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Second Flore - Page 69

  • Les habits Bleus de l'Empereur (3)

    b5a837d9d4d79d1622de24a6e94bbb38.jpgAprès le coup de griffe des pumas la Propagande se fit donc plus discrète.
    Il y eut bien quelques gazettes antipatriotiques pour souligner combien la défaite fragilisait l’Empereur et son généralissime, mais le pouvoir ne s’en émut guère. Le prix du pain augmentait, certes, mais il restait des jeux en stock.
    Et si sur les murs de la Ville le mécène officiel de l’Armée Bleue clamait encore Aux armes citoyens!, les journaux officiels ne se firent pas prier pour ramener l’événement à une dimension plus sportive. On fit donc donner l’arsenal lénifiant du sportif professionnel, rappelant qu’il fallait désormais prendre les batailles les unes après les autres, qu’on allait continuer à travailler et que le travail finirait par payer, et que tant que la cabane ne tombait pas sur le chien celui-ci pouvait encore mordre autre chose que la poussière.

    Le mercredi, M. de Laporte annonça qu’il ferait donner l’armée de réserve pour vaincre la Namibie. La décision était forte et on l’en félicita. Car si un Nambien valait mieux que deux potes au feu, on allait bien voir qu…

    Allez, stop. Pause, en tout cas. 
    Il y aurait tant à dire sur TF1, le Prince et consorts, mais de ce France-Namibie je garde une autre image. Une vraie, pas une téléguidée.

    En rentrant chez moi, après le match, je croise deux Arabes (je dis ça parce que la précision est importante pour l’histoire, hein, en réalité je croise juste deux types). Ils ont une bonne vingtaine, ils ont un coup dans le nez et s'en mettent d'autres dans les côtes en riant. Soudain l’un pousse l’autre, je fais un écart pour l’éviter, comme un ailier de rugby, mes chaussures sans crampons crissent contre l’asphalte. « Excusez-nous » dit l’un des gars, et dans sa voix il n’y a pas que de la politesse, il y a une sincérité qui me demande de ne pas tout confondre. D’ailleurs il en rajoute – « Et vive la France ! »
    Je me souviens, j’avais déjà entendu ça après le France-Brésil de 2006. Une dizaine de mètres nous séparent maintenant mais le type se retourne encore.
    « Vous avez vu, on a battu la Namibie !
    On se quittera en se souhaitant bonne soirée, contents qu’elle ait lieu, cette Coupe du monde.
    Allez les Bleus.

  • Les habits Bleus de l'Empereur (2)

    29f88588831cb45bb5fa9415ef99dd7a.jpgEnfin vint le jour de la première bataille. On avait prévenu le peuple que les Pumas argentins étaient dangereux, mais le peuple était confiant comme l’était notre armée.
    A la Télévision, M. de Laporte promu Généralissime s’adressa au pays pour lui demander de porter l’uniforme bleu en signe de soutien. L’Empereur lui-même fit une allocution, annonçant qu’il s’associait à la future victoire des Bleus.
    A quelques heures du coup d’envoi, on fit lire à nos vaillants soldats cette lettre de Guy Moquet qui émouvait tant l’Empereur. Ce n’était plus seulement la France de 2007, mais la France éternelle, rebelle et si belle, toute drapée de bleu, qui accompagnait désormais nos bourrins sans génie dépassés par l’enjeu. 

    Ah, qu’elle fut belle cette Marseillaise au Stade de France. Qu’elles furent émouvantes, ces larmes qui perlaient aux yeux de nos colosses !
    M. Gilardi, chef du service de propagande, ne manqua pas de souligner la belle image – et de souligner au peuple massé devant la Télévision que cette émotion serait transformée en énergie brute sitôt le coup d’envoi donné. On allait voir ce qu’on allait voir, enfin !
    Et on vit. Très vite. D’erreurs en maladresses, de coups de pied manqués en ballons perdus, nos grognards fébriles ployaient et les Pumas concentrés buvaient du petit lait. Ce n’est qu’un mauvais début, assura M. Gilardi. Gardez confiance, le Génie français ne va pas tarder à s’exprimer !

    A la mi-temps, les publicitaires (pour la France, versez votre or) permirent au bon peuple de France de revoir enfin ses valeureux guerriers dans des postures avantageuses, glorifiant ce fameux "esprit rugby" dont on faisait des gorges chaudes dans les casernes et qui désormais faisait vendre des assurances ou des shampoings anti-pelliculaires.

