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Cartes postales - Page 4

  • Ballet dominical (I want my Kate Moss)

    Jean taille basse, t-shirt et lunettes noires, démarche chaloupée, elle avançait seule vers la Porte. Dans sa main droite la baguette du dimanche matin ; dans l'autre (cherchez l'intrus) un petit arrosoir en plastique multicolore. Etonnante jeune mère. Je l'ai regardée marcher jusqu'à ce que je puisse lire l'inscription que portait son t-shirt.

    I WANT MY KATE MOSS

    Dix mètres en arrière marchait un type du même âge, bermuda et vieilles baskets, t-shirt informe, aucun slogan sur la poitrine sinon une tâche de sueur naissante. Ses deux gros sacs Franprix pesaient lourd au bout des bras.

    J'imaginais déjà leur vie de couple, quand le sherpa a tourné à gauche dans le Passage.
    Kate Moss, elle, a continué tout droit.

  • Hier encore,

    il faisait beau. Le long de la Seine, Paris ignorait superbement tous ces gens occupés à optimiser dans des bureaux climatisés. Il y en avait, pourtant.
    Un instant j'ai imaginé ce que pouvait penser un touriste sur le parvis de Notre Dame en voyant un jeune type déguisé en cadre flânant sur les quais en sifflotant après un déjeuner de travail. Avoir cette ville pour lui, ses monuments, ses arbres, son histoire et le reste, et tout ça chaque jour de la semaine, quand même, c'est dingue, il devait se dire.
    L'instant d'après, j'ai réalisé que le jeune type déguisé c'était moi.
    Allez, encore une semaine et j'en profite vraiment. Pendant ce temps-là, il peut bien pleuvoir une dernière fois.


    PS - vous étiez brune, habillée de noir et de blanc, je n'ai même pas eu le temps de voir si vous étiez vraiment jolie mais qu'importe : il était 20h30 environ, vous couriez vers la porte du stade Lumière entre les portes de Montreuil et de Bagnolet, vous joggiez en souriant, et à la main vous aviez, on ne peut pas se tromper, un pavé couleur chair NRF. Je vous ai aimée un demi-seconde, c'est un peu court mais c'était bon.

     

  • Small Torino

    Avant d'arriver à la Maison de Disques où travaille la jeunesse branchée, il y a un Passage.
    Pas le genre de nirvana bucolique où le flâneur hume la douce odeur de fleurs luxuriantes sous le regard suspicieux du copropriétaire de garde. Pas non plus le coupe-gorge abandonné qui sent la pisse de chien et le mauvais polar, cela dit. Dans le Passage qui mène de la Porte à la Maison, on trouve un squatt, quelques façades joliment retapées, une poubelle renversée, un arbuste un peu triste d'être tout seul et des rires qui s'échappent d'une fenêtre.

    Le Passage, c'est aussi le lieu idéal pour des collégiens, qui viennent fumer en cachette, engraisser McDo et taper la discute.
    Taper la discute et taper des gens, ce n'est pas pareil, mais quand les jeunes sont noirs comme des blousons, allez savoir, certains ne voient pas la différence.
    Ainsi cette jeune dame qui attendait tout à l'heure, à l'autre bout côté Porte. Avisant une bande-de-jeunes (six, au moins) au milieu du passage, elle attendait terrorisée, et décidait d'appeler la police la Maison de Disques pour savoir s'il n'y aurait pas par hasard un autre passage chemin.

    Peut-être m'a-t-elle pris pour un héros quand j'ai traversé le Passage. Non seulement je suis arrivé sain et sauf, mais aussi (d'où tiens-je donc cette aura chamanique ?), les Jeunes s'étaient poliment écartés pour me laisser passer, trois à gauche, trois à droite, j'ai failli leur demander de faire une ola.
    Tandis que j'arrivais à hauteur de la jeune dame blanche, une vieille femme noire à la mine renfrognée s'est engagée d'un pas résolu dans le Passage. Elle avait l'air d'une autochtone qui sait ce qu'elle fait et qu'on n'a pas intérêt à emmerder. Alors, lâchant son téléphone, Blanchette a pris son courage à deux mains et s'est engagée à son tour.
    Je n'ai pas vu la suite, le métro allait partir et une seconde de perd*... Bref.
    Aux dernières nouvelles, elle aurait réussi à passer.

    * on en reparle bientôt, tiens. Le temps que je.

     

  • La librairie de demain ?

