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Cartes postales - Page 2

  • Carte postale de Bucarest

    On a sûrement tort de chercher l’unité des villes quand on voyage. Alors hop, encore une carte à images multiples. Avec, au milieu, de la poussière et une douche – la troisième de la journée, la meilleure.

    Parcul Herastrau, on les avait vus de loin, ces cinq flics, au bord du lac. Quatre assis et un debout qui semblait les briefer. Le chien était un peu plus loin, près de la voiture, radio allumée. De temps en temps, une jeune fliquette tourait la tête vers nous, les yeux dans le vague – comme un élève peu doué qui regarde par la fenêtre quand le cours devient trop compliqué.
    Quelques mètres plus tard, nous avons vu le cadavre bâché, fraîchement repêché. J’ai regardé une dernière fois vers les flics, il m’a semblé comprendre le roumain.

    41063_10150227224655234_875545233_14179730_7478795_n.jpgEn fin de journée, le thermomètre enfin descendu sous 40° et le toit du Théâtre national transformé en immense bar – tables en bois, gobelets en plastique, conversations et drum n’bass en crescendo. Noroc.

    Puis le dîner dans un jardin, un sympathique Feteasca dans nos verres, des boucles brunes et un sourire qu’on reverra bientôt – et soudain une coupure d’électricité qui nous offre une demi-heure aux chandelles. Un peu plus tard, le même trio dans le vieux Bucarest, où les bars branchés installent leurs terrasses sur un pavé encore défoncé. Dans l’un d’eux, un karaoké géant, toute la salle reprenant un refrain local. Pas même le temps de commander, un dernier couplet et pof, le courant qui saute.

    Et le lendemain une autre soirée unplugged, des chaises longues, deux chiens errants polis et un chaton à collier qui nous suit jusqu’au métro.

    C’est joli, Bucarest, quand on se fout du BTP.

    Photo - Castor

  • Carte postale de Pologne

    Bon, on ferait comme si le marchand n’avait plus qu’une carte postale, un kaléidoscope kitsch avec plein d’images dont on ne distingue pas les détails.
    Dans le désordre, on aurait quelque chose comme ça :

    cracovie.jpg- les grandes avenues et les parcs de Varsovie
    - le jardin magique sur le toit de la bibliothèque universitaire, et les transats du café Kafka un peu plus bas
    - tous ces gens e prière dans les églises, et un prêtre en sandales dans le compartiment du train
    - le néon scintillant du "dépanneur" à la polonaise : Alkohol 24/24
    - Jeans slim à Varsovie, robes à Cracovie
    - My way en polonais, à l’accordéon, dans les bafles du Café Philo, tandis qu’à 11 heures du matin un groupe de lycéen-nes éclusent des pintes en gloussant
    - un sosie de Mathilde Peslier en uniforme (salut)
    - un zoom sur les sandales du prêtre : Reebok
    - deux jours de pluie non-stop, les chaussettes noyées dans les chaussures, et dans un café l’Italie se faisant taper par la Slovaquie
    - J. Holzer, croisée sur un banc. Artificial desires are despoiling the Earth
    - l’identité polonaise, partout sur les murs, et les musées nationalistes
    - les inscriptions sur le mur des geôles de la Gestapo
    - Kafe Szafe – d’anciennes armoires reconvertie en petits boxes : une mini-table, deux chaises
    - les tables de Singer, ceux qui dansent dessus, celles qui roulent dessous, un briquet, une main qui m’attrape et le zakipanki à 3 heures du matin (salut à toi, Ewa Zawadiak)
    - sur le chemin de l’aéroport, une usine désaffectée sur la droite – sur la brique rouge, de grandes lettres à la peinture blanche : Rauchen verboten.

    Au dos, j’écrirais simplement que je suis désolé, je n’ai jamais pris autant de notes pendant un voyage mais que bizarrement j’ai très envie de les laisser dans ce carnet. Je vous dirais qu’ici il fait beau, que je réécris B-a-ba et qu’on en recausera (un peu). Et puis surtout je vous souhaiterais un bel été.
    A bientôt.

