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Second Flore - Page 68

  • La table du Salon

    Souvenirs de Salon du livre à Paris : des auteurs inconnus, attablés seuls derrière une pile de livre, la mine fatiguée et le crayon tout triste de ne signer aucune dédicace. Et l’on n’ose pas aller les voir, ces auteurs - d’abord parce qu’ils font la gueule, ensuite parce qu’au moindre échange on se sentirait obligés de l’acheter, leur livre, et que bon.
    Heureusement, j’ai connu quelques jolies exceptions.

    Je dis « heureusement », parce que ce week-end, ce sera mon tour d’être derrière la table, au salon du Mans. Au moins je sais à quoi m’attendre, on tentera de casser les codes et de s’amuser un peu.
    Reste à savoir qui le Grand Organisateur m’attribuera comme voisins – la rentrée littéraire est un peu comme une rentrée des classes, on espère avoir avec soi quelques cancres, éviter les premiers de la classe et choper les redoublants déconneurs plutôt que les blasés. On verra bien.

    L’autre grande nouveauté de ce week-end, ce sera la participation à une « table ronde » - si j’ai bien compris, une sorte d'amphi où on pourrait refaire le monde sauf qu’on préfère tourner en rond que monter sur les tables.
    Comme on ne refuse pas des expériences quand elles sont joliment demandées, j’ai donc accepté de participer à une table ronde sur le sujet suivant :

    Existe-t-il une littérature trentenaire ?

    Heu…
    Je veux bien que "les trentenaires" soit une espèce nouvelle, un sujet d’étude – d’études marketing, surtout, parce que vous remarquerez, quand on évoque "les trentenaires" dans la presse, on ne les voit jamais que urbains, plutôt aisés et célibataires et fuyant leur peur des responsabilités dans une consommation effrénée – en résumé (tiens donc!) : la cible préférée des publicitaires.

    Est-ce que cela fait une littérature ? Evidemment, non. Depuis quelques années j’en ai lu, des livres de trentenaires, et outre qu’on s’en fout un peu je serais bien en peine de dégager des points communs. Tant mieux, d’ailleurs.
    Allez, un point commun, peut-être : un souffle court, parce que ce n’est pas notre génération bien sage qui inventera un nouveau monde, mais celle qui vient, là maintenant. Mais là encore, ça ne définit rien.

    Bref, face à l’évidence je suis un peu en manque d’arguments. Des pirouettes, j'en ai plein, je pourrais aussi mettre les pieds dans le plat mais voilà, je suis un garçon bien élevé, on m'a toujours dit qu'il fallait bien se tenir à table.
    Alors si vous voulez bien m’aider – juste d’une petite piste, m’sieurs dames, vous me permettrez peut-être d’éviter une connerie, par exemple demander à l’une des participantes (dont j’ai appris incidemment qu’elle était née en 1965) si elle écrit différemment depuis qu’elle a passé la quarantaine…

    En attendant, je vais réviser ce livre – Les générations mutantes. Parce que littérature ou pas, le prochain 68, mes amis, c’est dans moins de 10 ans.
    A table !

     

  • A la recherche de l’Idée géniale

    Il est des films ou des livres dont le point de départ est une idée si simple et si géniale qu’on aurait rêvé de l’avoir eue nous-mêmes.
    Au cinéma (je pense notamment au Truman show et Bienvenue à Ed TV qui préfiguraient la télé-réalité), ces films sont souvent décevants au final – comme si, tout heureux de leur trouvaille, les scénaristes s’étaient contentés de tirer vaguement quelques fils pour boucler en vitesse.
    Et en littérature… J’ai beau me creuser la cervelle amollie par la fièvre, je ne trouve pas d’exemple. Il faudrait aller chercher du côté de la SF, peut-être, mais ma culture est limitée. Je ne trouve pas d’exemples, sauf un, récent : Les actifs corporels, de Bernard Mourad.

    baead8a0d52f75f7ffc7a5eee60dbc36.jpgL’idée de départ est simplissime : imaginons que demain les personnes physiques aient le droit de se coter en bourse. Voilà, juste ça. Suivons ensuite les traces d’Alex Guyot, premier homme à se constituer en Société-Personne.
    Des premiers rendez-vous en banque d’affaires pour déterminer un "noyau dur" d'actionnaires (question cruciale : quelle part de la société donner à la mère d’Alexandre ?) aux tentatives d’OPA par une collègue jalouse, l’auteur tire habilement tous les fils de son histoire sans jamais en faire trop. Sobre, inventif, efficace.

