Or donc, entre deux Salons du livre, la petite colonie des zauteurs investissait jeudi les salons de la République – à l’hôtel Matignon, plus précisément, où François Fillon, de sa belle police de caractère, nous conviait à l’occasion de la Rentrée-littéraire(TM).
Matignon, donc : ses gardes à l’entrée, sa Déclaration des droits de l’homme joliment projetée sur la façade et ses gardes à l’intérieur qui rivalisaient en nombre avec les huissiers en livrée, assaillant les nouveaux arrivants à coup de Bonsoir monsieur, de Par ici, et de S’il vous plaît.
C’est sans doute à ces détails que les Etats affirment leur puissance – reste que quand on me dit pour la troisième fois "Par ici Monsieur s’il vous plaît" quand je ne peux qu’aller tout droit, l’envie de dire merci finit par s’émousser.
Contournant les huissiers, j’ai finalement rejoint la petite colonie rassemblée dans le grand salon du rez-de-chaussée, au centre duquel trônait le pupitre d’où le grand homme allait bientôt s’adresser à nous. En attendant, les cous se tendaient pour chercher du regard les copains et faire la bise aux copines, un peu partout on se demandait comment allaient les petites affaires et pourquoi diable on nous avait invités.
Cela, nous n’allions pas tarder à le savoir, car à peine arrivé François himself nous a lancé cette phrase historique :
"Pourquoi vous ai-je réunis ? Eh bien d’abord parce qu’on m’a dit que ce n’était pas un rituel."
(Pouvait-il y avoir meilleure raison ?)
Pour le reste, François nous a montré ses qualités de lecteur de discours – reconnaissons-le, on aurait presque dit qu’il l’avait lu avant. Peut-être même en avait-il donné les grandes lignes à son nègre, tant le fond a joliment balayé tous les passages obligés d’un discours aux zauteurs – de la spécificité de la civilisation de l’écrit aux effets de la dématérialisation en passant par la défense de la diversité et de la librairie indépendante. Sans oublier un peu de brosse à reluire pour les éditeurs et ces auteurs qui nous bousculent, qui nous transforment et dont les mots nous servent ou nous animent.
Vers la fin, il a annoncé que "Christine", sa ministre de la culture, lui avait fait des propositions et qu’il les accepterait, alors on a cru naïvement que Christine allait nous dire ce qu’il en était mais non, François a dit Merci tout le monde, les flashes ont crépité mollement, les fayots de la colo se sont approchés de lui pour être à côté sur la photo (ah, Boris B., hardi pourfendeur de trentenaires, tu m’a bien fait rire sur ce coup-là) pendant que nous autres nous dirigions tranquillement vers le buffet. Et là, disons-le, François avait bien fait les choses : il a beau être à la tête d’un Etat en situation de quasi-faillite, ça ne l’empêche pas de prévoir cinq fois trop de petits fours quand il reçoit des gens importants chez lui.
Et donc autour d’un champagne décadent on a revu des gens, on a salué de nouvelles têtes, on en a évité d’autres… Et puis, ce qui est bien, avec la colo des zauteurs, c’est qu’on peut côtoyer des écrivains qui nous bousculent, comme dirait François, de ceux dont les mots nous servent ou nos animent. Des gens qui tutoient l’universel, comme ces deux futurs Victor Hugo que j’entendais sur le perron deviser sur nos destinées humaines :
- Et toi, tu sors où ?
- Ah ouais t’as raison, le Machin c’est vraiment mort depuis janvier, le truc maintenant c’est le Bidule.
- Et sinon, tu défiles ?
- Et puis il y a le Chose – en ce moment c’est le truc où faut aller, j’te jure, ça sent vraiment le cul là bas.
Ailleurs ceux qui nous transforment parlaient de chiffres de ventes, mais finalement c’était un début de soirée joliment absurde, les zauteurs étaient là sans les monos, on a déconné un peu avec les copains, il n’y avait que les huissiers pour nous surveiller mais comme ils étaient drôles on a joué à leur obéir et puis hop, on est partis sagement sans trop penser à la République.
François, lui, était déjà loin, notre avenir aussi.
Ah oui vraiment, il avait bien fait de nous inviter, on avait bien fait de venir.