition aujourd’hui c’est piston et compagnie, les auteurs belles gueules prennent toutes les places
    - Ah bon, par exemple ?
    - Ben je sais pas, moi, Florian Zeller par exemple
    - Et qui d’autre ?
    - Ben, ch’sais pas, plein quoi, tu vois...

    Hier, en entendant ce dialogue pour la mille trois-centième fois, j’ai décidé qu'il était temps d’aller plus loin dans l’investigation. Pour vous, bientôt, je vais lire du Florian Zeller. Dans le texte. Je vous raconterai.

  • Vie et mort de la jeune fille blonde

    Bon. Vu le nombre de feuilletons en cours, je vous propose juste une petite mise au point à jour avant de reprendre le cours discrètement cahotique de ce blog.  Une fois n’est pas coutume, je vais le faire au fil du clavier – pardonnez-moi par avance si je suis un peu long, mais après tout, je vais parler de moi et je ne suis pas mon sujet favori, donc je ne prendrai pas le temps de faire court. Allez, zou.

    Rubrique médias, d’abord. Après l’interview podcastée de Mlle Wrath (pas sûr que vous y apprendrez grand’chose, mais si vous voulez voir ma tête elle y est, et en plus je suis d’accord avec tout ce qui j’y dis), c’était donc au tour de France Culture de faire lecture au pays tout entier (enfin, au moins à Esperluette – merci pour le lien !) de ma courte note sur Antoine Bello.
    ... Et alors ? Alors je pourrais commenter sur le rire un peu idiot qu’une telle découverte vous met sur les lèvres, de ma mère (que j'embrasse) qui lit ces lignes en secret et qui va découvrir les podcasts ou encore des écrivains vengeurs qui vont encore se persuader que je connais tout Radio France, mais à quoi bon, prenons ça comme elle vient et avec le sourire. Fin de la page de pub.

    Le poker ensuite. En regardant « Casino Royale », je m’étais dit que c’était un peu trop simple, le poker à la James Bond – la morale du film, en gros : pour gagner il vaut mieux avoir une quinte flush en main.
    J’y suis donc allé en Jacques Villeret qui aurait potassé en cachette ses statistiques, je pensais au moins faire mentir James. Eh ben non. Il n’avait pas tort, en fait. L’élève Second Flore a montré quelques dispositions, il s'est passionné, il a réussi quelques ruses de sioux mais quoi qu’il fasse il ne pourra jamais rien contre une paire d’as servie ou un carré de dames. Je crois que je vais retourner à la belote.

    La jeune fille blonde, enfin. Car oui elle était blonde, la fille de mes treize ans. Elle l’est toujours, d’ailleurs, comme j’ai pu le constater ce week-end sur mon (tout) petit écran. Toujours blonde et toujours belle... mais toujours pas Elle.
    Pendant un quart d’heure je suis resté triste devant mon ordi, frappé de la même amnésie que devant ses photos la semaine dernière.
    Et puis soudain, un flash.
    Dans un sourire*, fugacement j’ai retrouvé quelques images floues de mes années collège. Il y a eu quelques autres flashes mais au fond celui-là suffisait. Je voulais juste être sûr de ne pas avoir tout perdu.
    Dans un dernier mouvement, juste avant le générique de fin, j’ai compris pourquoi je ne pouvais pas reconnaître la jeune fille blonde. Ce n’était pas une affaire de coiffure ou de maquillage, non, c’est bien mon souvenir qui était en cause. Parce que dans mon souvenir, elle était immense et moi j’étais minuscule, je ne la regardais que du coin de l’oeil, là où l’image est toujours déformée, et maintetant je suis là à la regarder en face, sans complexe ni talonnettes.
    Bref : je savais que j’avais grandi, je n’étais pas vraiment sûr d’avoir mué. Maintenant je le sais. J’ai envisagé d’en écrire un peu plus là-dessus, j’ai commencé d’ailleurs mais je ne suis pas allé très loin. D’ailleurs, je n’avais pas à aller très loin pour savoir que j’avais déjà lu cette histoire. Il me suffisait de faire quelques pas pour tirer de ma bibliothèque Vie et mort de la jeune fille blonde. Donc nous en resterons là. Car si je voulais vous en dire plus il me faudrait dévoiler la fin du livre de Philippe Jaenada, et ça, c'est impossible
    A la place, je ne peux que relancer le concours « qui est-elle? » (cf. commentaires précédents) - mais avec tous les indices que je vous ai laissés, j’ai peur que ce ne soit trop facile...

    Allez, bonne semaine à tous.

    * Etonnant, ce sourire. Je me suis heurté plusieurs fois au problème en écrivant : il y a mille sortes de sourire mais un seul mot pour les décrire. On peut se perdre en adjectifs mais souvent le combat est vain. Maintenant je comprends un peu : ça ne se décrit pas, un sourire, ça se ressent.

