Après le coup de griffe des pumas la Propagande se fit donc plus discrète.
Il y eut bien quelques gazettes antipatriotiques pour souligner combien la défaite fragilisait l’Empereur et son généralissime, mais le pouvoir ne s’en émut guère. Le prix du pain augmentait, certes, mais il restait des jeux en stock.
Et si sur les murs de la Ville le mécène officiel de l’Armée Bleue clamait encore Aux armes citoyens!, les journaux officiels ne se firent pas prier pour ramener l’événement à une dimension plus sportive. On fit donc donner l’arsenal lénifiant du sportif professionnel, rappelant qu’il fallait désormais prendre les batailles les unes après les autres, qu’on allait continuer à travailler et que le travail finirait par payer, et que tant que la cabane ne tombait pas sur le chien celui-ci pouvait encore mordre autre chose que la poussière.
Le mercredi, M. de Laporte annonça qu’il ferait donner l’armée de réserve pour vaincre la Namibie. La décision était forte et on l’en félicita. Car si un Nambien valait mieux que deux potes au feu, on allait bien voir qu…
Allez, stop. Pause, en tout cas.
Il y aurait tant à dire sur TF1, le Prince et consorts, mais de ce France-Namibie je garde une autre image. Une vraie, pas une téléguidée.
En rentrant chez moi, après le match, je croise deux Arabes (je dis ça parce que la précision est importante pour l’histoire, hein, en réalité je croise juste deux types). Ils ont une bonne vingtaine, ils ont un coup dans le nez et s'en mettent d'autres dans les côtes en riant. Soudain l’un pousse l’autre, je fais un écart pour l’éviter, comme un ailier de rugby, mes chaussures sans crampons crissent contre l’asphalte. « Excusez-nous » dit l’un des gars, et dans sa voix il n’y a pas que de la politesse, il y a une sincérité qui me demande de ne pas tout confondre. D’ailleurs il en rajoute – « Et vive la France ! »
Je me souviens, j’avais déjà entendu ça après le France-Brésil de 2006. Une dizaine de mètres nous séparent maintenant mais le type se retourne encore.
« Vous avez vu, on a battu la Namibie !
On se quittera en se souhaitant bonne soirée, contents qu’elle ait lieu, cette Coupe du monde.
Allez les Bleus.
Enfin vint le jour de la première bataille. On avait prévenu le peuple que les Pumas argentins étaient dangereux, mais le peuple était confiant comme l’était notre armée.
Depuis que l’Empereur s’était hissé sur le trône le temps s’était couvert. Il avait beau couvrir d’or les contribuables les plus puissants, les gazettes avaient beau chanter ses louanges, rien n’y faisait : le ciel n’était plus bleu.
Deux fois hier on m’a regardé avec un œil pétillant - Ah, tu lis Fante ?
La première chose que vous verrez, c’est l’enseigne rouge du KFC. Puis vous baisserez les yeux et viserez les prospectus et gobelets McDo jetés par terre. En les relevant, vous serez étonnés de revoir des jeans neige (oui!), vous pesterez contre l’anarchie piétonne et bien sûr vous manquerez l’essentiel – parce que pour ce jeune maghrébin qui traverse au feu rouge, l’important c’est la main de sa copine qu'il tient maladroitement.
Tandis que peu à peu je sors d'une douce paralysie, les premiers messages arrivent. Quelques mails, des coups de fil, des sms, quelques incursions par ici... Ça fait plaisir.
L’autre semaine, à Copenhague, j’ai lu un livre fantastique.