Ah ! On aimerait trouver les bons mots pour parler des bons livres, de Jérôme Ferrari ou de Patrick Goujon, et puis…
… Et puis on tombe sur "L’Enquête", de Philippe Claudel.
De Claudel, j’avais retenu la finesse d’écriture des Ames grises – un texte lent mais qui vous enveloppait, un texte d’atmosphère qui le temps de la lecture transportait ailleurs.
Je n’avais rien lu de lui depuis, mais l’envie de temps en temps me titillait. Entre temps, le Grantauteur s’était mis au cinéma ; les bandes annonces de ses deux films étaient désespérantes, mais après tout ce n’était pas bien grave.
Alors quand l’autre jour je suis tombé sur L’Enquête, j’ai voulu voir. Si la magie du texte fonctionnait encore, après la gloire, après l’image. Certes, le sujet était casse-gueule (l’Entreprise, et les suicides corporate), mais pourtant j’ai ouvert le livre plutôt confiant.
Ha !
Les deux premières pages étaient conformes à mes souvenirs de l’auteur, puis page 3 une sorte de gag maladroit m’a mis la puce à l’oreille : visiblement l’auteur avait quelque chose à nous dire. Danger !
Certes, il pouvait encore le dire bien. Avec style – c’est à dire avec un style qui ne se fasse pas remarquer. La finesse des Ames grises me laissait un espoir. Las ! Je vous épargne les détails, de toute façon vous n’avez pas lu L’Enquête et ne le lirez pas (ou alors, parlons-en).
Claudel a choisi pour son sujet de jouer la carte de l’absurde, mais avec la finesse d’un éléphant. "Entre Kafka et Aldous Huxley", écrit Le Point. Ah ? Sans aller jusqu’à réveiller les classiques, il existe pourtant d’excellents exemples d’absurde contemporain – le Martin Page de Comment je suis devenu stupide ou de La difficulté d’être soi, le Benoît Duteurtre de Service clientèle et de La petite fille et la cigarette… Mais peut-être Claudel n’a-t-il pas eu le temps de les lire.
Dans la première partie, le moindre petit élément comique est souligné par une remarque candide l’Enquêteur (tous les personnages sont ainsi nommés, avec une majuscule, pour souligner délicatement leur côté Universel), l’histoire sans cesse se commente elle-même, les ficelles ont la taille de câbles de fibre optique, quant aux métaphores…
La narration elle-même est bâclée, comme s’il s’agissait moins de créer une atmosphère par les mots que de jeter sur le papier les intentions pour un film à venir – là on imaginerait un décor comme ça, le garde ressemblerait à ça, pour cette scène insister sur la bouche des personnages.
Bref : Claudel fait son cinéma.
J’admets, c'est un procès d’intention. Le cinéma n’explique peut-être pas tout, me disais-je en attaquant la deuxième partie. Mais devant ce florilège de maladresses, devant ce foutage de gueule manifeste, j’ai pensé que Claudel pouvait être victime du syndrôme Eric-Emmanuel Schmitt.
Le syndrôme Eric-Emmanuel Schmitt, en un mot, c’est sa propre vessie que l’auteur prend pour une lanterne.
Nous autres simples mortels avons tous connu ça : une idée qui paraît séduisante au premier abord, on pourrait illico acheter un aller simple pour l’Espagne pour aller y construire des châteaux, sauf qu’après une nuit de sommeil on se rend compte que l’Idée Géniale ne pisse pas très loin.
Eric-Emmanuel, lui, ne s’embarrasse pas de nuits de réflexion. Quand il a une idée, il la trouve géniale, et hop! il avance. Au pire le livre ne fera que 120 pages, mais qui s’en soucie ? De toute façon pas le temps de relire, hein, l’éditeur a déjà programmé le livre et il attend le texte, de toute façon il se vendra par cartons entiers, pourquoi s’emmerder ?
J’exagère. Evidemment.
Si ça se trouve, Philippe Claudel a simplement voulu tenter un truc, et il n’a pas réussi. Ça aussi, on connaît tous.
Peut-être même s’est-il rendu compte qu’il allait dans le mur (page 203, son personnage fonce littéralement dans un mur ; c’était peut-être un avertissement au lecteur). Mais Stock avait déjà promis son Claudel pour septembre, pas de marche arrière possible…
***
J’avais écrit ça après la première partie du livre. La deuxième commence mieux mais s’achève dans une bouillie métaphysique que je n’ai pas pu suivre. Quant à la fameuse Enquête, ben… l’auteur s’en foutait encore plus que son personnage, apparemment.
"Claudel donne l’impression d’avoir relu Le Procès à la lettre, d’avoir mal compris les didascalies de Beckett et faussement interprété Ionesco", écrit Assouline qui vient de me rassurer (j’ai lu sur L’Enquête des critiques positives de gens pourtant censés).
Brisons-là. Veuillez pardonner ce mouvement d'humeur, ça va déjà mieux. La prochaine fois, promis, si je parle d’un livre, ce sera d’un bon.