    Dès la reprise, la charge de la Propagande fut héroïque.
    On nous assura que le Général en chef avait su trouver les mots pour raviver ses gaillards. On nous montra dans les tribunes l’Empereur (sans l’impératrice) levant le pouce, on consulta quelques vieilles gloires qui nous assurèrent avec l’accent du gigantesque potentiel de cette équipe de France…

    Oh les beaux Bleus ! s’enflammait M. Gilardi à chaque cocotte de nos jeunes coqs. A plusieurs reprises on appela sur le bord du terrain un con sultan qui nous assura que les Argentins montraient des signes de fatigue. Lorsque le grand Chabal entra sur le terrain, nos reporters de guerre ne se sentirent plus, c’était reparti, à XV comme en 14, Verdun ici Verdun, la relève arrive, l’ennemi recule !!
    A écouter les reporters de guerre, un aveugle aurait pu croire que notre supériorité était écrasante et large notre victoire. Mais quand l’arbitre siffla la fin du match, quelle surprise ! Notre armée était en déroute.

    Pendant une semaine on n’entendit plus l’Empereur. Pour soutenir le moral du pays on fait donner la cavalerie légère et Cécile de Ménibus, passionnée de rugby, nous affirma droit dans les yeux qu’elle avait confiance dans le talent des Bleus.
    Ouf.

    (à suivre...) 

  • Les habits Bleus de l'Empereur (1)

    c8365a98f0acbb6c4f065bbfaf483366.jpgDepuis que l’Empereur s’était hissé sur le trône le temps s’était couvert. Il avait beau couvrir d’or les contribuables les plus puissants, les gazettes avaient beau chanter ses louanges, rien n’y faisait : le ciel n’était plus bleu.
    «Qu’à cela ne tienne, annonça l’Empereur, qui dans sa fatuité aimait défier les dieux. Je prendrai dans mon gouvernement le chef des Bleus.» Aussi promit-il à M. de Laporte, homme d’armée et d’affaires-play, de le faire ministre dès qu’il aurait, à la tête de ces Bleus qu’on disait affûtés, achevé le Grand tournoi mondial. 

    Or il se trouva qu’en cette année le Grand tournoi se déroulait sur nos terres. La Télévision s’était bien sûr emparée de l’événement, promu tête de gondole du Grand Supermarché. Et puisque l’Empereur avait placé l’année sous le signe de l’Identité nationale, il fut dit que l’événement serait plus que populaire. Il serait patriotique.

    Alors la Télévision commença à forger des héros : M. de Laporte bien sûr, mais aussi M. Ibanez, le capitaine valeureux, et M. Chabal, l’homme aux muscles chevelus dont la légende racontait qu’il découpait les mâchoires de ses adversaires à coups de menton, et devant lequel on décida que les femmes du pays tomberaient en pâmoison.
    (Quant au petit Michalak, à la bouille si sympathique mais qui avait naguère failli contre l’ennemi anglais, on le tint sagement en réserve de l’Empire. On saurait bien le ressortir au moment opportun)

    Pendant deux mois, des reportages firent monter les Bleus en neige tandis que notre armée, retranchée dans son camp de Marcoussis, préparait son plan de bataille. L’Empereur fit une visite, ainsi que sa favorite, nommée ministre de la Justice, qui partagea, quoi de plus normal? un déjeuner avec les guerriers, car Juste serait notre victoire.

    Nos Bleus allaient donc vaincre au nom de l’Empereur, portés par la France entière, son petit peuple et ses grandes entreprises, entraînant un grand vent de confiance des consommateurs et un rayon de soleil sur les comptes de la Nation.
    Telle était la légende que la Télévision était décidée à nous conter.

    (à suivre...) 

  • Merde, je connais un mec...

    Parce qu'un lecteur averti en vaut bien deux...

    Quand j'ai commencé à écrire des nouvelles, je les ai d'abord gardées pour moi. Il a fallu deux ans pour que j'ose les faire lire (quand on me le demandait). Et deux mois à peine pour me rendre à quel point le cadeau est empoisonné. Parce que si l'ami destinataire se sent obligé d'émettre un jugement, évidement il n'est pas obligé d'aimer. Parfois même au bout de quelques lignes il n'a déjà plus envie de lire...  

    D'où certains longs silences, du temps des premières nouvelles, et moi qui n'osais pas rappeler pour ne pas faire le-type-qui-appelle-pour-savoir-ce-que-t'en-as-pensé...

    D'où, finalement, cet avertissement (à encadrer) que j'avais imaginé pour la soirée d'hier :

    Merde, je connais un mec qui a écrit un livre
    (mode d'emploi) 

    1. Vous n’avez pas acheté / pas lu le livre…
    … Alors venez. Plus on s’en fout, plus on rit.
    On parlera d’autre chose, on trinquera – on fera comme avant, en somme.

    2. Vous avez lu mais vous n’avez pas vraiment aimé…
    … Je connais, c’est embarrassant. Alors venez, pour vite vous débarrasser de ce poids.
    Deux possibilités : vous pouvez tranquillement faire semblant d’être dans le cas 1, ou choisir l’honnêteté (ça paie toujours) et me dire ce que vous n’avez pas aimé. Puis on trinquera et on parlera d’autre chose – juste comme avant, en somme.

