Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Cartes postales - Page 5

  • Les Autrichiens sont disciplinés

    , nous dit-on. Voire. Devant moi, à Roissy, un Viennois a tenté de passer en douce un tube entier de dentifrice sans l'avoir dûment enveloppé dans un sachet plastique refermable.
    Heureusement, un fin limier d'ADP s'est rendu compte in extremis du danger.
    Ouf.
    On vit dangereusement, quand même.

    Bon, allez, tout ça pour vous dire salut que j'ai rapporté pas mal de cartes postales - je les ai achetées par paquets de dix. Je les enverrai au compte-goutte, qu'on ait un peu l'impression de prolonger le voyage. Peut-être jusqu'à Noël, tiens. Et d'ici là...

  • L'âme slave

    Concorde, sous-sol, 16h30.
    A l’entrée du long couloir, une femme mince se tient droite, les deux mains sur la valise qu’elle a posée devant elle. Elle pourrait hésiter sur la direction à prendre mais non. Elle pleure. Pas de chaudes larmes, non – des larmes presque sèches.
    Alors du fond du couloir montent les notes d’un orchestre folklorique slave. Je m’arrête, moi aussi, puis je prends le couloir où résonnent l’accordéon, la contrebasse et les voix graves. Et c’est vrai qu’il sont bons que c’est beau. Maintenant je sais pourquoi la femme pleure.
    Et c’est encore plus beau de les entendre en sachant que derrière, à quelques mètres, cette femme est encore là, immobile au pied des marches – comme ces scènes peintes qui nous sont révélées par un personnage dans un coin du tableau.
    Puis l’orchestre passera à des danses plus rapides, et au loin je verrai la frêle silhouette se détourner. La magie s’éclipsera doucement.

    De retour chez moi j’écris cette note en écoutant l’orchestre sur un CD auquel ne manquent que les murs d’un couloir du métro. J’ai monté le son pour mieux revoir le visage de la femme. Je ne pleure pas parce que je suis un homme parce que mon âme est sèche occidentale, mais je trinquerais bien à la vodka.
    C’est étonnant, la nostalgie de rien. Mais c’est beau.

     

  • L'enlèvement des Saabines

    71897778.jpg?v=1&g=SRM&s=1C’est une nouvelle qu’on construirait comme un tableau.

    Ce qu’on verrait d’abord, c’est le grand calme d’une belle matinée de printemps : l’éclat du soleil dans un ciel sans nuages, les arbres couverts de feuilles frémissant sous une légère brise – on entendrait presque les oiseaux gazouiller.
    Traversant le tableau, on suivrait une large rue bordant un stade, au bord on verrait peut-être une partie de football, le spectateur y devinerait un simple jeu de grands enfants, il serait attendri.
    Ce n’est qu’incidemment que l’œil verrait qu’il y a des voitures le long de la rue – des véhicules immobiles, sagement garés, comme un élément de décor. Aucune automobile n’oserait rouler sur cette avenue si calme. Aucune, vraiment, sauf ce putain de véhicule de fourrière et ce connard en chasuble fluo enlevant la voiture de l’un des joueurs de foot, garée sur une place marquée Autocars alors qu’il n’y a pas un bus à dix bornes à la ronde.

    (Ce serait une histoire vraie, bien sûr.)

    « Merci pour le service public ! » j’ai dit en passant. Je n’ai pas pu m’empêcher. Je me souviens qu’un jour, dans un sous-sol du XIVe, une surconnasse derrière sa vitre blindée m’avait fait la leçon, Ah mais ce n’est pas un service public, Monsieur, c’est une entreprise privée, et qu’il avait fallu tout mon surmoi pour l’empêcher de tout casser – ou plutôt non, de choper son patron et de lui faire mal, très mal. C’est étonnant, comme la fourrière encourage les pulsions meurtrières. Même quand c’est juste la voiture d’un copain. Mais là…
    - Ben, si vous avez un meilleur boulot, je prends, hein.
    La sincérité de ce pauvre gars tout seul m’a désarmé. (ils étaient deux avant, non ?)