  • Carte postale de Vilnius (2010)

    La vieille ville de Vilnius compte 48 églises, et le dimanche matin elles font le plein.
    Je me suis arrêté devant l’Eglise du Saint Esprit, sous le porche qui précède l’entrée. A côté, le "Dublin" a fermé pour cause de crise. Une mendiante à casquette garde l’entrée. A l’intérieur, les hauts parleurs diffusent ce que j’imagine être le chant d’entrée, orgue et refrain répétitif. Agenouillé devant l’autel, le prêtre tourne le dos à la foule. Puis il se lève et disparaît vers la crypte. La foule continue de chanter, quelques familles repartent, des gens de tous âges continuent d’arriver. Tous respectent le même rituel : eau bénite, signe de croix, le baiser aux pieds du christ en croix, s’agenouiller à l’entrée de la nef.

    ca88_2.JPGLe disque n’en finit pas, j’ai sorti mon carnet comme d'autres leur caméra. Une idée m’est venue de livre de voyage, je la caresse un instant du bout du critérium, puis songe qu’aucun des éditeurs que je connais ne le publierait aujourd’hui. Ça ne se vendra pas, mec. Ils auraient raison, sans doute. Dommage. Ça ne fait rien, je continue à noter parce que j’en ai envie (what else). Enfin le refrain cesse, le prêtre revient avec ses enfants de chœur, un autre chant.
    Arrive alors un homme en costume brun, la soixantaine un peu sèche, petite moustache. Il s’approche de moi, sans bruit, puis d’un geste lent, le regard plein de compassion, il dépose une pièce de 10 centu dans mon carnet avant de plonger ses mains dans l’eau bénite.
    Mon premier salaire d’écrivain voyageur. Le début d’une carrière, qui sait.
    Je regarde sur la droite : la mendiante à casquette s’est levée. Il me reste la journée pour choisir à qui donner la pièce.

     

    dolgin-cov.jpgA propos d’écrivain voyageur – merci à Kevin Dolgin de m’avoir accompagné ce coup-ci. The third tower up from the road est de ces bouquins qui vous donnent envie d’aller plus loin. Une petite centaine d’histoires à picorer sur la découverte d’une ville – jamais normatif, toujours subjectif, comme des petits cailloux qu’il sème de par de monde.
    A Vilnius, l’auteur avait cherché une inattendue statue de Franck Zappa. Je l’ai trouvée. J’ai même prise en photo (grande première). Il me faudra sans doute deux ou trois ans pour apprendre comment mettre ici une photo prise avec mon téléphone.

  • Carte postale de Vilnius (1928)

    520_1.jpgL’une des salles de la Vilnaus Galerija est consacrée à l’éphémère indépendance de la Lituanie entre les deux guerres. Documents officiels, échanges de courriers diplomatiques dans toutes les langues, rien de sexy mais j’adore ça.
    Dans le coin d’une vitrine, le formulaire (en français) que devaient remplir tous ceux qui, en qualité de "consuls honoraires", voudraient faire des affaires avec la jeune république.

    L’ingénieur portugais Joao Marcello Gomes, né le 16/1/1897, importateur de bois tropicaux et exportateur de vins, y remplit scrupuleusement toutes les cases, dans le vocabulaire corporate de l’époque, le tout tapé à la machine.
    My offices are most up-to-date and very first class, écrit-il.

    Mais le plus beau est dans l’encadré, en haut à droite. Après le nom et la date de naissance, le formulaire demande la "situation de famille".

    Very good, répond l’ingénieur.

  • Carte postale de Varsovie

    "J’avais l’impression qu’il ne fallait pas se débarrasser du blanc-bec en moi trop vite et trop légèrement, que les adultes étaient trop habiles et pénétrants pour se laisser tromper et que si quelqu’un était sans cesse poursuivi par son blanc-bec, il ne pouvait pas se présenter sans lui en public. Je prenais trop au sérieux le sérieux, je mettais trop haut le caractère adulte des adultes.
    (…)
    Où cette voie me mènerait-elle ? Comment donc s’étaient produits en moi cet esclavage de l’inaccomplissement, cet abandon à la verdeur enfantine ? Etait-ce parce que je venais d’un pays particulièrement riche en créatures inachevées, inférieures, éphémères, où aucun col de chemise ne tient ? (…) Ou parce que je vivais à une époque qui, toutes les cinq minutes, adopte de nouveaux slogans et de nouvelles grimaces, avec des rictus convulsifs, autrement dit, une époque de transition ?"

    W. Gombrowicz, Ferdydurke (1937)

  • Balzac, live

    Je l'avais croisé étudiant. Il était grand, la démarche un peu raide peut-être mais l'oeil rieur et les traits fins dans son uniforme jean-t-shirt.
    Hier soir, ligne 4, il m'a fallu quelques instants pour le remettre. Il était encore un peu plus grand, avec les talonnettes de ses chaussures noires. Il portait un costume anthracite aux fins parements blancs, mais sous la cravate ses traits à lui avaient grossi. Balzac aurait été parfait pour décrire son visage empâté et son menton saillant, plein de la conscience de ses responsabilités - la paternité, sans doute, et avec elle un rapport devenu paternel au monde. A la main, il avait le Figaro.
    Balzac aurait parlé de ses chaussures, sans doute. Il aurait tout de suite vu qu'elles n'allaient pas avec le costume - de bonnes chaussures bien solides, mais rien à voir avec la pompe chic des traders à chemise rose croisés un peu plus tôt. Il y aurait vu sans doute le lien qui le raccrochait au monde d'avant l'argent. Ensuite bien sûr il aurait parlé de ses yeux. Aiguillé par l'indice des chaussures, il y aurait cherché (peut-être vainement) la flamme de l'étudiant sous la paupière tombante du jeune banquier. Mais je n'y connais rien en chaussures, et je n'ai pas vu ses yeux. Je n'ai même pas eu à les éviter : en trois stations, tête droite et menton en avant, il n'a pas jeté un seul regard de côté.
    Honoré, où es-tu ? Tes personnages sont encore là.