  • Tapis

    "A une table de poker, il y a toujours un pigeon, me disait un connaisseur.
    Si tu ne sais pas qui c’est, c’est que c’est toi."

    Les choses sont-elles différentes quand on se sait pigeon ?
    La seule arme du pigeon, c'est la farce.
    Demain, donc, je serai Jacques Villeret dans "Le dîner de cons."
    On verra bien si les gentils gagnent à la fin.

  • Trois rencontres (3/3)

    Bon, vous vous en doutiez, les deux premières rencontres où s’interposait un écran n’étaient là que pour conduire à la troisième – la plus vieille et la plus récente de toutes. Mais je n’ai pas réussi à l’écrire. Ou plutôt, je tourne autour sans parvenir à dire ce que je voudrais. Plus j’en rajoute et plus je m’éloigne. Dans ces cas-là, j’ai appris que le seul remède était de revenir au premier jet, à l’impulsion. Voici donc cette troisième rencontre dans une version (presque) brute, en léger différé du petit carnet à spirale où elle a jailli voici cinq jours...

    Pendant un an, dans la cour du collège, je n’ai regardé qu’elle. C’est dire si je pensais avoir son visage bien en mémoire.
    Ça doit faire quinze ans que je ne l’ai pas vue mais j’ai donné son nom à l’héroïne de mon roman, par jeu. Et voilà que ce nom me revient aux oreilles, accolé à des mots qui devraient me faire rêver : actrice, comédienne, animatrice de télévision. Oh, bien sûr, pas sur les grands écrans plats du Grand Supermarché, sur des chaînes câblées en relief auxquelles je n’ai pas accès. Ce qui n’empêche pas de grands esprits modernes de mettre sur le Net des captures d’écran de la belle et de chanter ses louanges sur divers forums.

    Comme je l’avais fait pour Elise Chassaing (salut à toi, visiteur perdu qui persiste à venir ici en tapant ce nom dans ton moteur), j’ai donc chevauché mon Google, un peu fébrile, pour vérifier l’information et pour...
    Pour quoi, au fait ? J’espérais sans doute retrouver secrètement l’émoi de mes 13 ans, faire revivre pour quelques instants cette lointaine adolescence et m’offrir un joli moment de nostalironie avec Indochine en BO.
    Eh ben, c’est raté.
    J’ai trouvé des photos, j’ai regardé, j’ai imaginé et là... rien. Tout correspond, pourtant : l’âge, la taille, la couleur des cheveux, celle des yeux mais m’en souviens-je vraiment ? Je devrais avoir l’impression d’une rencontre, je pourrais me sentir à nouveau petit garçon, je regarde d’autres photos mais non, seul reste le doute.
    Impossible de déterminer avec certitude s’il s’agit bien d’elle.

    Est-ce l’écran qui nous change à ce point ? Est-ce moi qui ne parviens plus à retrouver le regard de mes 13 ans ? En d’autres termes : y a-t-il quelque chose de changé ou quelque chose de perdu ?
    Je ne sais pas. Je ne m’étais jamais senti amnésique.
    Bizarre, quand même, cette impression de rencontre manquée quand on est tout seul derrière son écran...

    PS – après rapide enquête (merci Olivia), la confirmation est tombée (de haut): c’est bien elle. Je vais devoir regarder la télévision, pour guetter un oeil qui s’allume, une inflexion de voix... A suivre.

  • Joyeuse interruption des programmes

    medium_bello_falsificateurs.gifJ'allais publier dans la douleur une troisième rencontre mais j'apprends à l'instant qu'après-demain sort chez Gallimard un nouveau roman d'Antoine Bello - Les falsificateurs. Et là, je fais un petit saut de joie.

    Antoine Bello, c'est l'auteur des Funambules et surtout de l'excellent Eloge de la pièce manquante - un petit bijou d'humour intelligent, à la fois imaginatif et caustiquement réaliste, avec talent et sans prétention. Depuis 1998, il n'avait rien publié, délaissant word pour powerpoint et l'aventure d'un business coté en bourse. Je pensais ne jamais le revoir dans une librairie. Donc, youpi.

    Pour en savoir plus, la présentation du livre est ici. Livres Hebdo est emballé, paraît-il. Pour moi ce sera sans emballage. A consommer tout de suite. 

     

  • Trois rencontres (2/3)

    Nous sommes assis face à face, entre nous elle a planté sa micro-caméra.
    Je lui raconte qu'il y a trois mois dans un café j'ai passé une heure à quelques mètres d'un de mes auteurs préférés.
    J'ai dit ça juste pour la faire sourire, le voyant rouge est éteint mais c'est son oeil qui s'allume :
    - Ah, tu vois ! elle triomphe. Je le savais, que tu connaissais tout Paris, hein, allez avoue !
    Quand je retrouve ma voix, je tente de lui expliquer qu’il était avec des amis, que je m’imaginais mal les interrompre, que je n’aurais pas su qu...
    Je tente de lui expliquer mais elle ne m’entend pas. Côtoyer la célébrité et ne pas tendre la main pour la toucher lui semble juste impensable.
    Je me demande si l’un de nous deux est anormal, puis je la raccompagne à la porte.