    Mais son patron, putain, si je le chope…

    Allez hop, respirons un bon coup pour voir le monde en peinture.

  • Carte postale d’Angoulême

    Ils sont beaux, les remparts d’Angoulême. Il y a quelques siècles, ils protégeaient la ville contre de méchants envahisseurs. Aujourd’hui les remparts se retournent contre elle. La bourgeoisie s’enferme dans les murs de la ville haute, les enseignes d’assurances y dépassent en nombre les boulangeries, pendant ce temps la ville basse vire en friche, les commerces aux vitres condamnées semblent victimes d’une épidémie.
    Tout en bas il y a la Charente, magnifique et désertée. Puis un coude. L’oreille qui se tend. Un son qui parvient, du peuple au loin sur la passerelle. On dirait une île, c’est un festival. Musiques Métisses. A partir de là tout se mêle, tout s’emmêle et c’est bon.

    Alors on va le faire en vrac, juste pour le souvenir…

    L’énergie rock de Daby Touré, conquérant un public en dix minutes.
    Rokia Traoré, éblouissante, public conquis qu’elle mène au bord de la transe.
    Ismail Lo ou l’art de donner et de recevoir. Un Tajabone à se décrocher la mâchoire – quand sur mon pied tombe un dentier (oui).
    Zeina Abirached et Fatou Diome, rencontre littéraire (réussie et populaire – une première).
    Ségolène en visite, discours d'ouverture et visage fermé. A sa suite, quinze hommes au bas mot. Jolis costumes, ils auraient presque eu l'air exotique entre un baba cool et une danseuse algache.
    Orage et déluge qui jouent les percussions pour Dee Dee Bridgewater sous le chapiteau (confirmation : la virtuosité sans émotion fait sacrément bâiller)
    La magie guérisseuse de Ses mains, toujours.
    Quelques goulées de mauvais blanc avec des locaux au sourire timide.
    Soudain, à gauche, une vision de l'avenir.
    Et puis ce pull qui se transforme en muleta au pied de la scène – corrida nocturne improvisée avec un gamin de trois ans, rythmée par Orchestra Baobab.

    Derrière moi un critique musical au cerveau de sous-chef de rayon explique le monde à son voisin – Non mais tu vois, là, ce qu’elle fait, c’est plus de la world.  Mardi, il sera derrière son petit bureau. Entre temps il aura été piétiné, balayé par l’enthousiasme bon enfant du festival.
    C’était une belle fête.

  • Eternité de la jeune fille

    652871220.jpgTss, Tss, faisait le gros lourd de la porte de Clignancourt, mais la Princesse du Printemps, cheveux au vent sur débardeur léger, n’allait pas se retourner. Tête droite elle s’engageait déjà dans le passage vers la lumière de la place.

    Tss Tss, l’attendaient au bout deux clients au bar. De dos je l’ai vue sourire, sans un mot. Elle traversait la ville en princesse moderne, fière de n’appartenir à personne – ou alors à qui elle veut. She’s the boss.

    Dans le métro aérien j’ai retrouvé son épaule, qu’elle avait jolie. Au bout du bras un téléphone, sur lequel elle écrivait.
    Mon papa chéri. Je pars en week-end avec mon nouvel amoureux. J’esp…

    Salut à toi, jeune fille, et que le printemps soit à la hauteur.

    [La pluie aussi a ses princesses. Salutations aux trois petites punkettes du concert de Nick Cave, à leurs fous rires cachés derrière le noir à paupières, leurs joints en cachette et leurs pogos de jeannettes. From her to eternity, chantait Nick. Il avait tout vu.]