    Vendredi 14 heures, Salon du livre. A côté des stands rutilants des livres électroniques, ce panneau alléchant  - police futuriste et gros caractères:

    "La librairie de dem@in"

    Je m'avance - enfin je vais savoir.

    A l'entrée du stand, un écran plat diffuse en boucle un programme mou; sur une table, une caisse enregistreuse futuriste, comme figée au moment où elle commençait à peine à cracher un ticket de caisse.
    Derrière s'étend un grand espace.

    Il est vide.

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    EDIT 18/3 - Toujours aussi vide hier soir, la librairie de dem@in. Sauf qu'un joli petit couple s'embrassait sur une des tables.
    Non loin de là sur une estrade un auteur professait que le travail sur la langue, il n'y a que ça de vrai.

  • Les cheveux en quatre

    Ce que j’aime le plus, chez mon coiffeur à 7 euros du boulevard Ornano, c’est qu’il coûte 7 euros qu’il ne coupe jamais les cheveux en quatre.
    En général il coupe en silence, branché sur Radio-Orient. Ou alors il coupe distraitement en discutant avec des amis qui passent leur journée dans la boutique, je capte quelques mots au passage, je pense à l’Egypte et hop c’est déjà fini.

    Hier, le patron n’était pas là, deux jeunes tenaient permanence. Sur Radio-Orient, le auditeurs appelaient pour parler de rien commenter l’élection d’Obama. Je sentais que mon jeune coiffeur lui aussi avait envie de parler, d’ailleurs il n’a pas tardé La France is back.jpgQu’est-ce qu’ils nous parlent du président des Etats-Unis alors qu’on a déjà tous ces problèmes ici, hein ?
    Engoncé dans ma petite serviette j’ai borborygmé en souriant.
    - T'as raison, a dit mon coiffeur. Karim, tu peux changer de station ? Non mais franchement, etc.
    Les accents maghrébins se sont tus, à la place on a eu droit à du R&B. Là, c’est sûr, le monde avançait plus vite. J’ai hésité à parler de la puissance de l’Empire, mais je n’avais aucune envie de débattre – et puis, au fond, j’étais assez d’accord avec lui : sur les médias qui nous emmerdent, sur les frais de représentation des ministères, sur les Guignols qui sont bons en ce moment, sur les gesticulations inutiles de Nicolas S. au Proche-Orient ("N’empêche qu’il y est allé, lui". Imparable.)

    - Et puis, t’as vu, on nous le montre en train de faire son jogging avec un T-shirt de la police américaine – c’est pas dingue, ça ?
    Encore une fois j’étais bien d’accord : cette fascination pour les Etats-Unis et l’Etat policier, et ce message sublimin...
    - Il pourrait quand même mettre un T-shirt de la police française. La France c'est quand même un grand pays, non ?
    Les bras m'en sont tombés mais sous la blouse il n'a rien vu. Je n’ai pas eu le cœur de lui dire non. Le silence qui a suivi était assez beau – la France du bistrot était là, pour sept euros, elle avait un accent prononcé et le tutoiement facile, il ne fallait pas gâcher ça.

    - A ce qu’il paraît, le froid va revenir, il a repris.
    J’ai laissé mon pourboire habituel et j’ai dit à bientôt.
    Boulevard Ornano, c'est vrai, il faisait beau.

  • Little Buda et la petite Pest

    szechenyi_bath_budapest.jpgAvant la carte postale, il y avait le cliché : celui des bains de Szechenyi. Le ciel est bleu, l’hiver est froid, et dehors, nus, deux papis hongrois jouent aux échecs dans une eau thermale à 38°. Une image tellement vue qu’on se demande si la vérité ne s’apprête pas à vous décevoir. Mais soyons patients…

    Ce qu’on ne voit pas sur le cliché, c’est l’énergie du sourire de la jeune Csilla qui m’avait accueilli à l’auberge. On ne voit pas non plus, sur la carte postale, ce balcon sur lequel avec elle je serais bien resté plus longtemps, et cette seconde d’hésitation dans laquelle s’était soudain engouffré le Monde extérieur qui nous rappelait à l’intérieur. La suite de la carte est illisible (du hongrois, sans doute), un graphologue avisé comprendrait cependant que le temps était doux sur Pest. Vers la fin de la phrase on comprend qu’une soirée se dessine, que Csilla, surprise, est revenue, mais que je décline la soirée qui s’annonce. Pour une fois que Roman n°2 me rappelait à l’ordre avec conviction je n’allais pas lui claquer le moleskine au nez. (je suis un bonze) Pas grave, le petit charme se transformerait en doux rêve puis en souvenir, c’est ça aussi les vacances.