    3. Vous avez lu et vous avez aimé
    … Oui, vous pouvez le dire. Et pour trouver les mots, un seul conseil : ne pas les chercher. Vous me verrez sourire, rougir un peu et puis vite on trinquera et on parlera d’autr… Enfin vous voyez, quoi.

    A bientôt !

  • Ceci est une invitation

    La rentrée des classes est passée, désormais le temps est aux interros et aux notes dans le carnet de correspondance (dans le milieu, ils appellent ça interviews et critiques, mais ils ne trompent personne)… Mais on le sait bien : le plus important, à l’école, c’est la récré !

    Et donc…

    Le petit Hors jeu et son papa vous convient à fêter ça
    Mardi 11 septembre à La Gouttière
    (96 avenue Parmentier – M° Parmentier ou Oberkampf)
    à partir de 18h

    Ce ne sera pas un genre cocktail littéraire avec champagne et petits fours. Pas non plus une soirée tournant (en rond) autour du livre, non. Juste une occasion de se retrouver autour d’un demi ou d’un mojito (ou de plusieurs).
    Et surtout, ça se passera à la Gouttière. La Gouttière, en plus d’être un lieu plein de vie, c’est le bar où se terminait La Faune on the Flore. C’est dire si le lieu s’imposait.

    Passez quand vous voulez (mais venez tôt si possible), nous inventerons la soirée en direct…
    Pour ma part j’y serai à partir de 18 heures – vous me reconnaîtrez facilement : j’aurai un verre à la main, un stylo dans l’autre, une dédicace en tête et un sourire aux lèvres.

    A bientôt !

  • Mon chien Stupide (Fante, mode d'emploi)

    5fd2ece4260001e99fea5230c933a42b.jpgDeux fois hier on m’a regardé avec un œil pétillant - Ah, tu lis Fante ?
    Eh oui. Enfin.
    On me l’avait conseillé plusieurs fois, ce livre. Mais allez savoir pourquoi, je m’en étais fait l’idée d’un livre ennuyeux. La photo de la couverture, sans doute, belle mais tellement statique, enfermée dans les seventies – un livre à pattes d’eph, en somme, un livre diesel aussi dans lequel on mettrait du temps à s’installer.
    Evidemment, c’était très con.

    La semaine dernière, donc, je l’ai retrouvé sur une étagère de bibliothèque, j’ai revu le pétillant dans les yeux de son propriétaire, et j’ai fini par l’ouvrir. Presque à reculons. Et pourtant. Il suffisait de tourner cette couverture et de lire la première page pour avoir envie de lire la deuxième, puis le chapitre, puis…
    Fante a un don étonnant pour nous embarquer sans nous prendre par la main, juste une histoire qu’on suit pas à pas, et de la profondeur sans y toucher.

    Quelle histoire, demandez-vous ? Mais on s’en fout, de l’histoire… L’important c’est qu’il y en ait une, ensuite il suffit de monter dedans.
    Et pour vous éviter comme à moi une trop longue attente, je vous propose un mode d'emploi :

    Prenez la voiture de la couverture. Faites le plein. Laissez la fille à la station, vous la retrouverez plus tard. Mettez le contact, appréciez le ronronnement du moteur, prenez une petite route avec de grands virages et roulez lentement. Admirez le paysage. Pensez à autre chose. Des souvenirs, par exemple. Ou des projets – mais des grands, alors. Laissez-vous aller. Commencez à sourire. Retournez au point de départ.
    Vous venez de lire Fante.

    Bienvenue au club.

  • Porte de Clignancourt

    d3555baabdfa21bab3e42520b94b7c30.jpgLa première chose que vous verrez, c’est l’enseigne rouge du KFC. Puis vous baisserez les yeux et viserez les prospectus et gobelets McDo jetés par terre. En les relevant, vous serez étonnés de revoir des jeans neige (oui!), vous pesterez contre l’anarchie piétonne et bien sûr vous manquerez l’essentiel – parce que pour ce jeune maghrébin qui traverse au feu rouge, l’important c’est la main de sa copine qu'il tient maladroitement.