    (Illustration : Virginie Talavera, I'm the boss)

  • Fruits et légumes

    Dans la jolie barquette en plastique, les fraises avaient l’air jolies. Mais une fois mangée la grosse tentante sur le dessus sont apparus les premiers poils. Il n’y en avait qu’une, toute grise, qui avait pris sur elle toute la pourriture du lot. Celles d’à côté commençaient à être gâtées aussi, on sentait qu’elles résistaient pour que celles du dessus survivent jusqu’à une bouche avide.
    La nature favorise donc les sombres de la grande distribution. Adam Smith aurait adoré. Triste constat.
    J’ai repensé à ce frigo post-ado où deux citrons achetés ensemble avaient été oubliés, longtemps, jusqu’à ce que le proprio du frigo, sans doute alerté par un petit fumet acide, les découvre un jour, serrés l’un contre l’autre.
    L'un d’eux était vert-gris, tout rabougri ; l’autre à côté était encore bien jaune, préservé par son copain. La nature est incroyable.

    ***

    Quelques minutes après avoir jeté la barquette de fraises à la gueule du capitalisme sournois dans le vide-ordures, j’étais de retour en sous-sol. Sur la banquette d’une baignoire chauffée de la ligne 7. Au fond, un cadrounet déguisé bien comme il faut, gueule et veste grises, cravate rose pâle, i-pod aux oreilles, on aurait pu lui épingler une pancarte "Hors service".
    Face à lui, deux paires de jambes étendues, gainées de jeans moulants délavés dépassés tombant sur des baskets à dix balles. Une gueule cassée, la cinquantaine burinée, faciès émacié assorti à la crasse du jean. A côté de lui, sa fille, du genre qu’on ne remarque pas mais qui baignée dans un VIe arrondissement passerait vite pour jolie.
    Les jambes se replient, je m’installe, la jeune fille regarde distraitement la couverture jeune et polie de Standard, puis revient à son père.

    - ça fait longtemps qu’on n’a pas été comme ça, tous les deux…
    Il a du mal à enchaîner mais on sent qu’il fait des efforts – pas autant qu’elle, toutefois, racontant la vie avec la mère, le beau-père, tout ça…
    - Et toi, au fait, ça va ? Ta journée, ça a été ? (c’est la fille qui parle)
    - Ouais... Tranquille...
    - T’as fait quoi.
    - Oh, des trucs. (Il se redresse). J’ai vidé ma boîte mail, par exemple. Parce que c’est dingue, chaque fois que tu fais un tric sur e-bay, t’as un mail, alors fallait…
    Dans le film que je tournais en parallèle, la fille se rend bien compte que son père coule, c’est peut-être vrai d’ailleurs mais l’important c’est qu’elle ne veut pas le voir, alors elle tourne la tête, vise une affiche sur le quai et le coupe, enthousiaste.
    - Regarde, un truc sur les Stones !
    - Ah ouais, les Stones. Je me souv...
    - C’est un film. On ira, dis ?

    Et la vie continue jusqu’à l’arrêt suivant, où ils descendront ensemble, le père s’embrouillant dans les correspondances. A ma droite le jeune costard n’était déjà plus là, on ne l’avait pas vu sortir.
    Elle était presque jolie, vraiment.

    (Aucun rapport entre les deux histoires, bien sûr. (Vous n’avez pas honte ?)
    Ou alors... Mais vraiment, vous avez l'esprit tordu…
    Mais qui était le fruit pourri dans la barquette ? Franchement, je sais pas.)

  • Un peu d’air en sous-sol

    Fatigué d’être resté trop longtemps enfermé, je suis sorti hier voir la ville avant de la traverser de part en part. Trouver un peu d’air en sous-sol – j’avais oublié mon livre, j’étais prêt à accueillir la vie qui se présenterait.
    Elle s’est présentée assez vite, d’ailleurs, sous la forme d’une jupe écossaise étonnamment laissée sur un siège. Faut revenir demain, elle va enlever le bas, m’a dit en souriant la Mama qui me rejoignait sur le siège. Elle lisait le torche-cul râpeux de Bolloré, Direct Matin – c’est quand même bien pratique d’être informé gratis, hein ?
    Elle y aura peut-être lu cette fabuleuse légende – celle qui accompagne une photo de la présidente du Medef : "Laurence Parisot incarne une vision moderne du patronat". Ah, la légendaire indépendance du journaliste à la recherche de la vérité ! Sur la page d’à côté, la photo est légendée "Bertrand Delanoë, maire de Paris".