    Mais il y a un PS, au bas de la carte.
    Il est 7 heures le lendemain matin et j’entends frapper à ma porte. Chez Murakami ce sont les rêves qui se pointent ainsi, mais ici c’était bien elle sur le palier. Une forte odeur de bière brune et de nuit blanche emplit la pièce, vite balayé par ces yeux qui vous entraîneraient au bout du jour, et ce sourire rien qu’à elle, la bouche à moitié fermée pour cacher une dent un peu gâtée. Derrière elle, Nick l’Australien et une autre hongroise, mais leur image est couverte par la voix hachée de Csilla, exaltée comme une gamine.
    - Bertrand, we’re going to the baths !
    - ?
    - We haven’t slept, I just came back to wake you up
    Elle commence à argumenter, je sens qu’elle pourrait ne pas s’arrêter.
    - ... I know you wanted to go and I thought…

    Réflexe. Mes mains sur ses épaules pour la faire taire en douceur.
    - Shh. I’m coming.

    C’est beau, les vacances.
    Et elle était belle, cette matiné aux Bains. Une heure plus tard, nous avions intégré le vieux cliché, tous ensemble à regarder une partie d’échecs au milieu des vapeurs d’eau dans le froid matinal. Quelques saunas plus tard il est déjà midi, et me voilà dehors à faire bronzette en csillante compagnie.
    A Paris, ce jour là, il faisait 6°.

    Voilà pourquoi j'aime bien n'envoyer les cartes postales qu’au retour. Je n’aurais pas voulu aiguiser votre jalousie. Maintenant j’écris ça en me caillant comme vous. Tous dans le même bain.
    Salut à toi Csilla, adorable petite peste.

     

  • Carte postale de Budapest

    Budapest.jpgA Vienne j’étais un Autrichien. A peine 250 km plus loin, je pourrais aussi bien être un Hongrois, hein, mais non. D’abord, on se sent moins chez soi quand la ville entière parle une langue impénétrable. Ensuite, le Danube s'est élargi, mon sourire aussi. Et dans la rue on ne m’interpelle plus pour demander son chemin, quand j'arrive quelque part on me salue en disant Hello! même quand je ne porte pas mon uniforme de touriste. 250 kilomètres.
    Merde, je dois vraiment être un Autrichien alors.

    En vignette de la carte postale : une petite rue tranquille, baignée par le soleil. Des salons de thé, des coiffeurs, des petites cours intérieures. Et puis soudain, une enseigne qui claque : Police Shop. A l’intérieur, des voitures de police miniature, des insignes, un mégaphone, des couteaux, des bombes lacrymo… Comme un indice de la ville qui échappe au touriste.
    Et puis, non loin, une librairie. (à suivre...)

     

  • Carte postale de Vienne (2)

    A Vienne, la Pute se consomme nature, lis-je.
    - Qu’appelez-vous Pute, au juste ? je demande à la jolie blonde qui s’amène vers moi avec une grande brune.
    - Ben… C’est une dinde, me dit-elle.

    Dix minutes plus tard, ma dinde arrive, énorme, savamment panée (curieuse conception de la nature), avec une triple portion de frites.
    Heureusement que la brune était bonne.

  • Carte postale de Vienne (1)

    A Paris il fait 5°, disait le journal, ici il en fait une petite vingtaine quand je sors du musée Léopold. Schiele, le Jugendstyl, Klimt et la Sécession, quelques bastons artistiques bien mises en scène – j’ai traversé le musée comme si tout ça s’était passé à Paris, au fond je me sens chez moi en Europe.
    Et une nouvelle fois je me dis qu’un jour il faudra que j’entreprenne un voyage projet à la Geert Mak – quand tu seras grand, petit (ou quand tu voudras le devenir).
    Dans le Burggarten, je me sens tout aussi chez moi. Vienne laisse peu de place au bordel mais c’est ici que sont nés certains des courants artistiques les plus créatifs. Ce serait pas mal que ce soit pareil dans ma tête, tiens.

    Quelques mètres plus tard je me retrouve place Albertine, le nez au vent, à deux pas de l’Office de tourisme. Un sexagénaire m’interpelle en allemand pour me demander leur chemin. Bizarre. Deux minutes plus tard, une jeune femme vient me demander où est la bibliothèque. En Allemand, elle aussi, comme si elle venait de Salzbourg et pensait qu’un vrai Viennois pourrait la sauver.
    Damned, je suis un Autrichien.