    J’y repense souvent, à ce livre. D’abord parce que je me souviens de l’histoire dans son entier (pas si fréquent). Ensuite parce je sais que c’est précieux, une idée de roman, une vraie. Pour ma part je n’en ai pas eu une seule depuis que j’ai commencé Hors jeu, heureusement que j’en avais en stock.
    Et depuis quelques semaines, une nouvelle raison d’y songer : Les actifs corporels vient de sortir en poche.
    Prenez cette info comme un délit d’initié.

  • Interpellation

    Dans le bruit de fond de propagande qui nous entoure, la sagesse a souvent du mal à se faire entendre.
    Mais les paroles sages sont endurantes, elles ne perdent pas de leur force dès qu’apparaît un nouveau jeu ou un bout de pain tendance, elles prennent du recul pour mieux nous sauter au visage.

    Cette interview a été réalisée en 2005 – mais ne serait-ce l’évocation, vers la fin, d’un ancien ministre de l’intérieur appelé depuis à d’autres fonctions, on jurerait qu’elle date d’hier.

    Qu’y trouve-t-on dans cette interview ? Un ancien officier de police qui raconte, tranquillement, la politique de chiffre (celle qui rend plus "rentable" de traquer les sans-papiers ou les fumeurs de shit), les "chasseurs" des BAC ou les rapports police-justice (ah, hier soir, Rachida Dati à Cardiff, au garde-à-vous derrière son président...).
    Et en filigrane, le portrait d’un système inhumain où les petits soldats du quotidien prennent la relève des citoyens et chassent la statistique au nom du résultat et du toujours plus.

    Pas de "dénonciation" ici, juste des faits – du concret non-anecdotique. Et ça fait du bien.
    Parce que les oppositions médiatiques à coups de petites phrases et de grandes envolées me scient les nerfs tant elles sont contre-productives (répétera-t-on jamais assez que l’anti-sarkozysme est aussi con qu’en son temps l’anti-lepénisme ?).
    Et parce qu’aujourd’hui pour dénoncer il suffit souvent simplement de décrire.

  • Liberté d'entreprendre

    b4c81fc4201bd5ab2fd871c7d24fadf5.jpgTss, tss !
    Je croyais que c’était le code des petits dealers à la manque, mais apparemment c’est une sorte de code universel, quand on n’a pas les mots il reste la langue, pour siffler entre ses dents.
    Tss, tss, Mademoiselle !
    Evidemment, les filles ne se retournent pas. Souvent elles se crispent, pressent le pas.
    Tss, tss, Mademoiselle, siouplaît !
    C’est la version urbaine du marketing téléphonique – ça ne marche qu’une fois sur cent, alors faut compenser par du volume. On ne sait jamais, d
    es fois qu’il y en ait une qui. (il doit bien circuler des légendes parmi ces pauvres types – ou alors le marketing télé-faux-nique les films porno suffisent)
    Tss, tss, Mademoiselle, t’es belle !
    Parfois, il y a un effort louable – parfois même la demoiselle se retourne, mais jamais longtemps ; au mieux le type a le temps de demander du feu. Pour la flamme, il peut toujours se brosser.
    Tss tss !
    Il y a aussi ce double claquement de langue, comme un beauf appelle son chien.
    ClcClc !
    Souvent il y a des baffes qui se perdent.
    La liberté d’entreprendre a ses limites.

    C’est peut-être une idée, je me disais, pour les professeurs de français : montrer aux gars qu’apprendre des mots, des vrais, ça peut être utile pour draguer les nanas.

    --------- (Edit, vend. soir)

    Cela dit, les mots ne sont pas tout.

    C’était la semaine dernière, ligne 4.
    Le terminus approche, le wagon se vide. A côté de moi une jeune femme triture nonchalamment son baladeur mp3. Face à nous, deux jeunes gars qui partagent la même couleur de peau mais pas celle du regard : l’un est éteint, obtus, l’autre brille intense, vivant.
    Depuis quelques instants il lorgne de plus en plus ostensiblement vers ma voisine. Elle a relevé la tête plusieurs fois, il n’a pas baissé les yeux. Des ondes s’échangent dans la rame mais je n’ai pas la bonne fréquence. Puis le gars fait un signe de la tête, un petit signe sec et sûr de lui, et je sens bien que la scène bascule. Mais alors que je commençais à peine à capter, l’émission s’interrompt soudain. Des ondes interfèrent, un portable sonne – c’est celui du mec. Il répond. Avec mes codes étriqués, ce serait la fin de l'histoire, mais...
    Bientôt le conducteur annonce le terminus. Je me lève, la fille aussi mais je la sens qui hésite. Elle ose un regard vers le type, sans quitter son portable il lui fait un nouveau signe de tête, puis se tourne vers son pote lieutenant… Puis tout va très vite : l'autre se lève, salue la fille maladroitement et lui prend son numéro de portable. Echange de sourires gênés, elle donne son prénom, regarde une dernière fois le type au portable et s’enfuit dans les escaliers.
    Quelques instants plus tard le type raccroche, l'autre lui livre ses infos, il note. Je n’ai toujours pas entendu sa voix mais la suite de l’histoire lui appartient.