    Un peu plus loin, un peu plus tard, tranquillement assis en fond de rame, je regarde les hommes tomber et les femmes sur le quai. L’une d’elles met un pied dans la rame, lève la tête, ressort – Putain, y’a trop de croque-morts ici ! Et elle monte dans le wagon suivant, avec ses cheveux en bataille et son discman dernier cri. Mon voisin a continué à faire la gueule, j’ai rigolé.
    Non loin de là, deux jeunes collègues croquaient à pleines dents longues une vie sans goût.
    Arrête ton char, disait la jolie cadrette. La seule chose que tu lis, c’est la fiche de paie.

    Et la ligne 8 a continué son chemin vers Balard.
    Un livre sur le métro, sans doute pas. Mais écrire dans le métro, ça oui. Une idée en l’air. Elle se précise.

  • Cartes postales du bout du monde (3)

    Egarée par la poste, retrouvée ce matin…

    De retour du bout du monde et de la solitude de la mer hivernale, j’aurais pu prendre en pleine face la foule grouillante de Porte de Clignancourt à l’heure de l’ouverture des puces. Mais non, en fait. Il a fallu attendre le soir pour que vienne le choc, en croisant boulevard Saint Germain la modernité triomphante toute en maquillage et sapes staïlées – fou comme ça sonnait faux.

    Dans les beaux quartiers de Paris des poupées bien nées ouvrent des blogs pour parler de mode et contempler leurs derniers achats. Au bout du monde, quand à la fin de la journée vous croisez (miracle!) une jolie blonde, elle sort de 24h de garde à vue pour avoir dévalisé, avec une copine, les boutiques de frusques du centre commercial voisin. Tristes poupées du bout du monde éblouies par les paillettes.

    [PS private : dans les bars du bout du monde, on se fait aussi humilier aux fléchettes]

  • Petite ceinture et grandes poussettes

    eff4bbfff4d25ec2d4dd183a42f2ed17.jpgDe La Villette à Porte Maillot, le PC3 traverse le Grand Nord parisien. Populations mélangées, colorées, peu de petites vieilles en tailleur, pas mal de poussettes. Et une frontière invisible mais sensible – celle qui sépare l’Est populaire et l’Ouest bourgeois, et qui passe, en gros, entre la Porte Pouchet et la Porte de Clichy.
    Et ce matin, Porte Pouchet justement, les deux mondes qui se confrontent.
    Le bus est plein sans être bondé, une jeune mère, arabe, va pour descendre avec sa poussette, mais elle se heurte à une vieille bique septuagénaire, bien blanche. Tension silencieuse, la jeune femme finit par descendre, et la vieille carne qui regarde à la ronde, cherchant la complicité des voyageurs : "Non mais elle pourrait laisser monter, quand même !"
    Les voyageurs de toutes les couleurs regardent leurs pompes pour ne surtout montrer aucun signe d’acquiescement. Je reste silencieux comme les autres. En fait, je pense surtout à cette quadragénaire montée dans le sillage de la vieille. Sa fille, manifestement, elle arbore le même nez pincé. J’aimerais savoir si elle a honte de sa mère, s’il est possible de se dégager de quarante ans de bourgeoisie raciste, si l’époque peut vaincre petit à petit les déterminismes sociaux.

    Sur le trajet du retour, combat de poussettes à nouveau. Des bambins pleurent, on se frotte un peu, on s’organise, il reste un peu de place. Porte Pouchet une petite voix m’interpelle, c’est une gamine de huit ans, dix ans au plus – S’il vous plait monsieur, ma maman va monter avec mon petit frère dans sa poussette. Et avec le sourire on se pousse pour laisser monter la petite famille. Je comprends bientôt que la mère ne parle qu’arabe, que sa fille lui traduit les inscriptions sur la porte.
    Merci Monsieur, me dit-elle quand je descends porte de Clignancourt.
    Merci petite, ma journée a vraiment commencé avec toi. Que la vie te protège des vieilles biques et autres bâtons dans les roues du bus. Que la force douce soit avec toi.