    En un saut de Puces vous voilà dans le métro, à contempler une jeunesse de toutes les couleurs unie dans le mauvais goût occidental made in China, l’addiction au sucre, les sonneries de portable et la graisse de fast-food – et souvent l’invective parce qu’on n’a pas les mots, et que l’amitié avance toujours masquée.
    Ça, c’est la Porte qui grouille.
    Mais à d’autres heures, la Porte de Clignancourt est un paisible bout d’Afrique.
    Ce matin, par exemple, lorsque face à moi sur la banquette s’est éclairé le visage fatigué d’un vieux sénégalais. Dans la rame venait d’entrer un autre homme – même origine, même veste élimée à la mode de jamais, même tricot. "ça alors, si je m’attendais !" Ils ne s’étaient pas vus depuis des années. Pas d’effusions, mais il y avait de l’émotion dans les yeux de ces hommes, de la sagesse aussi – on aurait eu envie d’écrire sur le champ l’histoire qui soudain les réunissait là et les ramenait si loin en arrière.
    La veille au soir, dans la rame immobile d’une attente de bout de ligne, l’ambiance était à la palabre. Autour d’un exemplaire froissé de L’Equipe, trois hommes se disputent sur le sens d'un mot en parlant foot, animaux et rois de France. Soudain l’un d’eux se lève, vient me voir, me montre l’article. Il était question de Marseille, dauphin de Lyon la saison dernière. J’explique, le gars me remercie et se retourne vers les autres – "C’est bien ce que je vous disais !" Et le débat reprend de plus belle.

    A l'air libre, la Porte n'est plus l’Afrique mais un petit bout de terre où les pays vivent en paix. Un peu moins de décolletés et de minois effrontés que dans le centre, sans doute, mais derrière la sape à dix balles se cachent parfois des traits magnifiques – celui de cette jeune slave, par exemple, qui lit en terrasse. Ou encore cette autre, là-bas, que je regarde en oubliant la foule autour.
    - Excusez-moi… On se connaît ?
    - Non, mais c’est dommage.
    - Hmmm... Peut-être !
    Et dans un sourire elle s’engouffre dans la bouche de métro.

    Un parfum de début d’été flotte sur dans l’air de la Porte de Clignancourt. Le temps glisse tranquillement – attention, on pourrait tomber
    amoureux.

  • Cherchez pas

    b15beddf9574cca738729e206baa67f5.jpgTandis que peu à peu je sors d'une douce paralysie, les premiers messages arrivent. Quelques mails, des coups de fil, des sms, quelques incursions par ici... Ça fait plaisir.
    C'est étonnant comme certain(e)s savent trouver les mots. Jamais les mêmes d’ailleurs, et c’est tant mieux. Au final je note une seule constante : pour trouver les mots, le mieux est encore de ne pas les chercher.
    Merci à vous. 

  • L'art du décalage

    90d3256b1552942e95e69a88a5185b22.jpgL’autre semaine, à Copenhague, j’ai lu un livre fantastique.
    (Et non je ne parle pas des contes d’Andersen, quoiqu’ils restent exceptionnels)

    "Littérature fantastique", donc, annonçait la couverture, juste en-dessous du nom de l’auteur (Neil Gaiman), à côté d’un Superman bidon et toisant un gros bandeau rouge criant au Chef d’œuvre.
    Bref, le genre de truc que je n’aurais jamais ouvert si le hasard d’un pique nique et l’enthousiasme de la pétillante Fashion Victim ne s’en étaient mêlés.
    Et pourtant… American Gods est ce genre de livre qui vous redonne envie de lire après une période de lassitude, le genre d’histoire qui réveille, aussi, en se foutant complètement du genre dans lequel elle s’inscrit.

    Il faut dire que le propos du livre a de la gueule : une baston entre les Dieux et Héros mythologiques de l’Ancien monde, amenés en Amérique par les migrants successifs (et ce, bien avant Colomb), et les nouvelles idoles de la consommation, des médias ou de l’internet. Chacun d’entre eux étant représenté par un avatar aux pouvoirs limités et aux défauts bien humains – car ce sont les hommes qui créent les dieux, Gaiman ne l’oublie pas.
    Au milieu de tout ça, un ex-taulard enrôlé par Odin pour lui servir de chauffeur, et qui fait fil rouge dans une histoire jamais cousue de fil blanc.

    La force de ce livre, c’est de s’imposer tout de suite, et de tenir la distance sur 600 pages sans ficelles – l’intelligence du propos bien calée dans la narration. Gaiman aurait pu faire son malin, il reste au service de son histoire. Il aurait pu dénoncer la supercherie des nouvelles idoles, il préfère s'attacher aux Dieux anciens et à cette question centrale pour le héros : qu’est-ce qu’être vraiment vivant ?

    Parce que le fantastique (pan sur mon préjugé idiot) n’est pas pris ici comme un exercice de style (genre regardez comme je vous invente des trucs dingue), mais comme un prétexte pour nous parler du monde, du vrai, du nôtre, de ces choses qui ne changent pas. Un simple décalage pour mieux nous faire voir le monde comme il est – exactement comme Andersen, en fait. Voilà qui me (re)donne des idées, tiens.

    Un livre qui (r)éveille, je vous dis.
    Bon café à tous.