    C’est bien ce qu'on me disait : les vrais caïds restent muets.

  • Mulholland Drive

    (Note pour un-jour-qui-sait...)

    Pour un téléfilm, prendre des stéréotypes 

    Pour un film de consommation courante, créer des personnages 

    Pour un film d'art et essai, introduire des symboles

    Pour un chef d'oeuvre, travailler ces symboles comme des personnages.

  • Plus vite, plus haut, moins Flore

    Et voilà. On a beau se foutre des prix littéraires, cette année quand même je savais que je ne pourrais pas m’empêcher de suivre du coin de l’œil les sélections du prix de Flore. Mais la sélection s’est faite à l’abri des regards... Et bon, hein.

    Déception ? Bah, un chouia, on ne va pas se mentir, même si tout cela est parfaitement cohérent avec la fin prémonitoire de "La faune on the Flore"… Disons surtout qu’on a perdu une bonne occasion de rigoler. Et puis ça aurait été gênant, de se retrouver sur cette liste sans avoir rien fait pour : on aurait été obligé de espérer un peu et là, forcément, on aurait été déçu. M’enfin...
    Déception surtout pour l’ami Jestaire, avec son Tourville qui sort vraiment de l’ordinaire je pensais que même sans connaître le jury il avait ses chances.

    En fait, c’est étrange - comme une page qui se tourne alors qu’on avait arrêté de lire depuis longtemps. Une blague lancée en 2004 vient de trouver sa chute - je l'avais laissé me dépasser, la voilà derrière moi. Tant mieux.
    … N’empêche que me voilà comme l’an dernier avec un nom de blog à la con qui ne veut plus dire grand'chose.
    Il va falloir prendre quelques décisions, ouvrir une nouvelle page. Un nouveau livre, plutôt. On s’y mettra courant octobre, tranquillement.
    Vite, sans doute pas. Haut, on verra. Moins Flore, mais plus fort. 

    A suivre.

  • Marisha et moi, au petit matin

    481030280b5b9f19d0dde66aacb7eb83.gif… et soudain, page 369, Marisha Pessl entame un nouveau chapitre par cette ligne :
    « J’en viens au moment décisif de mon récit. »
    (sic)
    Voilà donc le roman étranger dont on parle le plus en cette petite Rentrée Littéraire™.
    La physique des catastrophes est une parfaite illustration de la théorie du crédit-pages, en vérité. Et de la supériorité du bouche-à-oreilles sur le bruit médiatique. Car sans la chaleureuse recommandation de Lidell au goût si sûr, j’aurais certainement refermé le livre au bout de 40 pages d’une écriture très appliquée, 40 pages où il ne se passe rien mais où aucun détail ne nous est épargné. Mais j’ai poursuivi, opiniâtre à défaut d’avoir une opinion…

    Page 150 j’ai failli craquer, vaincu par l’ennui et l’abus de parenthèses (loin des parenthèses buissonnières de Jaenada, pleines de vie, M. Pessl a la parenthèse fayote, une parenthèse de première de classe qui ne peut pas s’empêcher de lever le doigt (France 1, USA 0), faut-il que nous soyons devenus petits, me disais-je hier, pour appeler génie la starlette d’une classe de creative writing sous prétexte qu’elle a traversé l’Atlantique auréolée d’une médaille). J’aurais largué miss Pessl sans le moindre remords, donc, si Caroline ne m’avait pas promis une fin de roman mémorable.
    Alors j’ai sauté des paragraphes, allègrement, en attendant un peu de légèreté qui ferait décoller le livre.