  • Clients virtuels

    Retour à la ville, et à ses rues commerçantes.
    Mardi matin, soleil timide, la rue du Poteau s'éveille tranquillement. Entre une boutique bio et un tout-à-dix-balles, Marionnaud est fidèle au poste, il salue les passants avec sa nouvelle accroche commerciale.

    Ce qu'il y a d'unique, chez nous, c'est vous.

    L'agence de pub a dû se creuser la tête pour trouver ça, j'imagine qu'on a dû pondre du powerpoint à base d'orientation client et de service one-to-one. Un junior a sûrement lâché une petite tirade sur l'interaction entre réel et virtuel, en rappelant en clin d'oeil le concept de visiteur unique.

    Du coup, j'ai voulu vérifier. C'était presque ça. A une cliente près.
    La seule chose qui était unique dans le magasin, c'était la vendeuse qui se faisait les ongles.
    Alors j'ai continué mon chemin vers l'Humeur vagabonde.

  • J'ai dit les yeux

    La Gouttière était pleine et elle était à un mètre. Je n'ai pas vu son visage au départ, il était masqué par le décolleté onirique d'un pull en laine qui souriait au triste sire qui lui faisait face - une sorte de geek en sweat mou. Au second coup d'œil j'ai visé plus haut et je l'ai trouvée commune. Pourtant, il y avait bien quelque chose qui...
    - C'est à toi de couper, m'a dit mon voisin de droite.

    Cinq coups d'œil plus tard j'ai compris. C'était saisissant. Elle avait le visage Natalie Portman et les pommettes de Claire Nebout et des seins bien à elle. Comment tout cela réuni pouvait-il donner cette impression si commune ?
    - Quatre-vingt pique.
    La réponse était dans les yeux. Evidemment. Ils étaient éteints. Pas la moindre flamme, rien qui brille. Deux fois je lui ai surpris une moue ménagère qui semblait dire Non mais ça c'était sûr, tu vois, je l'avais bien prévenu pourtant, etc. Voilà qui pouvait expliquer pourquoi la baguette magique était tombée à côté. Et puis, quand même... Un instant j'ai pensé qu'il fallait absolument que j'éclaircisse le mystère, que je craque une allumette pour voir ce qui se passerait, mais à côté de moi un impétueux venait de monter à 120 cœur et je ne pouvais pas laisser passer ça sans coincher.

    Quand à côté ils ont fini leur bière, j'ai pensé à Natalie. Qui sait, si elle n'avait pas été touchée par une baguette magique, peut-être qu'elle aurait-elle été tranquille à la Gouttière, à se reposer elle aussi d'une journée de boulot un peu fatigante.

    Puis le geek et la fausse Claire Nebout se sont levés, en partant il a dit un truc tout bête et elle s'est mise à rire, pas très fort, mais elle riait des yeux, enfin, et ça couvrait le brouhaha ambiant. Alors en regardant mon verre à moitié plein, j'ai pensé au geek en veille qui cette nuit dormirait avec Natalie Portman. Petit salaud. Et comme j'avais la belote, je suis monté à 100 carreau.

  • Ident*té nat*onale

    identite-nationale-L-3.jpegPorte de Clignancourt, 20h30. Station calme. Dans les escaliers, je devine que le quai est vide (les animaux de la forêt savent bien quand un métro vient de leur passer sous le nez).
    A côté de moi descendent deux hommes. L'un a le type indien, l'autre maghrébin. 40 ans environ, ils parlent comme deux collègues qui ont fini leur journée.
    Arrivé sur le quai, le panneau lumineux confirme mon intuition : 4 minutes d'attente. Pas si pire, murumure en québécois une voix intérieure. Mais les deux gars ne l'entendent pas ainsi.
    - 4 minutes, merde alors, qu'est-ce qui foutent ?
    - Quelle bande de branleurs, la ratp
    - C'est bien vrai, ça. La semaine dernière c'était la grève, et maintenant...

    Et maintenant ils sont assis et continuent leur conversation.
    La voilà donc, l'identité nationale : un indien et un maghrébin se plaisant à râler comme deux gros cons de français.
    Veuillez recevoir, M. Besson, mon unique contribution.