  • Trois rencontres (1)

    Rue du Départ, je suis de bonne humeur. Elle vient vers moi, dos à la gare. Je lui souris parce qu'elle est jolie, elle me rend mon sourire, avec un peu de réserve mais sans hésitation.
    Deux mètres encore et maintenant je me souviens d'avoir déjà vu ce sourire.
    C'était sur un écran.
    Je me retourne mais ses talons s'éloignent déjà, l'instant est passé, voilà tout. Je repars en souriant à la ville.

    Je repense à ce moment, je revois cette fossette, je me dis qu'elle n'a pas de chance, cette jolie comédienne. Il y a quelques années, tous les sourires du monde lui disaient qu'elle était jolie. Aujourd'hui elle croit seulement qu'on vient de la reconnaître. 

  • A la fenêtre (demain matin, peut-être...)

    Elle est à la fenêtre, encore nue, les mains sur le radiateur. Ses longs cheveux lui tombent dans le dos. La vue domine les toits, le soleil perce en noir et blanc, la photo est belle et elle est .

    Elle me dit « Regarde ce ciel ! » et moi je ne vois qu’elle.
    Du fond des draps, encore ensommeillé je parviens à articuler :
    « Je ne me souvenais pas que Paris avait un si beau cul. »
    Elle ne répond rien, ses épaules tressautent légèrement.
    « Tu es belle de dos, quand tu souris », je reprends.

    Elle reste à la fenêtre, je ne bouge toujours pas. Elle regarde la ville et je ne vois qu’elle, nous sommes loin mais nous sommes ensemble.
    Mon imagination caresse ses hanches, remonte le long des reins, redescend en mouvements très lents comme ceux que son bassin dessine maintenant en se frottant contre...

    Une longue minute s’écoule le long du radiateur.
    Je n'ai aucune envie de me lever.

    (Merci à Cali Rise)

    C'est malin, maintenant, j'ai envie de changer de lendemains matins.

  • L’élégance des hérissons

    medium_elegance_herisson.2.jpgLe hérisson, on le sait, a un destin : se faire écraser par des chauffards malveillants. Et quand sur l’autoroute de l’information déboulent des Bienveillantes, un modeste hérisson de septembre n’a guère de chances de gagner sain et sauf le trottoir de janvier.
    C’est pourtant ce qui arrive, je crois, à L’Elegance du hérisson, de Muriel Barbery.

    L’élégance du hérisson, c’est l’histoire parallèle d’une concierge qui cache son coeur d’or et sa culture derrière ses horaires d’ouverture, et d’une petite fille de riches, rebelle et surdouée.
    Avec en toile de fond, les habitants insupportables de cet immeuble du VIIe et leur femme de ménage, Manuela, qui les vaut tous :
    « Car la fille de Faro, née sous un figuier après sept autres et avant six, envoyée aux champs de bonne heure et aussi vite mariée à un maçon bientôt expatrié, mère de quatre enfants français par le droit du sol mais portugais par le regard social, la femme de Faro, donc, est une aristocrate, une vraie, une grande. Qu’est-ce qu’un aristocrate ? C’est une femme que la vulgarité n’atteint pas, bien qu’elle en soit cernée. »

    Sous le sapin familial, à Noël, il y avait trois hérissons. Un seul était de moi.

    Je vous en aurais bien parlé avant, de ce livre, mais les mots ne venaient pas - et puis au fond, le silence est une belle forme d'élégance. Mais j'avais envie de saluer ceux qui m’ont conduit à lire ce livre – Castor Junior le premier, puis Lidell et sa gorge nouée - avant l’enthousiasme convaincant de Ph. Jaenada, par ici (oui, il faut faire défiler la page, je sais c’est dur mais ça vaut le coup).
    Merci à vous trois.
    Parce que malgré un peu de gras en début de roman, le hérisson est piquant et son auteur a la grâce.

    Allez, dans la foulée j’ajoute deux livres avalés avec le sourire fin décembre:

    medium_baltringues.jpg- Les baltringues, de Ludovic Roubaudi (ou les tribulations des ouvriers d’un cirque)
    J’ai beau avoir habité cinq ans à 500 mètres du coeur de l’action, il y a longtemps qu'un livre ne m’avait pas fait autant voyager. 

    medium_bleu_de_chauffe.gif- Bleu de chauffe, de Nan Aurousseau (ou les mésaventures d’un Ouvrier Hautement Qualifié)
    A conseiller à tous ceux, et ils sont nombreux, qui luttent contre un patron malhonnête ou pervers-narcissique. Ou les deux.

    Bonnes lectures.