    Jusqu’à cette nuit. Réveillé vers 3 heures, j’ai tendu le bras vers Marisha. Deux digressions pseudo-savantes auraient vite raison de l’insomnie naissante, pensais-je.
    Qu’avais-je fait ! Soudain vers la page 300 le livre largue ses amarres. L'ado intello se laisse enfin adopter par un groupe de jeunes cools, une prof de cinéma les fascine et nourrit leurs fantasmes, la prof meure et l’héroïne mène l’enquête. Intrigues. Rebondissements. Doubles sens. Bal de fin d’année. Découvertes. Envolées. Il n’en faut pas plus quand c’est bien mené.

    Et nous voilà donc, Marisha et moi, dans mon lit, frénétiquement, seuls au monde dans le fascinant silence de la nuit. Nous sommes restés scotchés ensemble jusqu’au petit matin, pris dans l’histoire je lisais jusqu’aux parenthèses qui se faisaient plus rares, plusieurs fois j’ai failli m’excuser de l’avoir si mal jugée au début de notre relation…
    … Mais lorsque pointe le jour la nature revient au galop. Marisha m’a laissé en plan page 600 en retrouvant son petit ton pincé d’élève modèle, comme si elle me quittait pour aller en cours alors que je rêvais d’école buissonnière.

    Forcément, je lui en veux un peu. Marisha Pessl est énervante comme une première de la classe qui en plus serait jolie et bonne en sport. On l’aime bien, mais à chaque bon point délivré par les critiques profs on a envie de vider notre cartouche d’encre sur sa robe à smocks.
    A la prochaine récré j’irai plutôt jouer avec Zadie Smith, na.

  • Je suis une star

    Dans mes fantasmes d'ado, une star c'était avant tout un mec hyper-cool qui vivait dans des chambres d'hôtel et aux pieds duquel les jolies filles déposaient leur libido débridée.
    Je n’ai pas mis longtemps à comprendre que la star avait aussi un chez-soi, que les jolies filles n’étaient pas les seules à l’arrêter dans la rue et qu’elle ne pouvait plus se permettre de faire ses courses sans être très gentille avec tous les commerçants du quartier, sous peine de voir enfler les rumeurs, genre "Machin il a vraiment pris le melon."
    Bref, j’ai compris assez vite que le fantasme de la star, c’est d’être incognito.

    Donc, jusqu’ici, je vis un fantasme de star, tranquillement incognito, je dis bonjour à la dame et elle m’oublie aussitôt. La belle vie, quoi. C’est l’intérêt aussi d’écrire des livres – même en cas de petit succès, on ne risque pas de me reconnaître dans la rue… Sauf, peut-être, dans ma librairie de quartier.
    Comme j’avais décidé de ne plus entrer dans une librairie après la sortie du livre (pour avoir une petite idée de pourquoi, voir ce joli blog de libraire), j’étais plutôt à l’abri. Sauf que ce genre de résolutions n’a qu’un temps, surtout quand on a très envie de lire la suite du Photographe… Et qu’un ami à l’étranger me demande de lui envoyer Hors jeu – comme si j’en avais encore, moi, des livres.

    Or donc, hier, me voilà en route vers ma librairie de quartier.
    Pas de tension particulière – c’est une librairie bien, ils ont toujours les livres du Dilettante. Il est là, en effet, un peu planqué mais en double. Je prends ma BD, mes deux exemplaires et me dirige vers la caisse.
    « Vous avez une carte de fidélité ? » me demande le vendeur.
    Et là, pavlov, je dis Oui.
    - A quel nom ?
    Moment crucial. Le livre est là devant lui, bien rouge avec mon nom en gros blanc sur la couverture. Vais-je prendre le risque d'être démasqué ? Je sais bien que ça ne peut pas faire de mal que "mon" libraire sache que l’auteur de ce petit livre rouge habite à côté de chez lui, mais voilà, irrationnel ou débile vous me direz, je préfère rester incognito. Et puis bon, ce n'est pas le libraire, là.
    J’ai une seconde pour décider. Je regarde le type, il a l'air un peu ailleurs, une intuition me traverse et je me lance. Par jeu.
    Je donne mon nom, je le vois qui consciencieusement tape sur son clavier, il me demande mon prénom, regarde l'écran... Et là, son visage s’anime.
    « Ah ça dites-donc, c’est dingue !
    - Quoi donc ?
    - Normalement votre carte aurait dû se déclencher aujourd’hui. Je ne sais pas ce qui se passe… Vous nous préciserez bien, la prochaine fois, ça vous fera une remise de quinze euros. Bonne journée. »

    Et voilà le travail.
    Maintenant c’est sûr, je suis une star.

    (Bon, du coup les filles ne déposent pas non plus à mes pieds leur libido débridée, mais pour ça il doit bien y avoir d’autres moyens.)